Michel Munger - Quand Frank Stronach obtient 863 M$ - une prime de 1800% - pour le rachat de ses actions multivotantes de Magna International et Rémi Marcoux monétise ses actions pour 57 M$ en conservant ses votes multiples, plusieurs doivent se poser des questions.
Le rôle des actions multivotantes au sein des entreprises cotées en Bourse dérangeait déjà avant ces annonces. Yves Michaud, fondateur et ancien président du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC), y voit deux raisons de plus pour une réforme.
«Il est à peu près temps de revoir ce système, dit-il en entrevue. Ça crée des exagérations inadmissibles, surtout dans une société capitaliste. Il existe un grand principe d'un droit de vote par action. La valeur du vote multiple, c'est une légende urbaine qui s'est répandue depuis une trentaine d'années, selon laquelle nous voulons garder nos institutions économiques chez nous. Quand ça fait leur affaire, les financiers reviennent au protectionnisme.»
M. Michaud ne dit pas qu'il faut tout abolir mais que la liberté de mettre en place un régime d'actionnariat avec deux poids, deux mesures est «complètement cinglée».
«Dès qu'on décide d'être une société ouverte, nous ne sommes pas une société fermée, raconte-t-il. C'est l'argent des actionnaires. Personne au Québec n'a deux votes plus un pour élire le gouvernement. Il faudrait une bonne commission pour étudier cela.»
Notre interlocuteur ne s'est jamais gêné pour talonner les banques et grandes entreprises au nom des petits investisseurs. Il n'achète tout simplement pas l'argument présenté par des gens comme Rémi Marcoux: monétiser les actions en préparant leur succession.
«Les fils ne sont pas toujours aussi géniaux que leurs pères, lance Yves Michaud. Il y en a de moins bons. En vertu de quel principe génétique dit-on préparer la succession ? C'est aux actionnaires de décider du président. Nous avons coupé la tête des rois pour [l'égalité des droits de vote].»
M. Michaud estime que les entreprises comptant des actions multivotantes ne n'offrent pas toujours un rendement dû à la vision des patrons. «Allez voir les intérêts des actionnaires de Bombardier. Je vous dis que le rendement n'est pas fort depuis quelques années. Même chose chez Transcontinental et Power Corporation. Ils diront que c'est à cause de l'économie mondiale. Ils ont toujours ce double discours: quand ça va bien, c'est leur mérite. Quand ça va mal, c'est l'économie.»
L'imputabilité des PDG a aussi refait surface avec les pertes de 2,4 G$ de la Financière Manuvie. La présence dans le marché des rentes à capital variable, qui a grandi sous Dominic d'Alessandro, expose l'entreprise aux problèmes des marchés financiers.
Quand il entend cela, M. Michaud affirme qu'une composante clé des entreprises ne remplit pas sa mission de surveillance. «C'est le rôle du conseil d'administration. Posons-nous une seule question. Combien y-a-t-il eu de démissions d'administrateurs en 10 ans parce qu'ils ne sont pas d'accord avec la compagnie ? Je pense que vous n'en trouverez pas. Pourtant, ils doit se passer des choses dans le monde financier qu'un honnête homme n'accepte pas. La plupart des conseils sont composés par des administrateurs qui vont pantoufler avec 100 000 $ à 125 000 $ de revenus par année pour cinq ou six réunions, et plus s'ils font partie des comités du conseil. C'est une façon d'acheter le silence.»
M. Michaud milite donc pour la création d'un organisme capable de protéger le public et doté de moyens financiers pour y arriver.
Quatre questions à Yves Michaud
Question: Que devrait-on faire pour protéger le public, qui est actionnaire d'entreprises, souvent par l'entremise d'un fonds de retraite ?
Réponse: «Il faudrait une loi constitutive qui créer un OPI, Office de protection des investisseurs, exactement comme l'Office de protection du consommateur. L'OPC fait du bon travail avec un budget de quelques millions de dollars. Ce n'est pas le budget de 150 000 $ du MEDAC qui va régler les problèmes. Il fait un excellent travail mais à un autre niveau: aux assemblées annuelles. Il fait un travail éthique mais n'a pas les outils et moyens financiers pour aller au fond des choses. À la Caisse de dépôt, il devrait y avoir un représentant de l'OPI [au conseil d'administration] parce que c'est l'argent de tous qui est géré à la Caisse. Il ne faut toutefois pas compter sur nos députés pour défendre les investisseurs. Ils s'occupent davantage de leurs allocations de transition, comme celle de Jean-Marc Fournier.»
Question: Un OPI, serait-ce un investissement vraiment rentable ?
Réponse: «Douglas Porter, économiste de la BMO, implore le gouvernement de mettre [des milliards] dans la relance économique. Il fait un plaidoyer vibrant pour investir afin de protéger l'économie. Si l'on prenait une petite partie de cela, soit 5 à 10 M$ par année, pour un OPI, ce serait un bon début. Présentement, les investisseurs ne sont protégés d'aucune façon.»
Question: Dans chaque État américain, un procureur d'État part aux trousses des institutions financières, des fraudeurs et d'autres parties au nom du public. Pensons à Andrew Cuomo qui l'a fait dans l'État de New York. Que pensez-vous d'une telle structure ?
Réponse: «L'un n'exclut pas l'autre. Si on avait un office de protection des investisseurs de concert avec une autorité du genre, ou sous son autorité, ce serait excellent. Il faut une structure de chercheurs. Tous les jours, des Québécois se font entourlouper. Les cas comme Carole Morinville sont seulement la partie visible du problème.»
Question: Enfin, l'Autorité des marchés financiers peut-elle vraiment protéger le public ?
Réponse: «Elle n'a pas le temps de faire cela. Quand elle reçoit des plaintes, elle enquête. Mais quand ça arrive, c'est que la personne s'est fait complètement voler.»
Protéger les investisseurs, un besoin négligé
Les compensations versées à des PDG en échange de leurs actions multivotantes ont de quoi faire rager l'investisseur moyen.
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