Bien qu’officiellement, il n’y ait jamais eu au Canada une situation de santé publique d’envergure nationale qui a nécessité l’application de la Loi sur les mesures d’urgence, on a toutefois débattu de la possibilité que la pandémie de COVID-19 entraîne sous peu une telle situation.
Il importe donc de bien comprendre le fonctionnement du cadre juridique canadien entourant les interventions d’urgence en matière de santé publique et de définir les outils susceptibles de faciliter ces interventions.
Un enjeu se pose d’emblée : au Canada, la répartition des pouvoirs prévue par la Constitution limite la capacité du gouvernement fédéral à intervenir en cas d’urgence de santé publique.
Dans un contexte de fédéralisme constitutionnel, la compétence fédérale, centralisée, côtoie la gouvernance provinciale, et ce, sans que l’une soit assujettie à l’autre.
Au Canada, le domaine de la santé ne relève pas vraiment d’un ordre de gouvernement particulier. Autrement dit, les autorités fédérales et provinciales se partagent les responsabilités en matière de santé publique.
Les lois canadiennes sur les urgences de santé publique
La Constitution canadienne définit l’autorité des provinces en matière de santé publique ainsi que leur compétence aux fins de la prestation des soins de santé et de la coordination des interventions d’urgence.
La compétence du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé publique découle de plusieurs sources, notamment le pouvoir de mise en quarantaine que prévoient les dispositions des Lois constitutionnelles de 1867 et de 1982.
Fondée sur ce pouvoir et adoptée en 2005, la Loi sur la mise en quarantaine permet au gouvernement fédéral de confiner ou de mettre en quarantaine toute personne franchissant la frontière canadienne. En vertu de sa compétence en matière de droit criminel, également décrite dans la Loi constitutionnelle, le fédéral détient en outre une certaine compétence dans le domaine de la santé.
La loi permet par ailleurs au gouvernement fédéral de légiférer « pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada », notamment en situation d’urgence nationale.
La Loi anti-inflation adoptée en 1976 définit une urgence nationale comme une situation « qui met en danger le bien-être de l’ensemble de la population du Canada et exige que le Parlement intervienne de façon vigoureuse dans l’intérêt du pays ». Cette doctrine s’appliquerait également aux urgences de santé publique.
Deux lois créées reposent sur les pouvoirs d’urgence du gouvernement fédéral. Tout d’abord, la Loi sur la gestion des urgences de 2007 encadre l’assistance accordée aux provinces en cas d’urgence et coordonne la réponse des institutions fédérales avec les provinces. La loi ne permet pas une intervention unilatérale du fédéral, mais fournit une structure favorisant une collaboration volontaire entre divers ordres de gouvernement.
Nul besoin de la coopération des provinces
La Loi sur les mesures d’urgence de 1985, quant à elle, va plus loin en autorisant le gouvernement fédéral à déclarer un état de crise nationale et à agir par la suite sans la coopération des provinces.
Une situation de crise nationale « résulte d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire, auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada ».
Quatre types de situations de crise sont précisés : état de guerre, état de crise internationale, état d’urgence et sinistre. Un sinistre est causé par « les événements suivants ou par l’imminence de ceux-ci : maladies affectant les humains, les animaux ou les végétaux et comportant le risque de pertes humaines et matérielles, de bouleversements sociaux ou d’une interruption de l’acheminement des denrées… et services essentiels ».
Pour être considérée comme une crise nationale, une situation doit « échappe[r] à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces ». Si elle dote le gouvernement fédéral de pouvoirs extraordinaires, elle ne peut donc être invoquée que si une crise échappe au contrôle des provinces.
L’efficacité de la Loi sur les mesures d’urgence est discutable durant une pandémie, car les autorités fédérales ne peuvent intervenir que lorsque la propagation dépasse les capacités de réaction des provinces. Or, la meilleure réponse à une pandémie est d’arrêter la progression de la maladie transmissible le plus tôt possible.
Composer avec l’absence d’autorité au palier fédéral
Deux options ont été avancées pour remédier au manque d’autorité au palier fédéral en cas d’urgence de santé publique à l’échelle nationale.
Les deux possibilités visent à accroître le pouvoir du gouvernement fédéral vis-à-vis des provinces. Le Parlement pourrait ainsi modifier la Loi sur les mesures d’urgence pour que le gouvernement fédéral puisse plus facilement déclarer un sinistre. Pour ce faire, il y ajouterait une disposition autorisant le fédéral à invoquer une telle mesure si une situation risquait de se transformer en crise nationale.
Une autre option serait d’interpréter de manière plus large le pouvoir de mise en quarantaine du gouvernement fédéral. La Constitution autorise en effet celui-ci à recourir à des mesures de confinement ou de mise en quarantaine. Depuis sa première ébauche en 1867, d’autres techniques de contrôle des maladies ont toutefois vu le jour, dont la vaccination et les médicaments prophylactiques.
Certains soutiennent que les premiers auteurs de la Constitution visaient à accorder une grande latitude en matière de protection de la santé publique qui devrait être prise en compte dans le pouvoir de mise en quarantaine.
Pour le moment, la pandémie de COVID-19 ne constitue pas une urgence de santé publique à l’échelle nationale, et jusqu’à présent, la majorité des provinces a réagi en coordination avec le gouvernement fédéral.
Cela dit, la situation pourrait empirer. Et compte tenu des limites structurales du fédéralisme canadien, le recours à la Loi sur les mesures d’urgence pourrait entraîner des conflits entre les gouvernements provinciaux et fédéral.
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