Quel argent sale?

Enquête publique - un PM complice?





Plusieurs croient qu'il faut revoir la Loi sur le financement des partis politiques parce qu'elle ne serait plus appliquée, ni applicable. Les entreprises financeraient les partis par la bande, surtout le parti gouvernemental. Les coffres des partis politiques regorgeraient d'argent sale. Et, selon un sondage récent, tous les partis seraient mis dans le même sac par une opinion publique en colère.
Une analyse des contributions financières des électeurs aux deux grands partis nous amène à des conclusions moins catégoriques. Sur 30 ans, on pourrait croire que les coffres des partis sont aujourd'hui trois fois plus garnis. En 1979, le PLQ et le PQ avaient, auprès des citoyens, accumulé ensemble près de 5 millions; en 2008, la dernière année financière pour laquelle les données sont disponibles, c'est plus de 15 millions. Faut-il crier au scandale? Quand on tient compte de l'indice des prix à la consommation (IPC) et qu'on traduit les sommes en dollars constants, il s'agit d'un montant à peu près équivalent. Relativement moindre puisque que le nombre d'électeurs inscrits a augmenté de 40% depuis trois décennies. Il n'y a pas là de quoi conclure que les contrats publics sont plus coûteux au Québec parce que des sommes colossales seraient aujourd'hui détournées continuellement vers les caisses électorales.
La différence des deux partis est également révélatrice. De 1978 à 2008, les libéraux ont récolté annuellement de plus fortes contributions que les péquistes à 19 occasions. Les péquistes ont généralement plus de donateurs, mais chacun des montants est plus petit. Depuis une trentaine d'années, les libéraux récoltent annuellement 5 millions de dollars et les péquistes 3,5 millions?; en dollars constants de 2008, c'est 6,9 millions et 5 millions. Cela n'est pas étranger au fait que la bourgeoisie, tant francophone qu'anglophone, a plus de liens avec le Parti libéral qu'avec le Parti québécois. Cette réalité est connue depuis longtemps et n'a rien d'illégale ou d'illégitime.
D'une manière générale, le parti au pouvoir récolte plus que son adversaire. Ainsi, les années où le financement du PQ a supplanté celui du PLQ, le PQ formait chaque fois le gouvernement, sauf en 1989. Dans le cas des libéraux, l'écart fut souvent plus prononcé, notamment à l'époque de Robert Bourassa (1985-1993). L'avantage du pouvoir serait donc moins important aujourd'hui?! Il faut aussi noter qu'à plusieurs occasions, les libéraux ont récolté plus que les péquistes même lorsqu'ils se trouvaient sur les banquettes de l'opposition. C'est le cas des années 1979, 1983, 1984, 2001 et 2002.
Un examen du ratio PLQ-PQ permet d'estimer - bien que de manière imparfaite - jusqu'à quel point l'exercice du pouvoir a parfois un effet limité sur la caisse électorale: en 2001 et 2002, alors que le PQ est au pouvoir, le ratio PLQ-PQ est de 1,3 et 1,6. En gros, les libéraux récoltaient une fois et demie ce que les péquistes obtenaient de leur côté. En 2007 et 2008, le ratio était de 1,4 et de 1,6, un rapport pratiquement identique. De 2002 à 2008, les libéraux et péquistes ont d'ailleurs enregistré une croissance similaire, d'à peu près 28% en dollars constants. (...)
Pas de vaste complot
(...) Un examen des fortes fluctuations dans les montants reçus d'année en année amène à comprendre combien les événements politiques jouent un très grand rôle.
Par exemple, de 1978 à 1980, le PQ voit grossir sa récolte: l'argent sale est-il en cause? On peut plutôt penser que c'est l'effervescence du premier référendum puisque après la défaite de 1980 et l'élection de 1981 les contributions au PQ chutent brusquement, malgré le fait que le PQ sera au pouvoir jusqu'en 1985. Lors du second référendum, des fluctuations similaires ont lieu de 1993 à 1997.
Il en va de même au milieu des années 2000: la commission Gomery de 2005 aide grandement la cause de la souveraineté, le PQ et sa caisse électorale même si les péquistes sont cantonnés dans l'opposition!
Chez les libéraux, la plus importante chute arrive en 1989, quand bon nombre d'anglophones désertent le PLQ pour appuyer le Parti égalité alors que le PLQ restera au pouvoir jusqu'en 1994. Et quand Jean Charest arrive à la tête des libéraux en 1998, après les difficiles années Johnson, le PLQ enregistre ponctuellement une entrée massive d'argent même si les libéraux seront coincés dans l'opposition pour cinq ans encore.
Bon an mal an, les exigences financières des élections, les crises internes ou les changements de chefs semblent rendre compte d'une large part des variations. Le fait que les libéraux soient plus riches et plus constants que les péquistes s'explique aisément sans recourir à l'hypothèse d'un vaste complot ourdi par une poignée d'entrepreneurs: contrairement à son adversaire, le PQ est de centre-gauche et son existence est fondée sur un projet ambitieux dont les aléas et les défaites se répercutent naturellement sur sa caisse électorale, même lorsque le PQ demeure au pouvoir.
En fait, si les libéraux ont développé depuis sept ans tout un système de ristournes sur un ensemble de contrats gouvernementaux ou plus encore sur l'accès à la magistrature, il faut conclure que cette mécanique donne des résultats très variables, souvent médiocres certaines années! Il faut aussi présumer que chacun vend son âme et enfreint la loi pour un plat de lentilles... à moins, bien sûr, qu'on ne découvre des caisses parallèles ou occultes garnies à profusion!
Évidemment, plusieurs lectures sont possibles des mêmes données, mais sur la base des états financiers accessibles jusqu'à présent, il n'y a pas de quoi déchirer la loi actuelle. En fait, la loi dont René Lévesque était encore si fier en 1986, semble provoquer des rendements et des écarts très similaires à ceux qui marquaient ses premières années d'application.
Récemment, le directeur général des élections du Québec a amorcé des enquêtes visant quelques associations libérales. Tant mieux. Ces cas doivent être traités avec rigueur, mais c'est avec une rigueur semblable que l'opinion publique doit porter un jugement sur la loi. Il ne faut pas que la quasi-totalité des électeurs (99%) qui s'abstiennent de donner aux caisses électorales présument que les 70 000 personnes qui le font agissent avec des intentions louches.
Il faut éviter de jeter le bébé avec l'eau du bain d'autant plus que des modifications proposées par le DGE, le jury citoyen et les parlementaires convergent vers le maintien de la loi de René Lévesque tout en envisageant un resserrement des procédures. En cette matière aussi, la colère est bien mauvaise conseillère.
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Jean-Herman Guay
L'auteur est professeur de sciences politiques à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.


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