LE FIGARO - On constate, dans les commentaires du Figaro (et dans une moindre mesure, cela peut aussi se voir sur d'autres sites d'info), que beaucoup de nos internautes sont favorables, voire très favorables à Vladimir Poutine. Comment l'expliquer? Y a-t-il sur Internet une réaction à une certaine antipathie des médias «mainstream» à l'égard de Poutine? Pourquoi?
Pierre-Henri D'ARGENSON. - Une partie de cette réaction s'explique par la sympathie pro-russe que l'on retrouve surtout en France au sein des mouvements gaullistes et souverainistes. Ce courant est pétri de la tradition géopolitique française de «l'alliance de revers» entre la France et la Russie, et exprime une vision des relations internationales structurée par la puissance et l'indépendance des nations, contre le projet fédéraliste et atlantiste. Mais c'est une explication bien commode pour ceux qui veulent caricaturer le sentiment «pro-russe». En réalité, ce qui est frappant dans les réactions à la crise ukrainienne, ce n'est pas tellement le nombre de témoignages «pro-russes», mais plutôt le refus implicite de beaucoup de gens de se plier à l'injonction médiatique désignant la Russie de Poutine comme le camp du Mal. Il s'agit d'une révolte intellectuelle, qui relève d'une lame de fond de rejet de l'ordre idéologique régnant. Internet facilite cette révolte en libérant l'expression, et nous assisterons dans les années qui viennent à un soupçon de plus en plus systématique, par principe, à ce qui sera présenté comme la pensée obligatoire sur tel ou tel sujet.
Que révèle selon vous cet engouement pour Poutine à propos des qualités exigées d'un homme politique par les internautes?
Il y a évidemment une fascination pour la «virilité» du personnage, avec son mélange de sang-froid et d'audace guerrière, mais là aussi la raison profonde est ailleurs. Dans l'inconscient collectif, Vladimir Poutine évoque un peu Louis XIV: c'est un monarque absolu, autoritaire, mais capable de protéger le peuple russe contre les puissants. Les médias «mainstream» ne comprennent pas cela. Quand Vladimir Poutine fait emprisonner l'oligarque Mikhaïl Khodorkovski, il rappelle Louis XIV faisant arrêter Fouquet. C'est arbitraire, mais le peuple y trouve son compte: si le roi peut renverser les puissants, c'est qu'il peut défendre les intérêts du peuple… même si ce n'est pas toujours le cas. Or, que disent les critiques de notre système politique? Qu'il a donné le pouvoir à l'oligarchie, aux baronnies, aux multinationales, aux lobbies, qui font et défont les règlements européens sans le moindre contrôle populaire, face à une classe politique toujours prompte à parler de «démocratie» et de «droits de l'homme» mais en réalité impuissante ou consentante. L'engouement pour Poutine révèle ainsi en creux un besoin profond, ancré au sein du peuple et pas des élites, de retrouver des dirigeants qui soient leurs défenseurs, et qui pour cela aient encore en main les instruments de la maîtrise du destin de la nation, aujourd'hui dilués dans de multiples instances insaisissables.
Pourtant, un sondage récent montrait que seuls 14% des Français avaient une bonne opinion de Vladimir Poutine. Comment comprendre ce résultat, quand on lit les commentaires sur le Web? Qu'est-ce qui explique un tel décalage?
Il faut être prudent avec les sondages… Mais ce décalage n'est pas contradictoire. Dans ce même sondage, Poutine est jugé à 72 % comme «énergique» et à 56% comme «défendant bien les intérêts de son pays». C'est cela qui est valorisé dans les commentaires, pas l'homme Poutine, que les Français ne souhaiteraient pas forcément avoir pour chef d'État. Les commentaires «pro-russes» ne sont pas l'expression d'un «parti de l'étranger». Ce qui s'exprime aujourd'hui, c'est un jugement politique tel qu'on le retrouve presque toujours dans l'histoire: même si les gens n'aiment pas Poutine, ils reconnaissent en lui un grand dirigeant, qui restera dans l'histoire de la Russie. A contrario, des personnalités politiques très populaires en leur temps peuvent rapidement être regardées avec un peu de recul comme ayant été de grands incapables et de piètres hommes d'État.
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