Questions de langue

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Le massacre à la tronçonneuse

A priori, je n'ai rien contre l'apprentissage d'une seconde langue. Il s'agit même d'une richesse inestimable. Mon fils, âgé de presque neuf ans, est né à Cuba. Il a d'abord appris l'espagnol, sa langue maternelle, puis en arrivant ici il a appris le français de façon toute naturelle, au contact de ses amis à la garderie du quartier.
À la maison, tout se déroule en français, je veux dire la radio et la télévision, les lectures, les abonnements à des magazines pour enfants et les livres achetés chez le libraire. Seule la musique a souvent des airs de fête cubaine. Mais sa mère continue de lui parler en espagnol et lui, de lui répondre en espagnol. Ma fille, âgée de quatre ans, est née ici et elle maîtrise moins bien l'espagnol, même si sa mère continue de s'adresser à elle en espagnol. Pour ne pas qu'elle oublie. Mais comme tout se déroule en français autour d'elle, ma fille est une vraie petite Québécoise qu'aucun accent particulier ne distingue des autres.
Ce n'est pas mon intention ici de faire un plaidoyer pour le bilinguisme. Non. Je ne voudrais pas que mes enfants soient plongés dans une classe d'immersion anglaise avant qu'ils puissent bien maîtriser leur désormais langue maternelle, le français. Il sera bien temps, lorsqu'ils seront au secondaire, mais pour l'instant, c'est plutôt de bons cours de français, parlé et écrit, qu'ils ont besoin.
Mais comment prêcher par l'exemple lorsqu'on entend de plus en plus, surtout depuis l'élection de ce nouveau gouvernement libéral, des élus s'exprimer dans un français on ne peut plus approximatif. On peut s'exprimer de façon colorée, on peut tordre les mots pour leur donner une saveur originale, avec ou sans accent particulier, on peut parler avec un débit extrêmement rapide ou encore avec une lenteur désespérante, on a le droit d'hésiter avant de répondre à une question embarrassante, mais on n'a vraiment pas le droit de violer la langue constamment en disant n'importe quoi, dans un charabia incompréhensible.
L'autre jour, le nouveau ministre des Transports, Robert Poeti, anciennement porte-parole de la police politique, la Sûreté du Québec, était interviewé par Marie-France Bazzo à son émission du matin à la radio de Radio-Canada. C'était tout simplement lamentable. Je ne comprends pas qu'on puisse donner la parole à quelqu'un qui n'arrive pas à concevoir clairement ce qu'il veut dire. Ma femme, qui écoutait distraitement la conversation, n'arrivait tout simplement pas à suivre. «Mais qu'est-ce qu'il veut dire, finalement?», a-t-elle demandé. J'avais tout simplement honte. Car ma femme, en arrivant au Québec, a fréquenté des classes de francisation pendant deux ans et des professeurs se sont efforcés pour lui enseigner à bien parler la langue française, afin qu'elle puisse se faire comprendre aisément, en dehors de la maison. Et elle en est fière.
Mais ce matin-là, à la radio, c'était le festival de la bêtise et de l'ignorance, à commencer par ce «bon matin», calque de l'anglais. Puis s'en est suivie une discussion des plus pénible : «au niveau des cyclistes», «on va prendre les besoins et les récriminations des gens pour éviter ce genre de chose», «une table qui a été créée pour échanger entre les besoins des cyclistes», «si vous vous placez dans une tempête d'hiver avec un vélo et vous circulez en plein centre de la ville comme ça», «lorsqu'on identifie une piste cyclable, les policiers vont pas intervenir parce que vous êtes sur le trottoir», « ouvrir une portière sur le plateau, ça peut causer un accident majeur», «j'invite votre intervenant avant à communiquer avec nous», «pour connaître l'ensemble de l'œuvre», «la ville de Montréal ont le pouvoir», «la beauté médiatique, c'est qu'on va garder des choses pendant plusieurs années», etc.
Vous trouvez que j'exagère? Vous pouvez vous-mêmes en faire l'expérience en fouillant sur Internet pour réentendre l'entrevue. Ceci n'est pas du français. Ce n'est pas du joual non plus, pour lequel on peut avoir une certaine forme de respect. C'est un massacre à la tronçonneuse, une forme de dégradation de la pensée. Pour se faire comprendre, il faut parler de façon claire et précise. Ici, ce n'est pas le cas. Ce n'est même pas l'habituelle langue de bois des politiciens.
Et on voudrait enseigner de façon intensive l'anglais à nos enfants dès le plus jeune âge? Au secours! Ce qu'il nous faut, Monsieur le ministre de l'Éducation, ce sont des professeurs qui maîtrisent parfaitement la langue française, des linguistes et des grammairiens passionnés qui vont enseigner à nos enfants à construire une phrase avec des mots justes, pour qu'un jour pas très lointain ils puissent bien se faire comprendre et entendre. Pourquoi pas un cours 101 sur les anglicismes et autres calques de l'anglais, par exemple? Ce n'est sûrement pas avec un tel charabia que nous allons réussir à convaincre les Anglais du Québec et du ROC de parler notre belle langue.
Il n'y a que pour les imbéciles que la parole est vaine, disait Pierre Bourgault. Le nouveau ministre des Transports devrait retourner sur les bancs de l'école, et pas celle de Nicolet.


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