Le journalisme est-il possible sous contrainte patronale?

Métier de journaliste

Que choisir entre la vérité et le gagne-pain ?

Tribune libre


Je viens de lire le témoignage de John Swinton, ancien rédacteur en chef du New York Time qui s’est permis, lors de son discours d’adieu, de dire la vérité sans craindre de perdre son emploi. Son histoire, à n’en pas douter, rejoint le vécu de nombreux journalistes. Ces derniers sont souvent mis dans une situation telle, que pour ne pas perdre leur emploi et assurer leur gagne-pain, doivent sacrifier la vérité des faits pour celle du patron.

“Chaque semaine, on me paie pour ne pas exprimer mes opinions sincères dans le journal auquel je suis lié. D’autres parmi vous reçoivent un salaire semblable pour faire des choses semblables. Celui d’entre vous qui serait assez fou pour écrire ce qu’il pense vraiment se retrouverait à la rue, contraint de chercher un autre emploi. Si je me laissais aller à exprimer ce que je pense dans une des éditions de mon journal, mon activité professionnelle prendrait fin au bout de 24 heures. Le travail du journaliste consiste à détruire la vérité, à mentir autant que nécessaire, à déformer les faits, à diffamer, à ramper au pied du Veau d’or et à trahir sa famille et son pays pour gagner son pain quotidien. Vous le savez tout comme moi. C’est très bête de se réjouir de la liberté de la presse. Nous sommes des fantoches qui dansent tout en tirant les ficelles. Nos capacités, nos moyens et nos vies sont la propriété d’autres personnes. Nous sommes des prostitués intellectuels.»

Encore une fois, le monde demeure confronté à un sérieux problème d’information crédible de la part des médias dominants de nos sociétés. Il n’est pas question, ici, de l’anecdote du fait divers qui se passe au coin de la rue ou dans le village voisin, mais de celle qui conditionne notre façon de voir et de comprendre ce qui se passe dans le monde. Le Québec, pas plus qu’ailleurs, n’échappe à cette distorsion de l’information aux fins voulues par ceux qui en ont le plein contrôle. Il suffit de penser à la couverture faite par nos médias de la grève des étudiants. Tout a été fait avec grand soin : le choix des images à présenter au grand public, le choix des invités pour les entrevues, le discours des commentateurs, la répétition de certains mots qui frappent l’imagination. Ce sont là autant d’éléments qui conditionnent l’orientation que l’on souhaite donner à la nouvelle.

Pas plus tard que cette fin de semaine ci, Benoît XVI dans la tourmente d’une crise qui frappe actuellement le Vatican, découvre tout d’un coup que les médias ne sont pas toujours paroles d’évangile. Il a exprimé “son désarroi devant une information qui n’a plus rien à voir avec l’éthique de la vérité et de la reconnaissance objective des faits.” Parlant sans texte, il dénonça “une culture où compte l’esprit de calomnie et où le mensonge se présente sous les habits de l’information. Il y a une culture du mal, une domination du mal dont il convient de s’émanciper et de se libérer. Il a demandé aux chrétiens de dire non à un type de culture où la vérité ne compte pas, où compte seulement la sensation, l’esprit de calomnie et de destruction, une culture qui ne cherche pas le bien, dont le moralisme est un masque pour confondre et détruire, où le mensonge se présente sous les habits de la vérité et de l'information.”

Par ces propos, il rejoint ce que plusieurs pensent et dénoncent depuis longtemps. Il n’est jamais trop tard pour en prendre conscience.

Je pense qu’il faut rendre hommage à tous ceux et à toutes celles qui rappellent, sans se lasser, aux journalistes de s’en tenir à leur véritable mission d’information et d’analyse, permettant ainsi de mieux faire comprendre ce qui se passe dans notre monde. J’ai pour ces derniers une très grande admiration. J’ajouterai, pour finir, que si certains journalistes prennent plaisir à sacrifier la vérité des faits au profit des intérêts du patron, d’autres y résistent ou le font à contrecœur, les impératifs de leur gagne-pain y étant conditionnés. De véritables problèmes de conscience se posent et à chacun d’y répondre en étant fidèle à lui-même.

Oscar Fortin
Québec, le 13 juin 2012
http://humanisme.blogspot.com

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Formation en Science Politique et en théologie. Expérience de travail en relations et coopération internationales ainsi que dans les milieux populaires. Actuellement retraité et sans cesse interpellé par tout ce qui peut rendre nos sociétés plus humaines.





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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2012

    @Donzelague Une autre fois merci pour votre commentaire. L'idée du retrait de cette petite phrase m'est venu une fois mon commentaire expédié à Vigile. Quant au second point, portant sur le personnage John Swinston, j'ai pensé que la référence introduite dans mon commentaire apportait ces précisions.
    http://www.vigile.net/La-presse-libre-n-existe-pas
    Je reconnais toutefois l'importance de bien situer les personnages qui occupent une place centrale dans un article. Un peu comme je l'ai fait tout récemment avec le président de la Banque mondiale qui annonçait, comme un prophète, que les jours de Chavez étaient comptés.
    http://www.vigile.net/Les-jours-de-Chavez-sont-comptes
    Je suis heureux de votre mise au point quant à la désinformation à laquelle faisait référence votre premier commentaire.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2012

    Merci de m'avoir répondu, Monsieur Fortin, et surtout d'avoir retiré de votre texte la phrase portant le plus à confusion (même si vous ne l'indiquez pas dans votre réponse).

