La deuxième quinzaine de septembre a vu s’éloigner la menace de Troisième Guerre mondiale, grâce aux visites du pape François, du mandarin Xi Jinping et du président Vladimir Poutine aux USA et à l’Onu, sans oublier le périple significatif du Premier ministre indien Narendra Modi. Ils ont fait le choix d’une saine négociation, pour leurs contentieux complexes.
Thierry Meyssan, président du Réseau Voltaire, et seul journaliste étranger présent à Damas depuis 2011, a été le premier au monde à annoncer le 24 août que l’armée russe s’engageait en Syrie, ce qui a été repris 7 jours plus tard par le site israélien YNet [1], mais sans en reconnaître le mérite au journaliste français.
J’ai rencontré Thierry Meyssan dix jours plus tard à l’hôtel Sheraton de Damas. Selon lui, « La Russie qui avait négocié une alliance régionale contre l’Émirat islamique impliquant l’Arabie saoudite, la Syrie et la Turquie a dû changer de stratégie après le revirement turc » [2]. Sur le moment, je n’ai pas prêté l’attention nécessaire à sa diatribe contre le général à la retraite John Allen, très controversé, qui a été remercié par Obama, en raison de son combat biaisé contre le djihadisme islamiste qu’il avait de facto encouragé sous la table [3].
Obama a fait une purge affectant plusieurs douzaines de miltaires de haut rang [4]. Que se passe-t-il donc ?
L’hypothèse de Thierry Meyssan est que la cabale belliciste du Pentagone et du département d’État, nommément les généraux David Petraeus et John Allen, associés au pugnace sénateur John McCain, et au « diplomate » israélo-états-unien pervers Jeffrey Feltman, visait à saboter l’accord de paix entre les USA et l’Iran [5], qui a ébranlé les plaques techtoniques de la géopolitique autour de la ligne de fracture principale de l’Asie Mineure, qui passe par la Syrie. Au moins pour le moment, la Troisième Guerre mondiale et nucléaire n’aura pas lieu [6].
De l’avis de Thierry Meyssan, le nouvel homme fort du Pentagone, Ashton Carter [7], revient aux jeux géopolitiques dans le style Kissinger, ce qui relègue aux oubliettes la confrontation avec la Russie et la Chine, style Brzeziński, avec ses montages hollywoodiens de pseudo « révolutions démocratiques » et ses anarchiques « changements de régime » qui vont de pair.
L’article de Thierry Meyssan a donc été précurseur et a apporté l’exclusivité de la coordination entre Moscou et Washinton, qui ont décidé ensemble de retirer les missiles Patriot déployés en Russie, ce qui réduisait à néant la « zone d’exclusion aérienne » de l’Otan aux frontières de la Turquie et de la Syrie, et il a devancé le sommet de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) qui a eu lieu quelques jours plus tard à Duchanbé, capitale du Tadjikistan, ce qui s’est produit avec ponctualité ; et il commente que « Contrairement à une idée reçue, ce déploiement militaire vise moins à défendre l’Irak et la République arabe syrienne que les États-membres de l’OTSC eux-mêmes » [8]. Une information de choix… Le journaliste français, qui a des origines juives respectables (quel que soit le sens de cette expression), un sépharade et antisioniste féroce, a également fixé les limites de la coopération entre le Kremlin et la Maison-Blanche, alors que la Russie veut en finir avec les djihadistes avant qu’ils se retournent contre elle « comme ce fut le cas précédemment en Afghanistan, en Bosnie-Herzégovine, en Tchétchénie et au Kosovo ».
Il considère qu’en ce moment, des éléments de l’Émirat islamique sont arrivés dans la región de Kherson, en Ukraine, où se trouve déjà un autoproclamé « gouvernement de Crimée en exil » [9]. Il existe donc un grave danger de contamination djihadiste et de connexion avec les néo-nazis d’Ukraine.
Thierry Meyssan ne croit pas à une coopération céleste entre Obama et Poutine. « Il est évident que, du côté états-unien, le retrait des Patriot est un piège. Washington serait enchanté que la Russie réduise le nombre de jihadistes, mais ne serait pas mécontent non plus si elle s’enlisait en Syrie. C’est pourquoi l’ours russe avance avec prudence ».
Après le sommet entre Obama et Poutine à l’Onu, Meyssan appelle à soutenir la nouvelle coalition du président Poutine : « En soutenant les Frères musulmans, nous avons ouvert les portes de l’enfer. Aidons les Syriens et les Irakiens à les refermer. Joignons-nous à l’appel du président Poutine » [10].
