En y mettant les formes, un comité d’experts vient de porter un coup — fatal, d’aucuns diront — au projet d’instaurer au Québec un revenu minimum garanti (RMG), une idée promue depuis des décennies par le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais. Le RMG, dont le coût, si le régime est généreux, peut être prohibitif, demeure une utopie dont l’implantation présente d’insurmontables difficultés.
Le ministre François Blais, qui avec son collègue des Finances, Carlos Leitão, a commandé le rapport sur son dada à ce comité d’experts, présidé par l’économiste Dorothée Boccanfuso, a laissé libre cours à sa déception, mardi. « Ma déception vient du fait que le rapport est assez confus sur la trame de fond du revenu minimum garanti », a-t-il laissé tomber.
Il a raison : les experts ont descendu en flammes le RMG tout en cherchant, semble-t-il, à ménager la susceptibilité du ministre, qui quand il était professeur d’université s’était fait une spécialité de cette mesure universelle. Le titre de leur rapport pourtant très technique — Le revenu minimum garanti : une utopie ? Une inspiration pour le Québec — suggère que la mesure est un doux rêve propre à stimuler les bons sentiments, une inaccessible étoile à des années-lumière du plancher des vaches.
Le RMG implique le remplacement des diverses mesures de soutien au revenu (aide sociale, soutien aux familles, primes à l’emploi, crédit d’impôt de solidarité, etc.) par un seul chèque qui représenterait un seuil minimal, une somme versée à chacun, quel que soit son revenu. Il a l’avantage de la simplicité et il réduit considérablement les frais d’administration associés aux diverses mesures actuelles. De plus, il élimine la barrière au travail que représente la perte des montants d’aide sociale et des autres mesures de soutien du revenu si un prestataire décroche un emploi.
Pourtant, c’est sur le principe de l’incitation au travail que les experts, qu’on ne peut taxer d’être de droite, ont insisté pour exprimer leurs réserves quant à l’instauration d’un RMG. Ou bien il est généreux et encourage les gens à ne pas participer au marché du travail, ou bien il est modeste et n’arrive pas à assurer un minimum vital à ceux qui en ont vraiment besoin. Dans le premier cas de figure — un RMG qui correspondrait au seuil de pauvreté, par exemple —, les coûts seraient exorbitants.
Pour le comité, « le système applicable doit récompenser l’effort en favorisant les initiatives entreprises par les individus pour intégrer le marché du travail et s’y maintenir ». Le travail est le moyen « privilégié et durable » de sortir de la pauvreté, entonnent-ils. La philosophie qui sous-tend le rapport, c’est que le maximum doit être fait pour inciter les prestataires à accéder au marché du travail.
Le corollaire, c’est que les prestations d’aide sociale doivent être maintenues en deçà du seuil de pauvreté. Pour sortir de la pauvreté en accédant à l’emploi, il faut d’abord être pauvre. Les experts ne proposent qu’une hausse à la marge des prestations, de 52 % à 55 % de la Mesure du panier de consommation (MPC), soit une augmentation de 39 $ par mois pour une personne seule sans contrainte au travail. Cette position a fait bondir la députée de Québec solidaire Manon Massé, tout comme le Collectif pour un Québec sans pauvreté, qui préconise un rehaussement des prestations à 100 % du MPC.
Plutôt que le RMG, les experts préconisent d’améliorer les diverses mesures actuelles qui ont le mérite de prendre en considération différentes situations. S’il y a de l’argent à injecter dans le système, c’est dans la prime au travail qu’il faut le mettre, recommandent-ils, jusqu’à un milliard de plus. Nous devons le rappeler : cette importance accordée à l’emploi s’inscrit dans les pratiques des grands pays sociaux-démocrates comme la Suède et l’Allemagne. En outre, en dehors de projets pilotes dont la portée est limitée, aucun véritable RMG n’existe à l’heure actuelle.
Étrangement, le comité n’a même pas analysé les difficultés d’instaurer un RMG au Canada alors qu’il faudrait fusionner les mesures de soutien du revenu du gouvernement fédéral et du gouvernement du Québec, un écueil qui nous apparaît imparable.
Bref, il vaut mieux améliorer les mesures actuelles, notamment relever les prestations versées aux personnes qui ont des contraintes au travail, que de poursuivre un rêve qui n’a aucune chance de se réaliser dans le contexte actuel. Peut-être que l’idée du RMG s’imposera un jour quand les robots auront éliminé la majorité des emplois. Mais nous n’en sommes pas là.
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