Point chaud - «Il faut sortir du capitalisme»

L’ampleur des crises environnementales nous oblige à changer de système économique, dit le journaliste français Hervé Kempf

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Une question de survie

Les preuves de la gravité des crises environnementales ne cessent de s’accumuler et militent clairement pour une sortie du système économique capitaliste, basé sur une croissance prétendument infinie. Une vérité qui dérange les intérêts financiers qui possèdent les grands médias de la planète, estime le journaliste et écrivain français Hervé Kempf.

« Nous sommes dans un système économique qui a eu un succès et des qualités, mais c’est maintenant un système qui entre en contradiction avec la nécessité de rétablir un équilibre entre l’activité humaine et les régulations de la biosphère. En fait, le conflit est très fort. Donc, le capitalisme n’a plus d’avenir. C’est une idée morte. Il est temps de passer de la larve capitaliste au papillon écologiste. »

Témoin de l’évolution des problématiques environnementales depuis près de trente ans, il estime que le fait de traiter de ces questions, en tant que journaliste, conduit pour ainsi dire naturellement à poser la question de la remise en question du capitalisme. « Si on raconte la question environnementale de façon attentive, on arrive au constat que le système économique actuel non seulement ne résout pas les problèmes, mais les aggrave. Or, il se trouve que le système actuel, c’est le capitalisme. Donc, un journalisme environnemental conséquent conduit à poser la question du système économique. »

Comment, par exemple, cautionner les impacts environnementaux de l’exploitation des sables bitumineux, au nom de la croissance économique et de la profitabilité d’entreprises ? « Je suis allé sur place, à Fort McMurray, j’ai fait des reportages sur le sujet, souligne M. Kempf. C’était sidérant. C’est un désastre environnemental incontestable. D’un point de vue environnemental, c’est inacceptable. Mais il y a aussi d’autres points de vue que le point de vue environnemental. Il peut y avoir un point de vue économique. Mais pour un journaliste en environnement, tous les faits, le discours des scientifiques et les analyses nous démontrent que c’est indéfendable. »

Le même constat vaut pour les conséquences du consumérisme effréné qui caractérise les pays occidentaux. La somme des indicateurs environnementaux met en lumière le fait que notre mode de vie ne peut s’étendre à l’ensemble de l’humanité sans compromettre irrémédiablement la vie sur terre. C’est d’ailleurs le constat auquel il arrive dans son dernier ouvrage, intitulé Fin de l’Occident, naissance du monde. Hervé Kempf y souligne que la tendance mondiale vers une forme d’homogénéisation de la consommation matérielle et énergétique pose de sérieux risques environnementaux.

Le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat doit d’ailleurs confirmer vendredi, dans un rapport très attendu, que la crise climatique est extrêmement sévère. Son président, Rajendra Pachauri, a déjà prévenu au début du mois qu’il est maintenant « minuit moins cinq » pour tenter de trouver une issue viable aux bouleversements climatiques.

Une vérité qui dérange

Or, le fait de rappeler constamment les échecs du système actuel dérange. « Ça peut ne pas plaire à certains intérêts économiques, notamment ceux qui possèdent les journaux, mais c’est la vérité », laisse tomber le journaliste. Il ne s’étonne d’ailleurs pas que les médias couvrent peu, ou alors mal, les questions environnementales. Même le prestigieux New York Times, rappelle Hervé Kempf, a aboli son service consacré à ce secteur.

« Qui possède les grands médias ?, lance-t-il. La question est aussi simple que cela. Les grands médias, les plus influents, sont possédés par des intérêts économiques, des gens qui disposent de beaucoup de capitaux. Ils veulent se servir de leurs médias pour servir leurs intérêts. Or, le suivi attentif des questions écologiques, à un moment, remet en cause le point de vue des intérêts économiques, qui est le point de vue néolibéral, l’obsession de la croissance, etc. »

Lui-même vient de quitter Le Monde, où il couvrait le secteur environnemental depuis 1998. « Je suis parti parce qu’on m’empêchait de faire du journalisme environnemental sur [le projet aéroportuaire controversé] Notre-Dame des Landes. » Il juge que la direction du quotidien, passé en 2010 aux mains d’intérêts financiers multimillionnaires, a voulu le museler.

Certains lui reprochent cependant de franchir la mince ligne entre le journalisme et le militantisme environnemental. « Je lis The Economist, le Wall Street Journal, Les Échos, etc., réplique Hervé Kempf. Ils ont un point de vue extrêmement marqué que je trouve totalement idéologique. Ces journaux sont des médias engagés, militants et idéologiques. »

« S’ils le reconnaissent, je peux bien dire que j’ai la conviction que la question écologique est fondamentale à l’époque où nous vivons. C’est la question la plus importante parce qu’il y a un enjeu de maintien de la possibilité, pour les sociétés humaines, de vivre dans la dignité et l’équilibre. Si on laisse la crise écologique s’aggraver, on va aller vers un désordre des sociétés humaines. »


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