Pétrole: pour un contre-manifeste

Le texte de Bernard Landry, Monique Jérôme-Forget et cie n’est pas fondé sur une analyse rigoureuse, mais sur un sophisme

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Et vlan!

Le texte « Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole » d’André Bisson, Bernard Landry, Joseph Facal, etc. propose quelques prémisses de nature économique, certaines vérifiables — dette du Québec, vieillissement de la population, etc. —, d’autres absolument non vérifiées et hautement spéculatives — « des milliards de barils seraient disponibles à l’Île d’Anticosti » — afin de lancer un appel en faveur de l’exploration/exploitation du pétrole au Québec.

Ce n’est pas là une analyse bien rigoureuse, car on y retrouve essentiellement le sophisme assez simpliste :

1. Le Québec a besoin d’argent (OK, rien à redire à ça) ;

2. Le pétrole génère de l’argent (dans des gisements rentables, pas automatiquement) ;

3. Le Québec dispose de pétrole (un peu vite en affaire ici !) ;

4. Ce pétrole va créer des retombées économiques majeures pour le Québec.

À l’appui de cette « démonstration », le manifeste a comme sources six références : 1 et 2 traitent de la dette du Québec ; 3, un texte sur le vieillissement de la population, une spécificité québécoise (ailleurs, on ne vieillit pas ?) ; 4 et 5, deux références sur le déficit de la balance commerciale; finalement 6, un texte sur l’industrie pétrolière de l’Ohio, produit par deux auteurs fortement liés à cette industrie que le manifeste cite improprement comme « les autorités » de l’État : « En Ohio, pour une formation géologique similaire à celle de l’île d’Anticosti, les shales d’Utica, les autorités ont estimé… »

Or, ce texte de 2011 est écrit par:

l’Ohio Oil and Gas Energy Education Program. Or, sur oogeep.org, on peut lire que l’OOGEEP « est fondé, sur une base volontaire, par l’industrie du pétrole brut et du gaz naturel de l’Ohio en fonction d’une évaluation volontaire de la production de tout le pétrole brut et le gaz naturel produit dans l’Ohio. OOGEEP n’est pas une agence d’État » [traduction du Devoir].

… et un bureau privé de marketing : Kleinhenz Associates Ltd, Wealth Management.

On ne peut, à partir de cette source, confirmer l’existence de milliards de barils à Anticosti. On ne peut pas seulement parler de barils disponibles comme le font les auteurs du manifeste, sans aucune analyse des coûts. À la colonne des revenus, il faut ajouter la colonne des dépenses. Or à Anticosti, les coûts estimés dépassent de loin les revenus potentiels. Il y a peut-être 40 milliards de barils en place, mais comme au Dakota, c’est environ 1,2 % qui est peut-être récupérable par les puits. On récolterait donc à 100 $/baril un peu moins de 50 milliards, en supposant bien sûr que la totalité de l’île serait exploitée. Cela demanderait au minimum 12 000 puits d’extraction qui ont un coût unitaire de 10 millions chacun, ce qui donne des dépenses de 120 milliards. Personne ne va suivre les promoteurs avec ces estimations largement déficitaires. Personne n’investira 120 milliards pour espérer récupérer 50 milliards de production.
Hauts standards environnementaux

Le manifeste recommande que l’exploration et l’exploitation se fassent en fonction de hauts standards de protection de l’environnement. Il n’est même pas nécessaire d’en demander autant pour exclure la quasi-totalité de l’île d’Anticosti, car la structure géologique du gisement Macasty ne permet pas d’y fracturer le schiste en appliquant simplement les standards les plus ordinaires, notamment la norme de 1000 m entre le bas des nappes et le haut de l’extension de la fracturation hydraulique que l’industrie se vante de respecter aux États-Unis. Bien loin d’envisager de hauts standards, le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs tente plutôt d’abaisser cette obligation à moins de 400 m dans une règle sur mesure pour contourner à Anticosti cet obstacle géologique.

Supposons (ce qui n’est pas le cas, mais admettons…) qu’il y ait d’immenses réserves de pétrole en Gaspésie par exemple, l’analyse rationnelle d’exploiter ou pas n’aurait rien à voir avec les prémisses du manifeste. Supposons a contrario que le Québec soit riche, sans dette, sans vieillissement de la population, etc. On prendrait aussi assurément la décision d’exploiter cette ressource indépendamment de toutes les raisons invoquées dans le manifeste ; mon petit neveu ado me dirait juste « ça n’a pas rap » ! Et il aurait raison. On pourrait aussi aligner les mêmes prémisses pour invoquer la nécessité d’exploiter n’importe quelle autre ressource (par ex. la forêt boréale). Ça n’aurait aussi « pas rap » avec les prémisses ; et on pourrait y accoler le même type de conclusion.

À la fin du manifeste, les auteurs écrivent : « Nous lançons un appel à l’ensemble des parties prenantes de la société pour qu’elles fournissent des informations vérifiées et qu’elles évitent d’entretenir ou de nourrir des craintes non justifiées uniquement pour contribuer à la défense de leur cause. » Fort bien ! Mais hélas, il faudra attendre encore un peu, car ce n’est certes pas leur document qui apporte des informations vérifiées !

Par conséquent, j’ajoute donc mon propre appel « à l’ensemble des parties prenantes de la société pour qu’elles fournissent des informations vérifiées et qu’elles évitent d’entretenir ou de nourrir des illusions économiques, basées sur des chiffres farfelus fournis essentiellement par des promoteurs pour contribuer à la défense d’intérêts financiers immédiats au détriment des générations qui suivront ».


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