Quand l’économie fait illusion

Économiste contestataire, Ianik Marcil dégonfle les métaphores trompeuses de ses confrères

64d183a01178e269b29f8837e3f37eb0

Pour une économie humaniste

Le grand romancier américain John Steinbeck s’expliquait mal la résignation du peuple frappé par la crise des années 1930. N’aurait-il pas été normal que les travailleurs se révoltent contre un système qui les réduisait à la plus grande misère ? « Je crois que le problème est que personne ne se considérait comme un prolétaire, écrivait Steinbeck. Chacun n’était qu’un capitaliste en difficultés temporaires. » Le mythe du rêve américain, en d’autres termes, était passé par là.

L’économiste Ianik Marcil, qui rapporte cette réflexion du romancier, affirme qu’aujourd’hui encore, le discours dominant de ses confrères produit le même effet mystificateur. « La maîtrise d’un discours pseudoscientifique, l’appel à la vérité des faits statistiques ou la capacité digne d’une sorcière de lire l’inquiétant avenir dans les entrailles de poulet ou les feuilles de thé font de l’économiste l’alchimiste des temps modernes », écrit Marcil dans Les passagers clandestins, un vif essai qu’il présente comme « un réquisitoire contre les détournements du discours économique et politique qui masquent les rapports de pouvoir en jeu et les conséquences néfastes de notre activité économique ».

Métaphores et réalités


Le discours économique dominant, néolibéral pourrait-on dire pour résumer, fourmille, en effet, de métaphores visant à rendre accessibles à tous des concepts savants. Les marchés, dit-on par exemple, ont des « humeurs », chacun doit payer sa « juste part », qui équivaut souvent à « un café par jour », pour ne pas faire reposer le « fardeau fiscal » sur les épaules des riches qui sont souvent d’admirables « self-made-men » et tout le tralala.

Marcil, en bon keynésien qui aime l’art et cultive le souci de la vulgarisation, n’a rien contre la métaphore. Son titre en reprend une en la détournant. En économie, le passager clandestin est celui qui profite d’un avantage sans payer sa juste part. Pour Marcil, les économistes qui utilisent la métaphore pour couper court à la réflexion sont dans une semblable position. Aussi, précise-t-il, la métaphore devient « problématique à partir du moment où elle remplace l’analyse et la réflexion nuancées et approfondies », entraînant ainsi une « perte d’emprise sur le réel ».

L’exemple classique est le concept de « main invisible », théorisé au XVIIIe siècle par Adam Smith. Chacun, en poursuivant son intérêt individuel, contribuerait à la réalisation du bien-être collectif, grâce à cette main qui s’apparente à une force divine. Les économistes qui suivront, explique Marcil, naturaliseront cette idée en parlant de « lois du marché » et d’« ordre naturel » ou « spontané », qu’il convient, par conséquent, de ne pas entraver par des interventions de l’État qui briseraient l’« équilibre ».

L’économiste Léon Walras (1834-1910) décrira même cette « réalité » à l’aide de modèles mathématiques, comme le font les physiciens pour décrire la réalité matérielle. « Le sous-texte, explique Marcil, est que les agents économiques que nous sommes ne peuvent que s’y contraindre. Qui refuserait d’obéir à la loi de la gravité ? Il faudrait être tout aussi sot d’avoir l’ambition de contrecarrer les lois du marché. » Pourtant, précise l’économiste contestataire, les marchés sont des institutions sociales qui n’ont rien de naturel et « qui peuvent donc être transformées volontairement par l’action collective ».
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->