De Canadiens français à Québécois

Pour une nation sans son chaperon !

Ce que l'abandon de notre identité nous a coûté

6bd6251c4dc2544133eb2f34cb588640

Chronique de Gilles Verrier

On n'a pas fini de compter ce que nous a coûté l'abandon de notre identité. Pour en arriver là, il fallait d'abord lui faire un procès pour mettre en doute sa dignité. Si bien qu'aujourd'hui, se réclamer Canadien-Français est vu par plusieurs comme un retard d'évolution. 


Du dénigrement du passé


Au début des années 1960, la façon de poser la question nationale se heurtait à une volonté nouvelle d'affirmation. Une réforme justifiée, réclamée par la jeunesse, n'obligeait pourtant en rien de faire table rase du passé. Or, un mauvais sort semble s'acharner sur les petites nations pour les renvoyer à la case départ. La promesse de lendemains qui chantent déconstruisit un conservatisme social fait de mœurs et d'institutions particulières, qui avaient assuré la cohésion des Canadiens-Français. C'était la nation telle qu'elle était. Et elle avait sa dignité.


Les traits de civilisation, propres à la vie nationale, ne furent pas réformés. Pour simplifier un peu, ils furent en grande partie discrédités pour être remplacées par des valeurs libérales-libertaires, plus compatibles avec la société de consommation, vendues sous la représentation plus alléchante du rattrapage, de l'ouverture au monde et de la révolution tranquille. Depuis, des pleureuses, miraculeusement réchappées de la « grande noirceur », n'en finissent plus de ré-écrire leur enfance à l'eau bénite.


La Chine, les États-Unis, la France, l'Angleterre ne changeraient pas leur identité. C'est dans le petit club des nations à l'avenir mal assuré qu'on prend le risque de jouer avec le feu. Ces jours-ci, la Macédoine, soumise à des impératifs de la guerre hybride, dans laquelle elle n'est qu'un pion, a du se soumettre à un référendum, fort peu couru d'ailleurs, pour changer de nom. Le Congo, devenu Zaïre, est redevenu Congo. Le Ceylan est devenu le Sri Lanka et la nation canadienne-française s'est noyée dans la fiction d'une nation québécoise.


Le Québec ne manque pas de sociologues. Il faut pourtant s'étonner qu'à ma connaissance, aucune étude n'ait encore été produite pour détailler un phénomène qui n'est tout de même pas anodin : le passage, en quelques années, d'une identité née dans la Nouvelle-France à une autre, née de la conquête. Beaucoup ignorent que la nouvelle identité québécoise prend sa source dans une honorable décision de la Couronne britannique de 1763, destinée à brouiller notre identité canadienne (Nous), en instituant The Province of Quebec.  Finalement, sommes-nous des Québécois ou des Canadiens-Français ?


Les graves conséquences du changement d'identité


En attendant que les sociologues se mettent au travail, faute d'en savoir davantage sur les forces qui ont travaillé à ce changement brutal, on peut néanmoins tenter d'en évaluer les conséquences les plus importantes.


Je le dirai simplement, la différence entre Canadien-français et Québécois est la différence entre une identité nationale et une identité pluri-nationale confuse. Je ne m'attarderai pas à démontrer le caractère national canadien-français car sa nature ethnique, mieux exprimée quand on la qualifie de sociologique, historique, culturelle, sont des critères généralement retenus pour définir l'existence d'une nation. Cette définition est commune au sein d'une tradition européenne bien établie. L'idée de base est assez semblable chez Jean-Thomas DelosEsdras Minville et Ernest Renan. Et, on peut même étendre la similitude sur l'idée de nation, croyez-le ou non, jusqu'à Joseph Staline[1] Pour ce dernier, que je cite : « la nation est une communauté humaine stable qui s'est constituée historiquement, née sur la base de la communauté de quatre caractères fondamentaux, à savoir : sur la base de la communauté de langue, de la communauté de territoire, de la communauté de vie économique et de la communauté de conformation psychique, manifestée par la communauté des propriétés spécifiques de la culture nationale. »


Je ne cite pas Staline sans motif. Pour le coup, il permet de relier la droite et la gauche sur l'idée de nation. Mais ce que je veux surtout mettre en évidence, c'est la distance prise par la gauche québécoise d'aujourd'hui vis-à-vis de l'idée de la nation telle que défendue par le marxisme. Au fil des années, la gauche s'est rangée massivement du coté de l'idée anglo-saxonne de la nation, pour qui l'État fait la nation. Rappelons donc à Québec solidaire – et au PQ, tant qu'à y être – que la conception organique de la nation ne peut être réduite à une « droite identitaire et passéiste », puisque cette conception se trouve également bien ancrée à gauche, notamment dans la tradition marxiste. 


