Ben Laden? « J'ai une excellente idée de l'endroit où il se trouve. Prochaine question? ». Tels sont les mots du directeur de la CIA en juin 2005. Plus que jamais, à l'approche du cinquième anniversaire des attentats du 11 septembre et tandis qu'Al-Jazira diffuse de nouvelles vidéos des dirigeants d'Al Qaida, la question revient, lancinante...
Localiser Ben Laden...
De toute évidence, les Américains et les Pakistanais estiment être en mesure de localiser précisément Ben Laden. En 2002, l'opération Anaconda avait forcé le chef d'Al Qaida à se retrancher dans la zone frontalière du Nord-Ouest du Pakistan : le Waziristan Sud. Cette zone tribale, située schématiquement entre Peshawar et la frontière afghane est soustraite de fait à l'autorité du gouvernement pakistanais. Pourtant, en raison des pressions des États-Unis, le président Pervez Moucharraf y a dépêché en cinq ans près de 80 000 militaires, dans un combat sans merci contre les fondamentalistes de la région et à la poursuite de Ben Laden. Celui-ci reste introuvable. Il faut dire que la frontière pakistano-afghane est extrêmement poreuse : pics enneigés et profondes vallées s'enchaînent à l'infini, offrant autant de passages d'un côté à l'autre de la frontière, sans que nul gouvernement ne soit en mesure de les contrôler. Côté pakistanais, Ben Laden serait donc dans la région du Waziristan Sud. Côté Afghan, on le dit un peu plus au Nord, dans les régions du Kounar et du Nouristan. Avions espions U-2 et drones de reconnaissance de la CIA sillonnent les cieux pour détecter les mouvements, et intercepter des communications : Ben Laden est en ligne de mire.
Et l'arrêter ?
Pourtant, cinq années après le 11 septembre, il court encore... Et l'on aurait presque le sentiment que l'urgence de son arrestation est moins imminente, moins pressante. Il est certain que les différents pays impliqués dans cette traque ont évalué le potentiel de son arrestation. À vrai dire, les États-Unis et le Pakistan peuvent-ils vraiment courir le risque d'aller le chercher au cœur des zones tribales pachtounes, dans un territoire que nul ne contrôle, au risque de perdre de nombreux soldats ? Dans le même temps, peut-on l'arrêter, le traduire devant un tribunal pénal international et, ce faisant, lui offrir la tribune d'un procès retransmis par les médias ? Peut-on courir le risque de le tuer et d'en faire un martyr ? La situation interne du Pakistan doit également être envisagée. En effet, il s'agit d'un pays doté de l'arme nucléaire, au bord de l'implosion, tiraillé entre ses inflexions pro-américaines et la croissance ininterrompue du mouvement islamiste. La capture de Ben Laden pourrait alors, compte tenu du pouvoir des fondamentalistes musulmans, soulever les foules et déstabiliser l'ensemble du pays. Dans cette logique, Pervez Moucharraf n'a aucun intérêt à trouver Ben Laden car il y perdrait des soldats en grand nombre, le (relatif) soutien des islamistes et l'appui américain... Preuve en est, les autorités pakistanaises ont conclu le 5 septembre un accord avec les zones tribales prévoyant notamment d'y limiter les interventions militaires. Quant aux États-Unis, peuvent-ils vraiment se permettre de créer - fût-ce au nom de la justice et de la démocratie (sic) - un troisième État failli au Pakistan, après l'Afghanistan et l'Irak ? Après tout, cinq ans plus tard, il ne s'agit peut-être plus tant de trouver Ben Laden - puisque l'on sait où il se trouve - que d'enrayer les effets dévastateurs de son idéologie.
Pierre-Louis Malfatto et Élisabeth Vallet
Chercheurs à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques (UQAM) et co-auteurs de l'ouvrage « Le 11 septembre, cinq ans plus tard » paru au Septentrion.
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