Pleins feux sur l’évasion fiscale

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Il ne s'agit pourtant pas d'un phénomène nouveau. Pourquoi a-t-on fermé les yeux jusqu'ici, et pourquoi les ouvre-t-on maintenant ?


L’ICIJ a mis la main il y a plusieurs mois sur un disque dur contenant une importante quantité d’informations inédites. Celles-ci promettent de nombreuses révélations dans les prochaines semaines. Les informations auraient filtré depuis deux sociétés offrant des services offshore à Singapour et aux îles Vierges.
La somme de mémos internes, copies de passeports, pièces comptables et autres documents officiels représente environ 162 fois ce que WikiLeaks a pu divulguer dans le passé (notamment les câbles diplomatiques secrets). Au total, quelque 100 000 personnes de tous horizons, dont près de 450 Canadiens (une cinquantaine au Québec), sont mentionnées dans les documents.
La liste fait saliver le gouvernement canadien. La ministre du Revenu, Gail Shea, a demandé à l’ICIJ de lui « remettre [les documents] afin de permettre au gouvernement de sévir contre les fraudeurs de l’impôt ». L’Agence de revenu a quant à elle indiqué qu’elle « consulte d’autres administrations et s’efforce d’obtenir les renseignements dont il est question ».

Efforts concertés
Au nombre des médias appelés à collaborer avec l’ICIJ - un réseau indépendant dédié au journalisme d’enquête -, on trouve CBC/Radio-Canada, Le Monde, The Guardian, la BBC et The Washington Post. Tous ont contribué à décortiquer, décoder, comparer et classer les informations. Selon l’ICIJ, il s’agit de la « plus grande collaboration journalistique internationale de l’histoire ».
Dans un blogue publié jeudi, une journaliste du Monde racontait la grande valeur des documents et l’ampleur du défi de traitement. Le disque dur « fourmille de renseignements précis, souvent codés, sur l’identité des administrateurs et les actionnaires de ces sociétés établies dans les îles Vierges britanniques, aux Caïmans, aux îles Cook, aux Samoa, à Singapour », écrit Anne Michel. Des sociétés dont « l’existence à l’abri de ces juridictions opaques aurait dû rester secrète, loin des yeux des régulateurs et des autorités fiscales ».
Depuis mercredi soir, les médias ont commencé à diffuser l’information reçue. Avec prudence, toutefois : les documents révèlent certes les noms de détenteurs d’intérêts dans des paradis fiscaux, mais les opérations identifiées ne sont pas nécessairement illégales.
On note pour le moment dans la liste des noms celui du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, qui aurait quatre sociétés offshore aux îles Vierges à son nom ou à celui de son épouse et de ses filles. Y figurent aussi la célèbre collectionneuse d’art espagnole Carmen Thyssen-Bornemisza, la fille aînée de l’ancien dictateur philippin Ferdinand Marcos, Maria, et Olga Chouvalova, la femme d’Igor Chouvalov, un homme d’affaires proche du président russe Vladimir Poutine et titulaire du poste de vice-premier ministre.
Aux États-Unis, 4000 Américains sont mentionnés dans les fichiers. Une collectrice de fonds pour le Parti démocrate, Denise Rich, est du nombre. Son ex-mari, le magnat du pétrole Marc Rich, avait été gracié en 2001 par Bill Clinton après avoir été condamné pour fraude fiscale.
Pour Alain Deneault, auteur d’Offshore, paradis fiscaux et souveraineté criminelle, l’exercice a déjà prouvé sa valeur. « L’opération met à mal le secret bancaire, dit-il en entretien. Jusqu’ici, il était difficile de parler de sociétés sur lesquelles on avait peu d’informations. Alors, on faisait comme si elles n’existaient pas. Ce n’est plus le cas. On veut savoir, la population est curieuse, les journalistes aussi, et on ébranle le secret » de l’évasion fiscale.
Alain Deneault espère que les « offshore leaks » permettront à la population « de prendre conscience du caractère légal » de plusieurs manoeuvres d’évasion fiscale, de manière à en faire un « enjeu politique »… et amener des changements.

Hollande touché
Même au compte-gouttes, les premières révélations de l’ICIJ ont provoqué de nombreuses réactions. En France, le président François Hollande a été embarrassé par la divulgation des activités de son trésorier de campagne, Jean-Jacques Augier. Selon Le Monde, M. Augier est actionnaire de deux sociétés offshore dans les îles Caïmans, par le biais d’un holding financier. Il a reconnu les faits, mais soutenu qu’il n’y avait rien là d’illégal.
La nouvelle tombe mal pour le président, déjà affecté par la démission récente de son ministre du Budget, Jérôme Cahuzac. Ce dernier a nié pendant des mois avoir possédé un compte à la banque suisse UBS, avant de reconnaître les faits. Ce compte n’avait jamais été déclaré au fisc.
En Grèce, le gouvernement a décidé de lancer une enquête sur les comptes d’une centaine de sociétés grecques offshore inconnues de ses services fiscaux et dont l’existence a été révélée par les documents de l’ICIJ. Ces dispositifs offshore ont constitué pendant des années un des vecteurs clés de l’évasion fiscale endémique dans ce pays.
La Commission européenne a profité de l’occasion pour exhorter les États membres de l’Union européenne à « se saisir de la question » de l’évasion fiscale qui coûte « plus de 1000 milliards d’euros par an à l’Europe ». L’organisation de lutte contre la corruption Global Witness a pour sa part estimé que les pays du G8 n’avaient désormais « plus d’excuse pour ne pas agir » contre la fraude.
Selon elle, les pays du G8 devraient « exiger la publication des noms des propriétaires bénéficiaires ultimes de toutes ces sociétés » offshore enregistrées dans des paradis fiscaux. Ils donneraient ainsi « un énorme coup de fouet aux efforts pour réduire la corruption et le crime financier dans le monde », croit Global Witness.
Au Canada, le dossier a permis au gouvernement de réitérer son intention de lutter plus activement contre le problème. Le dernier budget Flaherty fait de la lutte contre l’évasion fiscale un élément important du retour à l’équilibre budgétaire.

Avec l’Agence France-Presse et Le Monde


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