    Il me semble aussi, en tout respect, que pour plus de clarté vous devriez situer Swinton dans le temps par les dates 1829-1901 entre parenthèses.

    En ce qui concerne mon allusion à de la désinformation, il s'agissait bien sûr d'une boutade. Je ne remettais aucunement en question le fond de votre billet. Juste le fait qu'il puisse induire en erreur.
    Bien à vous,
    Donzelague

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2012

    Monsieur Donzelague, merci pour votre commentaire. Une recherche rapide, comme vous dites, me confirme que M. John Swinton a effectivement vécu de 1829 à 1901 et que les propos qui lui sont attribués dans ma première citation ont véritablement été prononcés par ce dernier et repris à plusieurs reprises par divers médias pour illustrer la manipulation de la presse et le manque de liberté des journalistes. Sur ce point, je vous réfère à certains articles :
    http://www.mai68.org/ag/1296.htm
    http://www.vigile.net/La-presse-libre-n-existe-pas
    À cette étape, vous conviendrez qu’il n’y a aucune désinformation.
    Là où le problème se pose est cette référence à la Libye d’avant l’intervention de l’OTAN et de celle après cette intervention. Il est évident que les propos de la seconde citation ne peuvent lui être attribués. Le texte original qui a servi de référence pour la traduction, réalisée par Horizons et Débats ( http://www.horizons-et-debats.ch/ )
    a été retiré ( http://drnikisahak.blogspot.ca/2011/12/man-who-came-to-dinner-or ), ce qui ne permet pas d’en comprendre sa structure. Il faudrait plutôt attribuer cet exemple de la Libye à l’auteur de l’article, rappelant ce discours de John Swinton. Encore là, tout en reconnaissant que cette intervention sur la Libye ne peut être de John Swinton, il faut tout même reconnaître que ce qui en est dit correspond à une réalité confirmée par de nombreux témoins.
    http://etoilenoire.hautetfort.com/archive/2011/06/17/la-vie-en-libye-sous-kadhafi-ce-qu-on-ne-vous-dit-pas.html
    http://www.enquete-debat.fr/archives/pourquoi-les-libyens-aiment-le-colonel-kadhafi
    Ceci dit, je ne vois donc aucune désinformation relative aux propos de l’auteur, cités dans le premier extrait de mon texte. Je n’en vois pas plus dans ce qui y est dit de la Libye. Mon erreur a effectivement été de lui attribuer la seconde citation pour les raisons plus haut mentionnées. Par contre ce qui est dit de la Libye correspond à une réalité confirmée par plusieurs et à ce titre, il n’y a aucune désinformation et encore moins une intention de désinformer.
    Avec tout mon respect

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2012

    Monsieur Fortin,
    Vérifiez-vous les sources que vous rapportez et/ou les lisez vous attentivement? Parce que personnellement je suis curieux et j'ai tenté d'en savoir plus sur ce John Swinton. Or, en quelques clics, j'ai appris qu'il avait vécu de 1829 à 1901. Il fut bien rédacteur en chef du NY Times dans les années soixante. Dix-huit cent soixante...
    Donc, assez difficile pour lui d'avoir une opinion ou de présenter un "témoignage" sur la Libye de Kadhafi, vous en conviendrez...
    Or vous dites: "Pour illustrer son propos, il donne une tout autre version de l’histoire relative à la situation de la population libyenne sous le régime de Kadhafi (...)Un témoignage à lire au complet."
    N'auriez-vous pas lu trop vite et confondu la (longue) citation de ce monsieur du 19ième siècle avec le commentaire qui la suit sur le site alterinfo.net?
    Il est si facile quand on lit trop rapidement de ne pas voir les «»...
    Rigueur, rigueur, comme disait l'autre. À moins que vous fassiez de la désinformation vous aussi...;-)

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2012

    Eh oui monsieur Fortin,
    C'est le gros problème des journalistes des médias corporatifs. Ils sont obligés de suivre la ligne éditoriale du patron sinon ils risquent de perdre leur emploi.
    Dans ces conditions, comment voulez-vous trouver de l'information objective dans les médias corporatifs?
    Pour ce qui est du pape, s'il fait tout juste de se rendre compte que les médias corporatifs dominants colportent des mensonges, il était grand temps qu'il se réveille.
    Je n'aime pas avoir à dire cela mais peut-être commence-t-il à être à la hauteur de son ministère.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2012

    Les médias traditionnels de masse - journaux, radios, télés - pour pouvoir survivre dans le monde marchand doivent inévitablement répondre à une logique marchande - les commanditaires - et répandre inévitablement l'idéologie marchande qu'ils assimilent à la "démocratie" et à la "liberté" d'entreprise.
    L'information devient ainsi une marchandise qu'il s'agit de vendre par tous les moyens possibles, alors qu'elle devrait être un outil de connaissances, de savoir et d'émancipation des citoyens.
    Le Conseil de presse n'a aucun pouvoir réel autre qu'un pouvoir moral de blâme.
    La situation de la presse au Québec est un scandale permanent.
    Pierre Cloutier