Pour qui roule le train?

Un système de transport à deux vitesses

Chronique de Pierre Gouin

Les petits hommes d’affaires du Québec et leurs chambres de commerce ont applaudi à l’annonce du projet de train électrique proposé par la Caisse de dépôt et placement du Québec. La conférence de presse était accrocheuse et les vautours se sont mis à saliver à la perspective d’une dépense de cinq milliards de dollars dans l’économie. Ils ne se trompent pas, il y a de l’argent à faire. L’argent viendra des contribuables du Québec et, doublement, pour les utilisateurs de ce système de transport.

C’est une erreur de croire qu’un tel projet contribue à l’enrichissement des Québécois. Une fois construite l’infrastructure ne pourra que transporter les travailleurs qui ont déjà un bon emploi. Le dynamisme de l’économie doit venir d’ailleurs et peut être stimulé par une bonne politique industrielle. Dans la logique des supporteurs il faudrait construire un train de 10 milliards qui ferait aussi plaisir à l’Est, au Sud et au Nord. On a construit deux hôpitaux universitaires plutôt qu’un avec la même logique. Les dépenses en infrastructures doivent plutôt être planifiées en tenant compte de la croissance économique future. Pourquoi est-ce qu’il faut se payer les infrastructures les meilleures au monde tandis qu’on nous dit qu’on n’est plus assez riche pour se payer des services sociaux de base?

Un système de transport de 3 milliards de dollars serait peut-être plus raisonnable, mais deux milliards de plus ou de moins…

Les économistes qui proposent l’électrification des transports pour créer un nouveau secteur de pointe exportateur de technologie le conçoivent dans le cadre d’une stratégie industrielle visant à maximiser les retombées du projet au Québec. Il est peut-être un peu tard pour les innovations majeures dans ce domaine mais le projet de la Caisse ne s’embarrasse pas de telles préoccupations. Elle a déjà annoncé que Bombardier sera sur le même pied que les autres fournisseurs et ne doit s’attendre à aucun biais en sa faveur. Elle affirme qu’elle est un gestionnaire rigoureux et qu’elle doit privilégier les meilleures offres, mais elle s’attend que le gouvernement en mauvais gestionnaire accepte le projet de la Caisse sans magasiner. À moins que, étant actionnaire de Bombardier en conflit d’intérêt, elle ait demandé au gouvernement et à des groupes de pression de lui imposer Bombardier comme partenaire.

La Caisse affirme que ce n’est pas à elle de gérer le dossier du transport en commun, que c’est au gouvernement, mais du même souffle elle avertit qu’il n’est pas question que le trajet proposé soit modifié. On comprend que la gestion qui revient au gouvernement c’est de convaincre la populace que le projet de la Caisse est un cadeau du ciel. Le gouvernement pourra aussi planifier ce qui sera laissé en plan par la Caisse qui ne s’intéresse qu’aux quartiers payants. On en arrive à la limite de l’effacement de l’État. Des ministères en coopération avec la ville de Montréal, auraient pu élaborer un projet de transport en commun en accord avec les besoins de la population et tenant compte des intérêts divergents des différents groupes. Faute d’une démocratie en santé on se retrouve avec la dictature éclairée de la Caisse et une offre qu’on ne pourrait pas refuser. On élit des gouvernements qui ne veulent plus chercher le meilleur équilibre entre les différents intérêts dans la société, en gros le capital et les travailleurs, ces gouvernements ont choisi leur camp.

L’arrogance de la Caisse dans ce dossier est sans borne. Elle a eu peu d’effort à faire pour amasser les milliards dont elle dispose pour jouer les matamores, tous ces milliards elle les obtient automatiquement de la population du Québec, en vertu des lois en vigueur. C’est bien comme ça, mais il ne faudrait pas l’oublier. De plus, si le gouvernement allait en appel d’offre international pour financer en PPP un projet comme celui de la Caisse, il pourrait obtenir plusieurs offres aussi intéressantes que celle de la Caisse. Si l’investissement est bon pour la Caisse il est bon pour d’autres grands investisseurs également. Je suis d’accord pour qu’on privilégie la Caisse mais elle devrait en être reconnaissante et demeurer modeste.

La Caisse justifie financièrement son projet comme étant une opportunité d’obtenir un flux de revenus modérés mais constants, à faible risque. Pourtant les projets d’infrastructures avec des engagements à long terme sont reconnus comme étant risqués. Des imprévus peuvent survenir, durant la construction et l’exploitation sur plus de vingt ans, qui ne résultent pas nécessairement d’une mauvaise gestion. La Caisse peut tenter d’inclure dans le contrat des clauses assurant que les risques soient supportés par le gouvernement et les utilisateurs du système. Si elle ne réussit pas à se protéger totalement, les déposants à la Caisse, contribuables, retraités et travailleurs du secteur public, vont aussi payer les pots cassés.

Dans le présent contexte de surplus mondial d’épargne et de rendements médiocres qui en découlent, son projet de train électrique répond parfaitement aux besoins de la Caisse. Il faudrait s’assurer qu’il réponde aussi aux besoins de la population, et qu’elle en ait pour son argent.


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2 commentaires

  • Jean Lespérance Répondre

    6 mai 2016

    D'après ce que je vois, c'est un projet concocté en vitesse par la ville de Montréal avec la complicité de Sabia qui en principe se mêle de ce qui ne le regarde pas. Il n'appartient pas à la Caisse de dépôt de se mêler de nos infrastructures. Mais parce que le projet présenté en toute vitesse à cause des subventions d'Ottawa semble intéressant et il l'est d'un certain point de vue, on ferme les yeux sur l'irrégularité ou l'arrogance de la Caisse de dépôt qui tente de nous convaincre que c'est un projet qui va faire des profits. Depuis quand les transports en commun font-ils des profits? On nous prend tout simplement pour des idiots ou simples d'esprit.
    C'est très facile de nous proposer un projet utilisant des lignes de chemin de fer déjà existantes, à l'exception de la ligne d'aéroport, mais on peut faire mieux. Je suggère une nouvelle ligne partant de Cartier, Laval passant par le pont Viau et empruntant Christophe-Colomb en longeant le parc St-Paul de la Croix, et celui d'André Grasset, parc du Centre Claude Robillard, parc Villeray, parc Laurier, parc Lafontaine jusqu'à René-Lévesque et University pour emprunter l'autoroute Bonaventure et passer sur le pont Champlain. Pourquoi cette nouvelle ligne en négligeant certaines autres? Pour résoudre l'épineux problème de l'engorgement de la ligne orange. Et de cette nouvelle ligne, on pourrait aller vers l'est qui est négligé. Bien sûr qu'une ligne menant à l'aéroport est essentiel, de même qu'une ligne qui passe sur le pont Champlain, mais peut-on réfléchir sur ce que je propose?
    Ce que je propose est plus compliqué, mais plus intelligent. Si le projet présenté est supposément rentable, pourquoi Investissement Québec de concert avec Hydro-Québec n'auraient-ils pas investi dans le projet présenté?
    Un gouvernement bougon trouve toujours un moyen bougon de parvenir à ses fins, mais tout en étant bougon, ne pourrait-il pas se montrer plus intelligent en acceptant quelque chose de mieux? Il peut, tout est une question d'intelligence ou de bonne volonté.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 mai 2016

    Correction: j'aurais dû écrire « avec les villes intéressées » plutôt que « avec la Ville de Montréal ».