Présidence rwandaise de la Francophonie : un scandale français !

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« Elle a aussi défendu fermement la décision de Kagamé de faire de l’anglais la langue d’enseignement et langue d’administration. Et du Rwanda, le 54ème Etat du Commonwealth.»

En soutenant la candidature de Louise Mushikiwabo – la ministre des Affaires étrangères rwandaises – à la tête de la Francophonie, Emmanuel Macron élève le French Bashing au sommet de l’Etat. Il demande aux dirigeants francophones de donner plus de poids à une personne dont la célébrité s’est construite sur la haine de la France, qui ne manque jamais une occasion de taper sur les militaires et les politiques français accusés de complicité de génocide. Une dame qui n’a aucun état d’âme pour justifier enlèvements et assassinats d’opposants à l’étranger.



Au journaliste d’Al Jazeera, qui lui posait en juin 2016 une question sur l’étranglement du colonel Patrick Karegeya dans un hôtel sud-africain, elle répondit : « Why should I be unhappy about my enemies and people who threaten ? » Elle a aussi défendu fermement la décision de Kagamé de faire de l’anglais la langue d’enseignement et langue d’administration. Et du Rwanda, le 54ème Etat du Commonwealth.



Le 11 septembre 2011, la candidate à la direction de la Francophonie ne déclarait-elle pas à Paris : « c’est un peu un signe des temps. L’anglais est une langue avec laquelle on va plus loin que le français. Sinon le français au Rwanda ne va nulle part ». Et, il y a quatre ans, Louise Mushikiwabo faisait détruire au bulldozer le centre culturel français ! Elle a craché à de nombreuses reprises sur la justice française qui instruit sur l’attentat contre l’avion de Habyarimana. Le 11 novembre 2016, elle a ainsi menacé de publier « une nouvelle liste de hauts responsables politiques français accusés de complicité dans le génocide de 1994 contre les Tutsis ».



Mais surtout, cette dame est le haut-parleur d’un des pires dictateurs de la planète. Paul Kagamé est élu avec des taux soviétiques, enferme et tue ses opposants, crache sur la liberté de la presse… Les valeurs promues par l’OIF ne sont-elles pas « la démocratie, les droits de l’homme, l’Etat de droit et la justice » ? Par ce soutien Emmanuel Macron condamne l’OIF et envoie un signal très fort aux dictateurs africains : « le mépris de vos peuples ne remettra pas en cause notre soutien… »



Ce soutien est incompréhensible. Sauf d’imaginer que ses dossiers sont mal faits ou influencés par les lobbies puissants de Kagamé qui ont gangrené les principaux médias français et une partie de l’administration. Il n’y a pourtant pas de grands efforts à fournir pour se procurer des enquêtes indépendantes sur la vraie nature du régime de Kigali. A commencer par le rapport Gersony, qui dès septembre 1994 constatait que l’Armée Patriotique Rwandaise (APR), sous les ordres de Kagamé, s’était livrée à des massacres de masse contre les Hutus. Les Américains aidèrent Kagamé à enterrer ce rapport de l’ONU au point qu’aujourd’hui, il est censé n’avoir jamais existé !



Il y a aussi le rapport Mapping, également rédigé par l’ONU en 2008 et 2009, faisant état de crimes de masse commis en République Démocratique du Congo entre 1993 et 2003 par les soldats rwandais. Il n’exclut pas la possibilité d’un génocide. Il y a également la justification par le juge espagnol Merelles du lancement de 40 mandats d’arrêt contre les plus proches collaborateurs de Paul Kagamé (le 6 février 2008), dont je ne citerais que les premiers mots : « une fois le pouvoir obtenu par la violence, ils ont mis sur pied avec les mêmes méthodes un régime de terreur et une structure criminelle parallèle à l’Etat de droit… »



Il n’est pas nécessaire de passer beaucoup de temps sur le dossier Rwanda pour comprendre que l’histoire du drame est complètement truquée. Que Paul Kagamé et ses soutiens anglo-saxons ont réussi à imposer que les enquêtes du TPIR soient limitées aux seuls crimes des « génocidaires hutus ». Quelques jours avant le vote d’Erevan pour élire la tête de la Francophonie, un document inédit transmis récemment à la Justice française montre à tous la vraie nature du régime soutenu par Emmanuel Macron. C’est un Rapport du TPIR, daté du 1er octobre 2003 (trente pages) sur les « crimes commis par l’APR ».



Il permet de mieux comprendre Carla del Ponte, ancienne procureure du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), qui, dans son livre La Traque, les Criminels de guerre et moi1, raconte que ses problèmes ont commencé quand elle décida de mener une enquête sur le Front patriotique rwandais, « parce que le président Kagamé et d’autres leaders tutsis ont basé une grande partie de leur prétention à la légitimité sur la victoire du FPR contre les génocidaires en 1994 […]. Ils ont présenté leur conquête du pays comme une lutte juste pour mettre fin à un génocide ». Et d’expliquer dans le détail que les autorités rwandaises tenaient sous contrôle chaque étape de ses enquêtes.



Au bout du compte, Carla del Ponte fut chassée de son poste par l’administration américaine. Furent ainsi abandonnées toutes les enquêtes sur l’APR. Le document résume le gros travail effectué par l’équipe des Investigations spéciales sur les crimes commis par l’APR pendant l’année 1994.



Ce document est effroyable. Il dégouline du sang des dizaines de milliers de victimes en très grande majorité hutues. Toute la mécanique de la prise de pouvoir par l’APR y est minutieusement décrite. Dix-huit sites de massacres sont recensés. Les techniques d’exécution sont précisément exposées. Sont également analysés le rôle de la DMI (Directorate of Military Intelligence) dans la désignation des victimes et celui des fameux « techniciens » qui dépendaient du Haut commandement de la DMI.



Des commandos qui opéraient habillés en civil, formés à empoisonner l’eau, à tuer avec une corde, avec un sac plastique, à injecter l’huile dans les oreilles, à utiliser l’agafuni, à faire sauter des mines dans des lieux publics… Certains étaient chargés d’infiltrer les interahamwe sur certaines barrières ; « leur rôle était de prendre part aux tueries et d’inciter les interahamwe à commettre davantage de massacres ».



Bref ce rapport met en pièces l’histoire officielle du drame rwandais, telle qu’elle est imposée par le régime de Kigali et ses nombreux soutiens associatifs et médiatiques : un affrontement entre le Bien et le Mal, entre les bons Tutsis et les Hutus génocidaires. Selon ce roman-là, Paul Kagamé aurait mené une guerre de libération nationale, mis un terme au génocide et pris in fine le pouvoir, le 12 juillet 1994, malgré l’aide apportée par les militaires français aux Hutus.



La réalité est évidemment toute autre : le drame rwandais est une guerre civile sauvage entre Tutsis et Hutus, déclenchée en octobre 1990 par une agression armée des Tutsis du FPR, diaspora installée en Ouganda, soutenue par l’armée ougandaise et relancée en 1994 par l’attentat contre l’avion d’Habyarimana… qui déclencha le génocide des Tutsis et des Hutus modérés.



Pierre Péan 

8 octobre 2018