Pitié pour Tsipras, camarades !

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Tsipras demeure malgré tout le symbole d'une gauche qui se couche devant Bruxelles


 

 




Ce n’est pas Syriza qui a perdu hier, c’est une certaine conception de l’Europe qui a gagné. Nuance.




Entre les larmes de crocodile des europhiles et les imprécations de la gauche, il est difficile de garder la tête froide face à la défaite de Syriza et de Tsipras dimanche. Il avait anticipé des législatives après son échec aux Européennes qu’il avait couplées avec des municipales, ce qui s’était révélé désastreux.



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Recevoir des félicitations d’un Jean Quatremer ou d’un Wolfang Schauble ces derniers mois, être considéré à Bruxelles que vous êtes un grand homme d’Etat, c’est mauvais signe, il est vrai. Un grand homme d’Etat, pour un commissaire bruxellois, c’est surtout un politique qui obéit aux ordres. Tsipras l’a fait parce qu’on lui a tordu le bras dès le début, et que la manière dont il a pu exploiter au maximum son infime marge de manœuvre pour faire un peu de social n’aura pas suffi.


Tsipras n’est pas un salaud


Il n’y a pas pourtant pas à proprement parler d' »échec » de Syriza. Il y a un échec quand on est libre de mener une politique et que cette politique échoue. Il est aussi absurde de parler d’échec de Syriza qu’il serait absurde de parler d’échec d’Allende au Chili en 73 ou de Dubcek à Prague en 68. On a écrasé, en 2015, un vote populaire et un parti de gauche radicale avec des distributeurs de billets bloqués, plutôt que par des chars, c’est tout.



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La défaite de Tsipras, ce n’est pas la défaite d’un salaud qui se serait vendu à la social-démocratie, c’est la preuve que l’Union Européenne n’est pas une démocratie et que les « pays frères » qui ne jouent pas le jeu seront punis. De toute manière, dans l’UE, vous pouvez tranquillement mener une politique raciste, antisémite, en finir avec la liberté de la presse et l’indépendance de la justice, revenir sur l’avortement, cogner sur vos minorités, tant que vous êtes dans les clous des 3% de déficit ou à peu près, que vous taillez dans votre fonction publique, que vous dérégulez le marché du travail et que vous privatisez les bijoux de famille, ça va, on peut fermer les yeux. Mais ne vous avisez pas, comme Tsipras, d’être de gauche. Ou même simplement keynésien. Là, c’est la punition assurée.


 

Jérôme Leroy manifeste avec les Grecs


On rappellera, en plus, la légère schizophrénie du peuple grec durant l’été 2015. Il vote non au referendum, envoyant balader Bruxelles, mais il est presque soulagé quand trois jours après Tsipras se déjuge sous la pression allemande. La preuve, il le réélit aux législatives de septembre de la même année: pas mal, pour un « traître ». L’auteur de ce billet manifestait à Athènes le 15 juillet 2015, il se souvient des forces antiémeutes, juste devant le parlement où les Evzones paradaient toujours de manière surréaliste. Il se souvient des anarchistes, des black blocs, jeunes, souvent masqués, décidés à en découdre. Plus bas, de l’immense défilé du PAME, l’organisation politico-syndicale du KKE, le parti communiste « maintenu ».


Les députés débattaient à la Vouli dans une atmosphère qui ressemblait à celle de Munich, par exemple, quand toutes les solutions sont mauvaises, ce qui est la définition de la tragédie, cette spécialité grecque.


Et maintenant…


Tsipras vient d’être remplacé par un jeune hiérarque d’une vieille dynastie affairiste. C’est en partie de sa faute et de sa politique trop accommodante, sans doute. Mais pas seulement. Je n’aime pas brûler ce que j’ai adoré, surtout que je n’ai pas été le seul à le faire. Je me souviens d’une soirée particulièrement joyeuse en janvier 2015 quand Tsipras a été élu, je crois même me souvenir que les copains qui étaient plutôt pour ces chers vieux stals du KKE n’étaient pas les derniers à reprendre un verre…


Alors pitié pour Tsipras, camarades ! Quant aux autres qui se frottent les mains du côté de la Commission, qu’ils sachent que cette essai grec d’échapper au piège finalement très macronien de l’acceptation du libéralisme ou de l’enfermement dans le nationalisme (Aube dorée, l’extrême droite locale n’a jamais vraiment pris), n’était que la première tentative en Europe.


Et qu’elle ne sera pas la dernière.