Selon Thierry Meyssan, « Le conflit qui endeuille la Syrie n’est pas une guerre civile opposant des communautés entre elles, mais une guerre entre deux projets de société ».
Il rappelle que le général « David Petraeus, contre l’avis de la Maison-Blanche, soutint le "Printemps arabe". [Mais en] 2012, la Maison-Blanche, excédée, exigea l’abdication de l’émir de Qatar et se débarrassa de David Petraeus. »
Il ajoute que « Face au déferlement ininterrompu de jihadistes venus du monde entier, y compris de chez nous [pays occidentaux, quelle que soit la limite qu’on imagine pour l’Occcident], les Syriens ont choisi de sauver leur Peuple avant de défendre leur terre ».
Jusqu’à maintenant, « 4 millions [de Syriens] se sont réfugiés dans les pays voisins, tandis que 8 millions ont pu se protéger en rejoignant les territoires administrés par la République. Sur les 19 millions restant en Syrie, près de 500 000 se trouvent sous l’emprise des jihadistes, répartis sur un territoire immense ». C’est exactement l’origine de la tragique migration massive vers l’Europe.
On affirme que 30 000 djihadistes étrangers sont arrivés en Irak et en Syrie et qu’ils iront bientôt déstabiliser la Russie dans le Caucase et la Chine dans la province musulmane du Xinjiang.
Thierry Meyssan considère que « nous restons aveuglés par la propagande de guerre de nos alliés [sic], comme celle de l’"OSDH", une officine londonienne des Frères musulmans, ou du "Conseil national", une assemblée non-élue, dominée par les Frères ». Hélas !
Le Premier ministre israélien, Bibi Netanyahu, a compris la nouvelle donne en Syrie, et il s’est précipité à Moscou pour avoir un entretien avec le tsar Vlady Poutine [11].
Même le Financial Times, porte parole du néolibéralisme belliciste/financiériste global assimile que malgré les échanges d’accusations mutuelles à l’Onu, les présidents Obama et Poutine se sont mis d’accord pour collaborer dans la mesure du posible pour en finir avec la guerre en Syrie [12] et juguler enfin la pandémie djihadiste dans le Moyen-Orient élargi, qui a déstabilisé l’Europe.
Nous verrons comment vont réagir les quatre grandes puissances islamiques, face à cette nouvelle donne : l’Iran, la Turquie, l’Arabie Saoudite et l’Égypte. Pour le moment, un porte-avions chinois est stationné en Méditerrannée, devant le port syrien de Tartous, pour soutenir l’Iran et la Russie, selon Debka, un site lié au Mossad.
[1] “Russian jets in Syrian skies”, Alex Fishman, YNet, August 31, 2015. Information confirmée par Israël Shamir, sur la base de sources au sein du cabinet du président Poutine : “Russia and Syria : The Die Is Cast”, Israël Shamir, September 3, 2015. Version française traduite par Maria Poumier « Syrie, les dés sont jetés », Entre la plume et l’enclume.
[2] « L’armée russe commence à s’engager en Syrie », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 24 août 2015.
[3] “Obama’s Islamic State War Czar Stepping Down”, Josh Rogin & Eli Lake, Bloomberg, September 22, 2015.
[4] “Why Are Dozens Of High Ranking Officers Being Purged From The U.S. Military ?”, Michael Snyder, End of the American Dream, January 16, 2014.
[5] « La tentative Allen-Erdoğan de sabotage de l’accord de paix USA-Iran », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 31 juillet 2015.
[6] « La 3ème Guerre mondiale n’aura pas lieu », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 28 septembre 2015.
[7] « Ashton Carter nomme le nouveau stratège du Pentagone », Réseau Voltaire, 17 mai 2015.
[8] « L’OTSC arrive en Irak et en Syrie », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 21 septembre 2015.
[9] « L’Ukraine et la Turquie créent une Brigade internationale islamique contre la Russie », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 12 août 2015.
[10] « Unissons-nous contre le projet d’Al-Qaïda et de Daesh », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 30 septembre 2015.
[11] “Putin’s Speech Shows UN Who’s in Charge”, Anshel Pfeffer, Haaretz, September 29, 2015.
[12] “US and Russia cast some light on Syria”, Geoff Dyer, Financial Times, September 29, 2015.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé