Pourquoi la crise chinoise inquiète-t-elle?

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Pire qu'en 2008 ?

Les places chinoises continuent de dévisser, entraînant les Bourses européennes dans leur sillage. Un signe annonciateur d’une nouvelle crise mondiale ?

La dégringolade actuelle est annoncée depuis des années et révèle une croissance déséquilibrée, non soutenable. « La Chine est dans une dynamique dépressive, elle se retrouve dans le piège des pays à revenu intermédiaire », qui se traduit par une baisse de la compétitivité et par la diminution de l’afflux d’argent extérieur, note Christophe Destais, du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Elle est donc passée « d’une phase de croissance facile », sur fond d’investissements massifs et d’industrialisation accélérée, « à une phase où cela devient plus compliqué. Elle a du mal à redéployer cette croissance ».

Pour faire face à la baisse des investissements, moteur de son boom insolent des années 2000, la Chine a tablé sur le développement de la consommation interne, mais elle additionne les bulles. Bulle immobilière — le secteur pèse 15 % du PIB, pire qu’avant l’explosion de cette bulle en Espagne, où l’immobilier représentait 13 %. Bulle boursière, ensuite : la capitalisation de Shanghai, principale Bourse du pays, est passée entre juin 2014 et juin 2015 de moins de 500 milliards à 6500 milliards de dollars.

Pour éviter la surchauffe, Pékin a durci en juin les conditions de transaction. Avant de les assouplir à nouveau trois semaines plus tard, après 30 % de dégringolade boursière et 3000 milliards de dollars de capitalisation évaporés…

Le mécanisme de contagion

La contagion peut arriver par les deux leviers les plus intégrés dans la mondialisation : le commerce et la finance. « Pour le commerce, on voit bien que le ralentissement de la Chine a un impact fort sur les prix des matières premières et les pays qui les exportent », rappelle Christophe Destais. Il suffit de lister les pays déjà victimes du manque d’appétit chinois pour les matières premières : le Canada, l’Australie, le Brésil, la Russie, mais aussi les pays exportateurs d’énergie, comme ceux du Golfe, ou même le Nigeria et l’Algérie — seule l’Inde, économie de services et grande importatrice de matières premières, s’en sort. « Les exportations chinoises ont baissé de 8 % depuis le début de l’année, note Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis. Mais il existe d’autres canaux de transmissions, à commencer par la finance : les marchés d’actions s’effondrent et cela va faire encore baisser la consommation et les investissements. On appelle ça la grande rotation : on s’échappe des actions pour aller vers les obligations après avoir fait l’inverse. Résultat : cela détruit de la richesse et n’incite pas les investisseurs à prendre des risques. »

Ce qui inquiète, même parmi les économistes guère enclins à jouer les Cassandre, c’est l’affolement, le sentiment de panique des autorités chinoises, prêtes à jouer sur tous les leviers (et de façon parfois contradictoire) pour endiguer la baisse de croissance. « La Chine peut être le fait déclencheur d’une crise qui, en définitive, ne la concerne qu’indirectement », déplore Christophe Destais. Symbole des pays émergents, elle alimente une défiance envers les autres émergents, en Asie évidemment (Thaïlande, Vietnam, Indonésie, Malaisie).

Il y a une forme d’artificialisation de la croissance que les pays cherchent à booster coûte que coûte. États-Unis, Japon, Europe, Chine : tous les États ont de facto dévalué leur monnaie pour tenter de relancer la machine en favorisant leurs exportations. En vain. « Le drame, avec les politiques de dévaluation, c’est un peu comme les politiques d’austérité : si vous êtes le seul à en faire, cela peut marcher, comme l’a un temps fait l’Allemagne avec sa dévaluation salariale compétitive, estime Benjamin Coriat, professeur à Paris-XIII. Mais quand tout le monde s’y colle, c’est un jeu à somme nulle. » Déjà fragiles, toujours en quête d’une croissance à tout prix, les économies, même celles des pays développés pourtant bénéficiaires de la chute du prix des matières premières, pourraient être touchées.

Une crise pire qu’en 2008 ?

Des crises pires que les précédentes sont toujours possibles et, « en économie, il ne faut jamais dire jamais », rappelle Charles Wyplosz, de l’Institut des hautes études internationales de Genève, qui se veut sceptique sur un scénario de « hard landing », un atterrissage douloureux pour l’économie mondiale. Certes, mais une crise, c’est un choc dans l’économie réelle qui se produit quand les investisseurs cherchent à revendre à tout prix leurs actifs risqués pour racheter des actifs non risqués. En 2008, la vente d’actif pourris (des créances titrisées liées aux crédits subprimes) dans l’immobilier avait engendré une crise de liquidités.

« Le même mécanisme est à l’oeuvre, avance Patrick Artus. Les investisseurs en panique se débarrassent d’actifs des pays émergents et alimentent une crise des taux de change et des marchés d’actions, comme ce fut le cas dans les années 1990. » Mais contrairement à la crise de 1997, les flux sont gigantesques en raison, notamment, de l’afflux de liquidités injectées par les Banques centrales… depuis la crise de 2008. Résultat : « Plus de 300 milliards de dollars par mois sortent en ce moment des pays émergents pour se réfugier sur des obligations d’État des pays riches ! C’est énorme », dit Artus. Sauf que, contrairement à 2008, et en cas de scénario catastrophe pour l’instant hypothétique, les pays ne peuvent plus vraiment jouer sur les politiques budgétaires. « Il ne leur reste que l’arme de politique monétaire expansionniste, avec le risque que cela ne marche plus », assure-t-il.

Car les banques centrales ont déjà des taux d’intérêts très bas, et inonder de liquidités alors qu’il y en a déjà trop n’a rien d’un levier efficace. « Alors qu’elle connaît une bulle immobilière sans précédent, avec 20 % de logements invendus, la Chine relance encore sa politique d’immobilier et d’infrastructures, c’est du délire », s’agace Artus. Contrairement à 1997, les pays émergents disposent de filets de sécurité, et, à l’instar de la Chine, ont des réserves de change. « Mais ils puisent déjà dedans et beaucoup trop vite », dit Christophe Destais.

Faut-il prédire le pire ?

Benjamin Coriat : « Entre la non-croissance en Europe et la dégringolade annoncée de la Chine, les conditions d’un plongeon sont réunies. Après, difficile à dire quelle sera son ampleur. Mais s’il est aussi violent qu’en 2008, le coup de tabac sera dramatique parce que les États ont épuisé toutes leurs munitions. »

Alors bien avant d’en arriver là, que conclure de cette nouvelle alerte ? « Ce qui est nouveau, c’est qu’on peut avoir une grave crise, alors qu’on pensait, à tort, avoir éliminé cette possibilité, admet Jean-Paul Fitoussi, professeur à Sciences Po Paris. On pensait que des bulles exploseraient ça et là, sans dommages collatéraux. Pour l’instant, la crise n’est que boursière, mais elle peut très vite redevenir une crise du crédit où personne ne veut prêter à personne, comme en 2008, car la confiance est à nouveau entamée, puis virer à la crise de la dette. La différence, c’est que les pays émergents seront les premiers touchés. » Il y a sept ans, la crise était née au coeur du capitalisme, les États-Unis. Elle frappe désormais l’un de ses poumons : la Chine.


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