Crise de la dette américaine

Pour une gouvernance globale

Crise mondiale — crise financière



La présente crise des dettes publiques des pays occidentaux illustre bien la soumission des États au marché. Des États souverains ont confié au marché les rênes de l'action économique. Une loi américaine consacre ainsi le rôle des agences de notation, comme Standard & Poor's, en exigeant que les investisseurs institutionnels n'achètent que des titres bien notés par ces agences qui font, à cet égard, l'objet d'un agrément par l'État américain.
Les «opinions» de ces agences acquièrent, ce faisant, un statut éminent puisqu'elles sont reconnues par la loi et deviennent, par ce simple fait, un quasi-oracle s'imposant aux hordes moutonnières du marché. Le marché impose aussi son calendrier aux démocraties européennes en forçant la Banque centrale européenne à acheter des créances espagnoles et italiennes alors que ce rôle ne lui revient pas et devrait être rempli par le Fonds européen de stabilisation financière (FESF), dont les pouvoirs et les fonctions ont été accrus dans l'accord européen du 21 juillet dernier relatif au sauvetage de la Grèce. Cet accord, pour entrer en vigueur, doit être ratifié par les 17 parlements de la zone euro en septembre.
Mais le marché ne saurait attendre ces caprices démocratiques et les États souverains sont sommés d'agir immédiatement pour le rassurer et, surtout, offrir des garanties de remboursement en cas de défaut. On a beaucoup glosé sur l'absence d'un gouvernement économique de la zone euro qui expliquerait l'ampleur de la crise actuelle. Le marché, pourtant allergique à la régulation, réclamerait ici un cadre régulatoire propre à faciliter la gestion monétaire et financière globale. Aux États-Unis aussi, on lit, dans la presse, que le marché attend des signaux forts de l'État central. On peut se demander ce que l'expression «signaux forts» signifie: une plus grande régulation des activités financières globales? Ou, là encore, une garantie de remboursement en cas de défaut?
Aucune régulation
La crise actuelle apparaît, sous beaucoup d'aspects, comme la continuation de la crise commencée en 2007-2008, c'est-à-dire une crise liée à l'absence de régulation. La crise de 2008, avec la faillite de la banque d'affaires Lehman Brothers, a été l'objet de toutes les promesses, notamment celle de développer une réponse globale à ce qui constitue, aujourd'hui, l'ordinaire de l'économie, à savoir la nature foncièrement globale des marchés. La réponse a été insuffisante, pour ne pas dire décevante.
Au plan national, aux États-Unis par exemple, la loi Dodd-Frank de régulation financière de juillet 2010 ne fait même pas référence au rôle des agences de notation (dont la légèreté des opinions au regard des subprimes notamment a été largement commentée), ni ne réglemente le marché des produits dérivés, ni ne corrige le court-termisme qui grève aujourd'hui l'entreprise et privilégie les intérêts égoïstes et immédiats de ses dirigeants par le biais des primes.
Au plan international, le G20 n'a pas été en mesure de concrétiser les multiples recommandations relatives à la gestion globale de l'économie mondiale. Les pays de la zone euro n'ont pas non plus démontré un leadership affirmé dans la conduite de leur monnaie et des affaires économiques, alors que ceux-ci sont habitués aux modes de cogestion par leur appartenance à l'Union européenne. Bref, nous continuons à souffrir de l'absence d'une régulation globale adéquate.
L'approche des États est forcément nationale alors que celle des marchés est maintenant globale. Les outils d'intervention de l'État, par la loi notamment, dans la régulation de l'économie sont d'abord nationaux. Leur effet est bien évidemment limité au territoire de l'État national alors que les conditions économiques à gérer sont dorénavant transnationales ou globales. Ainsi, il existe une dissonance critique entre les réalités économiques à régir et les outils d'intervention nationaux.
Action globale nécessaire
À l'heure de la mondialisation, il apparaît difficile, voire impossible pour un État de conduire une politique économique réellement autonome, puisque les conditions économiques générales échappent en bonne partie à son emprise régulatrice. La nature globale des marchés commande une action régulatoire qui soit également globale. Les États ne pourront demeurer des acteurs crédibles et efficaces que s'ils unissent leurs efforts afin de répondre collectivement aux défis de la gestion de l'économie mondialisée.
On aurait pu croire que les pays de la zone euro constituaient un modèle à suivre, mais il est clair que les mécanismes d'intégration et de coopération ont été insuffisants; se heurtant aux égoïsmes nationaux, ils n'ont pas pu relever les défis posés par la crise des dettes souveraines. Il faut aller plus loin dans la coopération et instaurer une véritable instance européenne capable de gérer la monnaie et ses effets au-delà des considérations nationales (fiscalité, budget, contrôle des dépenses, équilibre budgétaire, etc.). L'exercice n'est pas facile et il apparaît que les compétences du FESF sont insuffisantes pour remplir ce rôle.
On devine aisément que l'instauration d'une instance globale de gouvernance des affaires économiques représente un défi majeur en Europe alors que celle-ci est pourtant déjà dotée d'un cadre normatif, l'Union européenne, qui devrait, en principe, faciliter ce passage vers une plus grande intégration des outils de régulation économique. On imagine alors le degré de difficulté auquel font face les pays non européens, comme le Canada, membre de l'ALENA.
Le G20 doit donc être mis à contribution afin d'atténuer cette logique des blocs commerciaux régionaux et de tendre vers cette nécessaire réglementation mondiale des marchés. Il ne s'agit pas pour l'État de renoncer à tous ses pouvoirs souverains (régaliens), mais simplement d'accepter une gestion commune de phénomènes qui échappent de toute façon à l'exercice de sa souveraineté.
De la politique dans l'économie
Certains historiens ont affirmé que l'action des marchands du Moyen-Âge avait commandé la création de l'État moderne. Afin d'assurer la sécurité physique et juridique des marchands dans une Europe médiévale fragmentée en une multitude de duchés et de principautés, il devenait nécessaire d'imaginer une structure propre à faciliter les échanges commerciaux et la mobilité: l'État. On pourrait avancer que la mondialisation commande également la création de structures susceptibles de faciliter la conduite des affaires globales.
Il importe de réinjecter du politique dans le débat économique. Les États ne peuvent être des pantins dans les mains des acteurs économiques. Ils doivent pouvoir imposer aux marchés l'intérêt collectif des peuples. Il n'y a pas que la mondialisation économique — et les crises qu'elles suscitent — qui justifie une gouvernance globale. Il y a aussi une mondialisation des risques (environnement, criminalité internationale, terrorisme, etc.) qui requiert une action normative globale. Une telle délégation de pouvoirs souverains à des institutions globales doit bien entendu assurer aux peuples la possibilité démocratique de se faire entendre. Pas simplement par leurs représentants nationaux, mais également par celles et ceux qui les représenteront dans ces institutions globales.
Le défi démocratique est formidable. La désaffection des Européens à l'endroit de l'Union s'explique en bonne partie par un déficit démocratique de leurs institutions. Tant et aussi longtemps que les États ne s'engageront pas dans la voie de la gouvernance globale, les crises succéderont aux crises et l'État apparaîtra impuissant à ses citoyens. Or cette impuissance ne peut manquer d'ouvrir la porte à tous les populismes et de constituer une menace pour la démocratie. La gouvernance globale constitue le meilleur moyen pour l'État de répondre à ses devoirs et d'assurer sa pertinence et sa pérennité.
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Karim Benyekhlef, directeur scientifique du CERIUM, Faculté de droit de l'Université de Montréal

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Directeur scientifique du CERIUM, Faculté de droit de l’Université de Montréal





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