Notre-Dame, le fonctionnaire et l’âne (petite réflexion sur les premières fuites de l’enquête)

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Incendie de Notre-Dame : de graves manquements à la sécurité


En 1972, la charpente et la toiture de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes ont brûlé. Un ouvrier couvreur en charge de travaux de réfection avait mis le feu avec son chalumeau. Au terme de huit années de procédures, l’État avait été reconnu responsable de ce sinistre parce qu’il n’avait pas dépoussiéré les combles. S’il fallait établir un seul retour sur expérience, une seule conclusion de ce triste incendie, c’est que malgré l’âge vénérable qu’elles affichent, les cathédrales de France présentent des fragilités et qu’il conviendrait de les protéger.


L’enquête sur l’incendie ayant ravagé la charpente et la toiture de Notre-Dame de Paris, le 15 avril dernier, se poursuit et, bien sûr, des informations fuitent. Le Monde a publié un article sous la plume d’Emeline Cazi qui pointe du doigt une incurie digne des écuries d’Augias.


Le système de sécurité mis en place en 2014 prévoyait une permanence de deux personnes à temps plein avec, pour seule mission, la sécurité incendie de la cathédrale : un pour surveiller le tableau de bord, un pour se déplacer sur les alertes, lever les doutes ou confirmer un sinistre. Mais ce binôme ne dure pas. Un surveillant « ordinaire » de la cathédrale remplace l’intervenant mobile, sur demande.


Puis les dysfonctionnements s’accumulent et sont consciencieusement notés sur la main courante, ou reportés aux responsables pour les plus graves. Des effectifs insuffisants pour s’entraîner, se déplacer et bien connaître les lieux, faire des rondes de prévention, permettre à la personne en charge de la surveillance de satisfaire ses besoins naturels. Des formations insuffisantes. Des alertes qui identifient un point A quand elles concernent un point Z. Des travaux de meulage effectués sans que la sécurité en soit informée. De nombreux mégots trouvés dans les combles. Des agents qui ne se présentent pas à leur poste. Mais ni l’architecte, ni la DRAC 1 ne considèrent opportun une remise en ordre.


Ainsi, le 15 avril 2019, le salarié de permanence au PC sécurité avait pris son poste à 7 h 30 le matin. Sa vacation devait se terminer à 15 h 00, mais son remplaçant ne s’est pas présenté, alors il enchaîne une deuxième vacation, censée se terminer à 23 h 00. C’était son troisième jour de travail dans la cathédrale. À 18 h 18, la première alerte indique un feu « combles nef/sacristie ». L’agent missionné pour confirmer ou lever le doute se rend dans les combles de la sacristie où il ne constate aucun feu. Une première évacuation de la cathédrale est cependant ordonnée à 18 h 23. Visiteurs et fidèles reviendront vers 18 h 35. Les personnes sur place cherchent à se renseigner, la documentation manque, le temps presse. Une seconde alerte générale sonne à 18 h 45. Le feu est confirmé à 18 h 48 et l’alerte est donnée aux pompiers, une nouvelle évacuation est lancée. Je ne sais pas s’il aurait été possible de limiter le sinistre si cette demi-heure n’avait pas été perdue.


Notre attachement national à Descartes nous fait chérir le concept de bijection entre une cause et un effet 2. La vraie vie est plus compliquée. Une multitude de causes combinées et indissociables entre elles produisent des effets. Cela se vérifie tant pour les chutes d’avions que pour les incendies de cathédrales. Il n’est pas question, au vu de ces informations fuitées de l’enquête, de sombrer dans un complotisme primaire et de voir un attentat criminel. Sauf à considérer que la bêtise, la lâcheté, l’impéritie, la naïveté ou tout ce qui a pu motiver l’inaction des fonctionnaires responsables relève du terrorisme. « Un âne ne trébuche jamais deux fois sur la même pierre », dit un proverbe flamand. « Un homme, si », complète la sagesse populaire. Fût-il fonctionnaire français, et dès lors présumé de droit de divin.