Que ne ferait-on pas pour ne pas être Canadien-français ?


Avez-vous remarqué que les failles de l'identité d'emprunt qu'est l'identité québécoise ne cessent d'apparaître ? Le discours politico-médiatique doit sans cesse pallier à son imprécision. En effet, pour ne pas dire canadien-français, ce qui serait mal vu, on contournera la difficulté que pose la pluralité de l'identité Québécoise par la pirouette du « Québécois francophone ». Mais qui est-il celui-là ? Est-il autre chose qu'un Canadien-français qui n'a plus que sa langue ? On serait bien tenté de répondre par l'affirmative. En tout cas, il ne fait pas de doute qu'une identité plus riche et surtout plus claire s'est effacée au profit d'un dénominateur commun plus conforme aux valeurs canadian : la québécitude. Faut-il rappeler que le Canada ne reconnaît pas sa nation fondatrice ? Que dire ! Officiellement, il ne reconnaît aucune nation, seuls des « francophones » et des « anglophones » y sont reconnus. D'un océan à l'autre.


L'affaire est donc loin d'être anecdotique. Au Québec, la loi qu'on estime pouvoir servir de noyau à la future constitution québécoise, nous dit-on, encode pourtant le flou identitaire. Pour une part, on tiendra à distance la diaspora québécoise. Surtout, on insistera pour exprimer l'absence de toute sympathie à son égard. Ne faut-il pas la tenir pour moribonde depuis cinquante ans bien comptés ?  Pas d'alliance possible avec ces sépulcres blanchis dans la contestation du Canada. Mais, en revanche, on aura aucun problème à se croire une nation avec nos potes anglo-saxons qui profitent encore aujourd'hui, sur notre propre territoire, des avantages de la conquête. Pour avoir perdu la capacité de nous situer et de nous nommer correctement, c'est l'esprit de la constitution canadienne qui l'emporte. C'est effectivement cet esprit qui ressort dans la fameuse Loi 99, néanmoins applaudie par la plupart de nos bons québécois.


Pour aller à l'essentiel, la Loi 99 est une embrouille. Elle ne parle pas du monde réel quand elle manque à reconnaître l'existence de deux nations principales au Québec, deux nations en perpétuelle concurrence sur son territoire. Dans les considérants de la loi, la nation canadienne-française y est réduite, dans ce charme qui plaît tant au Canada, à une « majorité francophone ». L'expression renvoie à des individus, elle ne dit rien de l'existence d'une communauté nationale. La formule est donc conforme à l'esprit de la loi canadienne sur les langues officielles (1969), qui ne fait pas de la langue un trait national mais un choix personnel ! Rien d'autre ! Quant à la nation canadienne-anglaise, dont le berceau est le Québec mais qui s'estime inséparablement liée au Canada, elle est définie par l'euphémisme hilarant de « communauté aux droits consacrés ». Mais, s'interrogera le curieux, droits consacrés où, quand et comment ? Peut-être par les canons de 1759 !  Et finalement, surprise, la Loi 99 apparaît maintenant débarrassée de toute précaution antérieure quand elle reconnaît explicitement, au sein du peuple québécois, un total de onze nations ethniques autochtones. Rien que ça ! Mais la nation canadienne-française, elle, attend encore d'être reconnue par The province of Quebec.


Inutile d'aller plus loin, le portrait des nations au Québec ressort très déformé avec cette loi, c'est le moins qu'on puisse dire. C'est le résultat de la prépondérance des concepts anglos de la nation et de l'État. Avec cette loi, l'État s'est attribué le pouvoir de finasser sur l'existence des nations pour aller vers une création nouvelle, sous les auspices d'un juridisme qui, apparemment, peut tout faire. On est loin de la conception organique des nations et du rôle de l'État. L'État devrait d'abord reconnaître l'existence des nations telles qu'elles sont, garantir leur égalité de droits pour, éventuellement, gérer un ré-équilibrage échelonnée dans le temps en faveur des nations qui ont subi et qui continuent de subir des préjudices. Or, dans le Loi 99, l'État du Québec ne joue en rien ce rôle. Il s'affirme plutôt comme l'État d'une province du Canada, dont le rôle consiste à perpétuer les privilèges issus de la conquête au profit d'une « communauté aux droits consacrés. » L'État du Québec se révèle donc, dans ce qui est sa tentative la plus achevée de légiférer sur ses propres prérogatives et celles du peuple québécois, tout à fait incapable de définir correctement les acteurs du national.


