Les banques centrales sont les seules, par les temps qui courent, à pouvoir — ou vouloir — encore tenter d’aider l’économie, tout en admettant avoir un mal fou à la comprendre.
Comment résister au plaisir mesquin de voir des Ti-Joe Connaissant contredits publiquement par la réalité ? Surtout quand ces messieurs Je-Sais-Tout sont de la race des économistes, ces gens-là qui ont toujours des tas de statistiques et de graphiques pour se donner raison.
On a eu droit à une semaine faste à ce chapitre, la baisse des taux d’intérêt par la Banque du Canada ayant pris 100 % de nos brillants experts par surprise. Leurs collègues européens ont eu l’air à peine moins fou, le lendemain, lorsque leur propre banque centrale a enfin dévoilé un vaste programme d’injection de liquidités dans l’économie. Attendu depuis longtemps, ce programme devait s’élever à 500 milliards d’euros, à en croire « le consensus des analystes de l’agence Bloomberg », une erreur d’estimation de 100 % par rapport au montant réellement annoncé de 1000 milliards d’euros. Les mauvaises langues diront qu’il n’y a rien là de surprenant concernant de soi-disant experts de l’économie qui n’ont jamais su prédire et encore moins prévenir la moindre crise économique importante.
En plein brouillard
À la décharge de nos pauvres économistes, rappelons qu’en plus d’être en changement constant et d’avoir été mis sens dessus dessous par la Grande Récession, leurs objets d’étude n’ont jamais été aussi complexes et interreliés de façons souvent insoupçonnées.
Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir du mal à comprendre. Dans son traditionnel communiqué où chaque mot est pesé et compté, la Banque du Canada a tenu, cette semaine, à souligner, deux fois plutôt qu’une, qu’elle faisait face à « une incertitude considérable », expliquant sans doute, en partie, sa décision-surprise de cette semaine.
En plus du défi habituel de devoir anticiper la trajectoire économique du Canada et des principales économies mondiales, ainsi que l’action des gouvernements et des banques centrales des autres économies, son gouverneur, Stephen Poloz, devait se faire une idée de la trajectoire future et de l’impact économique des prix du pétrole. Ce seul facteur a été plusieurs fois bouleversé depuis quelques années, notamment par la flambée-surprise de la demande des économies émergentes, puis l’explosion-surprise de la production de pétrole de schiste, puis, encore plus récemment, la décision-surprise de l’Arabie saoudite, et de l’OPEP à sa suite, de maintenir coûte que coûte ses parts de marché plutôt que le niveau des prix.
L’Italien Mario Draghi et sa Banque centrale européenne ont un défi supplémentaire. Ils doivent composer, dans leurs analyses et leur politique, avec une économie constituée de 19 pays aux réalités et aux intérêts souvent fort différents, sans parler de leurs règles et de leurs institutions communes souvent fort bancales.
On n’est même pas sûr que le nouveau programme d’injection de liquidités — emprunté à la Réserve fédérale américaine — marchera. « En économie, on ne peut pas expérimenter les outils en laboratoire comme en physique ou en chimie, a rappelé cette semaine un expert français dans Le Monde. On ne sait qu’après coup s’ils ont fonctionné, sans garantie qu’ils aient les mêmes effets d’un pays à l’autre. »
Parlant de la Fed, la banque centrale américaine fera à son tour le point sur sa politique monétaire la semaine prochaine. Rapidement forcée, par les circonstances et la passivité gouvernementale, de s’aventurer de plus en plus loin dans des territoires inexplorés de la politique monétaire, l’institution présidée par Janet Yellen a entrepris un long et tout aussi périlleux retour vers la normale.
Longtemps réputée pour les discours laconiques et sibyllins de ses présidents, la Fed a fait le pari, juste avant la crise, de la transparence en multipliant, entre autres, la publication de documents de référence, les conférences de presse et les explications de son analyse. Cela l’a amené, par exemple, à indiquer d’avance sous quel seuil de chômage elle pourrait commencer à relever ses taux d’intérêt, puis à changer d’avis lorsqu’elle a réalisé que ces chiffres cachaient d’autres faiblesses importantes du marché du travail.
Vaut-il mieux faire semblant de savoir?
Certains analystes sont devenus tellement étourdis à essayer de comprendre et d’extrapoler chaque tournure de phrase de Janet Yellen qu’ils en sont venus à regretter le bon vieux temps où le président de la Fed avait des allures d’oracle omniscient. Personne ne pouvait prétendre comprendre ce qu’il disait vraiment, mais il avait au moins l’air de savoir où il s’en allait et de contrôler la situation parce qu’il ne changeait pas sans cesse de discours. Comme si, aujourd’hui, c’était l’humeur de Janet Yellen qui changeait, et non pas la réalité, ou la compréhension que l’on en a !
On a au moins eu l’impression, cette semaine, que les banques centrales commençaient à se faire une idée plus précise des causes de la chute des prix du pétrole et de son possible impact dans les mois à venir.
C’était avant qu’on apprenne le décès du roi Abdallah d’Arabie saoudite et que tout le monde recommence à se demander si la politique de son successeur sera la même et si les autres pays de l’OPEP continueront de le suivre.
Misère !
PERSPECTIVES
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