Les changements proposés surviennent alors que SNC-Lavalin est soupçonnée d’avoir versé 160 millions au régime Kadhafi

Ottawa sévira davantage contre la corruption à l’étranger

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La corruption, une pratique d'affaires généralisée au Canada

Ottawa — Le gouvernement fédéral veut serrer la vis aux compagnies canadiennes qui versent des pots-de-vin aux représentants des gouvernements étrangers où elles font affaire.
Autant le gouvernement canadien souhaite le « succès des entreprises canadiennes, […] notre gouvernement s’attend aussi à ce qu’[elles] respectent les règles du jeu », a fait valoir mardi le ministre des Affaires étrangères, John Baird, en annonçant les amendements de son gouvernement à la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers. L’objectif : « dissuader encore plus, voire d’empêcher les sociétés canadiennes de corrompre des agents publics étrangers ».
Pour ce faire, Ottawa veut permettre la poursuite de tout individu de nationalité canadienne. La loi actuelle oblige le gouvernement à établir un lien substantiel de la compagnie fautive avec le Canada, en prouvant par exemple que des dirigeants de l’entreprise ont donné les ordres en sol canadien. Une preuve difficile à dénicher, ce qui avait suscité des critiques de la part de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) notamment.
La réforme prévoit d’autre part d’ajouter la falsification de livres et documents comptables à la liste d’infractions - un geste moins complexe à prouver que la corruption - et d’y inclure les simples paiements de facilitation auprès d’un agent public étranger. La loi s’appliquerait enfin à toute entreprise, qu’elle fasse ou non des profits.
Des changements qu’a salués l’un des organismes qui, comme l’OCDE, reprochait à la loi canadienne de manquer de vigueur. « En éliminant les échappatoires et limitant les exceptions qui étaient auparavant disponibles, cela rendra plus facile d’intenter des poursuites avec succès, à condition que le gouvernement s’assure que la GRC ait les ressources nécessaires pour faire appliquer [la loi] », a réagi Janet Keeping, présidente de Transparency International Canada. Son inquiétude a été partagée par l’opposition, le néodémocrate Paul Dewar notant qu’outre des changements législatifs, encore faut-il que ces derniers soient appliqués.
Or, si les amendements étaient souhaitables, Ottawa va trop loin en voulant augmenter les peines d’emprisonnement maximales pour les faire passer de 5 à 14 ans, selon l’avocate Kristine Robidoux, chef du groupe intégrité commerciale à l’échelle internationale chez Gowlings. « Ce n’est pas nécessaire, et ce n’est pas du forum du Parlement, c’est aux tribunaux [de décider] », a-t-elle reproché, estimant que les peines imposées à certaines compagnies canadiennes en dissuaderont déjà d’autres de faire de même.
Les amendements d’Ottawa surviennent à la suite des condamnations de trois entreprises albertaines, citées par le ministère des Affaires étrangères en exemple. Le cas le plus récent est celui de Griffiths Energy International, condamné à une amende de 10,35 millions le mois dernier pour avoir versé des millions de dollars en espèces et en actions à un agent du gouvernement tchadien afin d’obtenir un accès exclusif aux ressources pétrolière et gazière du pays.
SNC-Lavalin n’est pas touchée
Le geste d’Ottawa survient en outre moins d’un an après le début des problèmes chez SNC-Lavalin, un acteur majeur dans le domaine du génie-conseil qui brasse de grosses affaires à l’étranger. En mars 2012, l’entreprise a révélé qu’une enquête interne a conclu que des commissions de 56 millions avaient été versées pour projets non précisés, menant à la démission du président Pierre Duhaime, aujourd’hui accusé au criminel.
SNC-Lavalin a toujours affirmé que ces commissions, versées à des « agents commerciaux » - donc des intermédiaires -, n’étaient pas liées à la Libye. La Presse a écrit au mois d’octobre qu’une partie des 56 millions serait rattachée à l’obtention du chantier du Centre universitaire de santé McGill, un projet de 1,3 milliard. Mais une enquête a aussi été instituée en Suisse, où les autorités chercheraient la trace de 139 millions, selon un récent reportage de Radio-Canada.
À l’été 2012, quelques mois après l’éclatement du scandale, la Gendarmerie royale du Canada a signalé que deux ex-cadres de SNC-Lavalin qui habitent en Ontario avaient par ailleurs été accusés de corruption d’agents publics étrangers relativement à un projet au Bangladesh. L’année précédente, la Banque mondiale avait suspendu un prêt de 1,2 milliard qui devait justement permettre la construction du pont.
S’il a refusé de commenter ces informations sur SNC-Lavalin, le ministre Baird a reconnu que ses amendements ne seraient pas rétroactifs.
La tourmente que traverse SNC-Lavalin depuis un an, toutefois, a mené à un resserrement significatif des règles internes. Entre autres, la société, désormais dirigée par l’Américain Robert Card, a mis sur pied un « comité d’examen des agents » et instauré une « obligation de signaler toute violation ou proposition de violation au code d’éthique ». Elle a aussi embauché un expert indépendant qui doit s’exprimer sur l’évolution des mesures entreprises.


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