Mais revenons sur ce que nous a coûté la mise au rancart de notre identité. L'échec référendaire en est peut-être la pire conséquence. Par deux fois, on a voulu que les descendants des vaincus et les descendants des vainqueurs se prononcent ensemble – comme s'ils formaient une seule et même nation ! – sur l'avenir politique des premiers. Cette apparente générosité politique étalait l'absolue confusion des esprits entre deux droits, qu'il était pourtant crucial de bien ordonner. Or, la fiction d'une « nation québécoise » l'empêcha. Et, faute de clarification, la confusion conduisit à faire du principe démocratique le fossoyeur du droit sacré d'un peuple à disposer de lui-même. 


Le totalitarisme des droits individuels, le « péché mignon » du Canada 


Étendre le droit de vote à la nation dominante, quand il s'agit de se prononcer sur le sort de la nation qui veut en finir avec les survivances de la conquête et du colonialisme, recourir pour le justifier au principe de l'universalité du droit de vote, c'était céder au totalitarisme des droits individuels – le péché mignon du Canada – pour perpétuer les inégalités collectives, en l'occurrence les inégalités nationales. C'est une belle hypocrisie de croire que le vote en bloc de la nation canadienne-anglaise n'était pas une grossière interférence dans le droit d'un peuple à disposer de lui-même.


Qu'un tel égarement se soit produit à deux reprises souligne l'état d'indigence politique d'une nation qui a perdu ses repères. Une nation canadienne-française sûre de son identité ne l'aurait pas permis. On peut imaginer d'autres scénarios à la Duplessis, laissé voter les anglos, pour ensuite revendiquer la victoire, refusant leur blocage ou veto de minorité coloniale. Parizeau aurait pu le faire, mais il ne l'a pas fait. Dans une telle éventualité canadienne-française, Duplessis se serait trouvé, par la vertu d'un hasard improbable, en parfait accord avec Lénine sur le sujet. Ce dernier a toujours pris parti pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. C'est ce droit qui est le grand perdant des deux référendums. Voilà qui interpelle de nouveau la gauche d'aujourd'hui.


Le fond de l'affaire est une question de droit. Le droit de vote des habitants d'un territoire pluri-national l'emporte-t-il sur le droit d'un peuple à disposer de lui-même ? Le droit de vote universel supplante-t-il le droit d'une nation à exister et à pérenniser son existence ? L'exaltation totalitaire des droits individuels, et leur expression sur un territoire formé par un décret colonial, peuvent-ils nier un droit collectif ? Que la question soit traitée sous l'angle du droit naturel classique ou sous l'angle d'un droit anglais judaïsé, cela pourrait faire toute la différence. Néanmoins, comment se fait-il que les gouvernements successifs du Parti québécois n'ont jamais tenté de clarifier cette question ? Établir la part des deux droits, sachant que la minorité de blocage détient des privilèges issus d'une conquête ? Tout simplement parce que les gouvernements du Parti québécois n'ont jamais été ceux de la nation canadienne-française, mais les gouvernements de tous les Québécois [2] , dans le sens canadian.


Poursuivons. Nos marxistes de Québec solidaire pourraient-ils nous expliquer pourquoi une constituante ne devrait pas être précédée d'états généraux au sein de chaque nation ? On peut penser qu'ils accorderaient ce droit aux 11 Premières Nations. Mais à nous ? Il nous faudrait rétro-pédaler parce que nous avons renoncé à notre identité socio-historique de Canadiens-Français. Ce qui n'était pas encore le cas en 1967-1969, à l'occasion  des états-généraux du Canada français : la dernière grande consultation intra-nationale. Ce qui faisait la preuve que la nation pouvait agir sans son chaperon ! Le pourrait-elle encore ?


Au lieu de renforcer nos repères identitaires, par exemple nous rattacher plus étroitement à la Nouvelle-France, période la plus remarquable de notre histoire, la révolution tranquille les a affaiblis. Elle a contribué à octroyer le plus naïvement du monde un véritable droit de veto sur notre avenir politique et sur notre existence même, à une minorité de blocage. Un non sens ! Une absurdité ! Une minorité statistique de blocage, certes, – il est temps de s'ouvrir les yeux là-dessus – mais qui n'a rien d'une minorité sociologique. De cette distinction capitale, on n'a pas voulu tenir compte. Voilà où nous a mené l'identité québécoise !


