Mort d’un accoucheur

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Décès du cinéaste Jean-Claude Labrecque



Vous savez quelle image m’est venue en tête lorsque j’ai appris la triste nouvelle du décès du cinéaste Jean-Claude Labrecque ?




Celle d’un homme qui filme l’accouchement de sa femme.




DE BÉBÉ À ADULTE




Car c’est cela qu’a fait ce grand artiste tout au long de sa carrière.




Il a filmé la naissance du Québec moderne.




Des premières contractions jusqu’au cri du nouveau-né.




L’œil rivé à sa caméra, qu’il plantait toujours « à hauteur d’homme », Labrecque (toujours vêtu de sa légendaire veste bleue qui ne le quittait jamais) a enregistré sur pellicule la longue marche du Québec vers la modernité.




Il n’a manqué aucune étape.




Tout est là, dans les 34 films qu’il a réalisés.




Duplessis et la grande noirceur (Les vautours).




Le Refus global et la révolte des artistes contre le conformisme et le clergé catholique (Claude Gauvreau).




La naissance du mouvement souverainiste (La visite du général de Gaulle au Québec, RIN).




La révolte des Québécois francophones contre l’establishment canadien-anglais, qui les considérait comme des « nègres blancs » (La nuit de la poésie 27 mars 1970, avec le magnifique poème Speak White de Michèle Lalonde, qui nous donne encore des frissons 50 ans plus tard).




L’émergence du FLQ, qui prônait la libération nationale par la lutte armée (Les Smattes, Les années de rêves).




Bref, un long processus d’éveil et d’épanouissement qui a culminé avec Les Jeux de la 21e Olympiade, où le Québec est devenu, pendant quelques jours, le centre du monde.




L’HISTOIRE EN GROS PLAN




Un mot sur le magnifique film que Labrecque a consacré aux Jeux de 1976.




De tous les documentaires sportifs que j’ai vus, c’est le plus touchant.




Et le plus fort.




Il résume toute l’approche de ce grand artiste.




Car ce ne sont pas les performances, le faste de l’événement ou les records qui intéressent le réalisateur : c’est l’athlète, l’individu.




Ses espoirs, ses déceptions.




On n’avait jamais filmé le sport de façon aussi humaine. Son film est presque une suite de gros plans sur les visages des athlètes.




On sue avec eux, on souffre avec eux, on partage tout ce qu’ils vivent, on a peur, on jubile, on pleure.




C’est comme ça que Labrecque a filmé l’histoire du Québec pendant 40 ans.




Pas l’histoire vue d’en haut. Mais vue d’en bas.




Par les hommes et les femmes qui l’ont faite.








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Quand on filme l’histoire d’en haut, en panoramique, on la raconte en sachant ce qui s’est passé après.




Mais quand on la filme d’en bas, en gros plan, on ne sait pas.




Labrecque filmait l’histoire pendant qu’elle se faisait.




Avec ses hésitations. Ses éclats de colère. Ses doutes.




LA RÉGRESSION TRANQUILLE




Dans À hauteur d’homme, son documentaire sur la campagne de Bernard Landry en 2003, Labrecque a filmé un Québec qui bégayait.




Qui se cherchait. Qui tentait de sortir d’un cul-de-sac.




Après le réveil, le début du déclin. La politique non pas comme sport de combat, mais comme jeu cruel, pour ne pas dire exécution publique.




Aujourd’hui, le Québec ne peut plus relever la tête sans qu’on l’insulte. Ce sont les Québécois francophones, maintenant, qu’on traite d’exploiteurs.




À entendre certains, c’est nous qui crions « Speak White » aux minorités.




L’histoire joue décidément de bien vilains tours.




Reposez en paix, Monsieur.