En France comme au Québec (et ailleurs), les élites politiques et intellectuelles se sont rangées du coté du droit anglais, qu'ils laissent façonner leur vision du monde. La pensée nationaliste québécoise en est perclus. Depuis Martin Luther, les Anglais se sont éloignés des perfectionnements du droit romain qui se trouvent dans le droit international coutumier et le droit continental. Les anglo-saxons protestants se sont rapprochés du droit judaïque, qui tend à faire du pouvoir et de la volonté les seuls critères du droit. La loi constitutionnelle de 1982 en est une preuve. Suivant la même logique, une conquête violente devient un acte créateur de droits consacrés. Dans ce cadre menaçant, laisser aller notre identité historique, qui est passée de la Nouvelle-France pour survivre à la conquête, c'est franchir une étape vers notre indistinction et notre dépossession définitive.




Références




  1. ^ Pour ceux qui ne comprendraient pas, citer Staline n'est pas porter un jugement sur l'ensemble de l'oeuvre. Lénine idem. Ceux que ça intéresse peuvent se rendre ici.

  2. ^ « … le Québec de "tous les Québécois" indifférenciés n'est pas un vrai peuple, mais une partie de ce peuple canadien qui tient la nation canadienne-française en sujétion. » F-A Angers



Featured 11c309e183a1007b8a20bca425a04fae

Gilles Verrier140 articles

  • 225 555

Entrepreneur à la retraite, intellectuel à force de curiosité et autodidacte. Je tiens de mon père un intérêt précoce pour les affaires publiques. Partenaire de Vigile avec Bernard Frappier pour initier à contre-courant la relance d'un souverainisme ambitieux, peu après le référendum de 1995. On peut communiquer avec moi et commenter mon blogue : http://gilles-verrier.blogspot.ca





Laissez un commentaire



2 commentaires

  • Gilles Verrier Répondre

    2 novembre 2018

    Je dédie ma présente chronique au Colloque annuel Quelque chose comme un grand peuple, de l’Institut de recherche sur le Québec, qui aura lieu samedi, 3 novembre, à Montréal. La rencontre propose une X ième « réflexion de grande ampleur sur la situation et l’avenir du nationalisme québécois. »


    Plusieurs des figures habituelles identifiées à la question nationale seront sur place. J'ai envoyé le message suivant à tous ceux que j'ai pu rejoindre : 



    Beaucoup répètent que les indépendantistes se retrouvent devant une tâche immense. On s'accorde à dire qu'il n’est désormais plus possible d’éviter le bilan critique. On reconnaît que le parti qui s’est arc-bouté depuis vingt ans pour résister à la révision de son paradigme politique ne peut plus y résister. 

    Pourtant, tous ceux qui lancent ces appels à une « réflexion de grande ampleur » semblent être les premiers à  y résister, à faire l'économie d'une révision du paradigme. Quand vient le temps de passer aux solutions, ils finissent par ne proposer que des changements cosmétiques, des gestes à coté de la plaque et des voeux pieux. Leurs analyses ne s'engage jamais sur un changement de paradigme, comme si le parti formé il y a cinquante ans par des scissionnistes du parti libéral avait établi une fois pour toute les termes du combat national !  Voici donc, pour une fois, une analyse qui s'attaque à la doctrine devenue un dogme. Car, s'il y a quelque chose qui ne marche pas avec le péquisme et ses prolongements historiques (QS, BQ, etc.) c'est bien sa doctrine.



  • Me Christian Néron Répondre

    31 octobre 2018

     Je signe !


    Les deux référendum ont permis à la  «  communauté aux droits consacrés  »


    d'exercer son droit de véto sur l'avenir politique de la dite « nation québécoise ».



    Dans le Petit Larousse on lit que  « consacré » veut dire «  ratifié par l'usage  ».


    Pour  paraphraser l'expression de George Brown, Père de la Confédération, on


    pourrait  dire «  ratifié par la soumission des descendants des vaincus devant les


    descendants des vainqueurs ».



    Il s'agit simplement d'une relation de pouvoir  dans laquelle nous trouvons tou-


    jours moyen de finir perdants.