Mario ne se met jamais les pieds dans les plats

Patrick Lagacé, sur son blogue, a sarcastiquement invité Mario Dumont à manger chez lui. Surprise: Mario Dumont a accepté. Ce texte est le compte rendu du dîner, qui s'est déroulé chez notre chroniqueur.

Immigration - une politique ou de la politicaillerie ?


Couscous ou pâté chinois? «Couscous!» décrète Mario Dumont. Le chef de l'opposition ne se laisse pas démonter facilement... (Photo Armand Trottier, La Presse)


En juin dernier, La Presse a révélé où était Mario Dumont, le soir où il s'est absenté de l'Assemblée nationale qui adoptait le budget libéral. Il était à la résidence du sénateur à la retraite Leo Kolber, un pilier du financement du PLQ, mécontent du parti de Jean Charest.

Patrick Lagacé, sur son blogue, a sarcastiquement invité Mario Dumont à manger chez lui. Surprise: Mario Dumont a accepté. Ce texte est le compte rendu du dîner, qui s'est déroulé chez notre chroniqueur.
Que faire à bouffer quand Mario Dumont s'en vient dîner chez vous?
Pour la bière, c'était réglé. Le chef de l'opposition m'avait bien prévenu: il boit de la Sleeman, version Honey Brown. C'est ce qu'on a bu. Deux bières chacun. Pas d'abus. Nous n'avons même pas débouché le vin qu'il a apporté (dans un sac de la SAQ), un Syrah de la Californie (Cool Climate, 23,35 $).
Pour la bouffe, j'avais pensé à lui préparer mon légendaire poulet au sel. Ou mon saumon mijoté dans le lait de coco. C'était jusqu'à ce qu'une collègue de La Presse, appelons-la «La Louve aux dents longues», me suggère un choix de menu diabolique.
- Force-le à se mouiller, m'a-t-elle dit. Mets-le devant un choix politico-gastronomique.
- Je te suis pas, Michèle...
- Dumont, c'est l'homme des accommodements raisonnables. Il a surfé là-dessus au boutte, politiquement.
- Je te suis toujours pas.
- Tu le fais choisir. Pâté chinois ou couscous!
Génial. Tout simplement génial.
Le terroir ou l'ethnique? La bouffe des Tremblay ou celle des Mohammed?
Le vent pro-ADQ s'est vraiment levé quand Mario Dumont est devenu le premier élu québécois à pester haut et fort contre ces accommodements raisonnables, en novembre 2006. Des milliers de Québécois ont alors applaudi, tannés à tort ou à raison que le Québec-se-prosterne-devant-les-immigrants, devant les sikhs qui traînent un «couteau» à l'école, par exemple. L'ADQ, quatre mois plus tard, envoyait 41 députés à Québec. La victoire du «vrai monde», cette étrange bibitte, que comprend mieux que quiconque le député de Rivière-du-Loup.
J'ai posé simultanément devant Mario - nous nous sommes tutoyés tout au long des deux heures qu'il a passé chez moi - le pâté chinois et le couscous.
- C'est toi qui choisis, ai-je fait avec un sourire impitoyable ...
- Couscous! a-t-il décrété, pas démonté du tout. C'est tellement bon, du couscous!
Je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire avec une pincée de mauvaise foi que c'était évident qu'il allait pencher du côté berbère. L'ADQ a davantage de mangeurs de couscous à séduire que de mangeurs de pâté chinois...
Un p'tit vite
Ça ne l'a pas démonté. Rien ne démonte Mario Dumont. En deux heures de discussion, impossible de lui faire admettre des erreurs, des contradictions, des excès. Mario Dumont a réponse à tout. C'est un p'tit vite. Le champion de Génies en herbe est rapide sur ses patins, sait éviter les peaux de banane et se sortir du pétrin avec une de ses fameuses clips. Exemple: je lui dis qu'il flirte avec le simplisme, quand il mitraille à la TV ses one-liners, par ailleurs bien tournées. Réponse: «Simplifier, c'est pas invalide intellectuellement. Hubert Reeves simplifie des choses complexes. Mais ça reste valide, ce qu'il dit.»
Peut-être. Mais je l'ai poussé sur la position constitutionnelle de son parti, l'autonomisme. Je ne suis pas le seul à déceler de l'ambiguïté confuse dans cette position mitoyenne. Pour moi, l'autonomisme, c'est un peu l'équivalent politique de la bisexualité. Il n'y a rien de mal à être aux gars et aux filles, dans l'intimité. Mais peut-on être souverainiste et fédéraliste, politiquement? Je ne pense pas. C'est même de la science-fiction. Or, les explications qui sont sorties de la bouche de Mario au sujet de la position de son parti sur les relations Québec-Ottawa étaient - soyons généreux - à des années-lumière de ses proverbiales clips dévastatrices...
Pendant un court instant, le politicien du «vrai monde» et des «vraies affaires» a sorti sa scie à chaîne pour raser quelques épinettes afin de mieux parler la langue de bois. Pendant un court instant, Mario Dumont, à propos de la position constitutionnelle de son parti, parlait comme le maître absolu de la langue de bois, André Boisclair. Je m'attendais à ce que l'expression «coffre à outils» s'immisce dans la réponse. Ce ne fut pas le cas...
Toute sa vie adulte, Mario Dumont a été politicien. Résultat: le politicien est toujours là, indissociable de l'homme. Je lui demande s'il a lu un livre, récemment. Réponse: «Oui, ça s'appelle 1776, un livre sur la révolution américaine, du point de vue de ceux qui l'ont vécue.» Et Mario Dumont m'explique le livre de David McCullough, en détails, de façon imagée, en bon élève surdoué. Il me décrit avec entrain les paysans désorganisés qui ont suivi George Washington quand il a héroïquement traversé la rivière Delaware.
Pendant une minute, Mario est un gars qui explique une lecture tripante, à un autre gars, tout simplement. Puis, BANG, sans crier gare, le politicien revient au galop, effaçant le lecteur, le gars: «C'est une excellente lecture pour un adéquiste! L'armée de Washington, c'était une bande de tout-nus. Mais ils étaient à la bonne place au bon moment. Ils ont fait ce qu'ils pouvaient avec les ressources dont ils disposaient. Et avec courage...
«Tu»
J'ai rencontré Mario Dumont deux fois. Et les deux fois, naturellement, le «tu» a dominé nos échanges. Je suis incapable de vouvoyer Mario Dumont. Je ne suis pas le seul. Personne ne dit «Jean», en parlant de Jean Charest. Mais en parlant du député de Rivière-du-Loup, l'affaire est entendue. C'est «Mario». Remarquez, Mario Dumont est de loin le plus sympathique de tous les élus que j'ai rencontrés, comme journaliste.
- Pourquoi je te tutoie?
- On a le même âge. Mais ce qui est fort, c'est quand des éditorialistes sérieux titrent avec Mario. Peut-être parce que je suis entré en politique jeune? Mais jamais on ne verra «Jean» dans un titre, en parlant de Charest...
On a dit que l'ADQ, c'est le parti des régions. Mario Dumont, entre ses deux Sleeman, n'est pas d'accord. Les régions-ressources, dit-il, «l'Abitibi, le Lac-Saint-Jean, la Côte-Nord n'ont pas voté pour l'ADQ». En mars dernier, je me suis beaucoup promené au Québec, pour couvrir la campagne. Et c'est marquant: un tas d'adéquistes aiment Mario Dumont parce qu'ils le voient comme un anti-Montréalais. Il s'en défend. Il connaît bien Montréal, jure-t-il. «Je n'ai rien contre Montréal. Et il n'y a pas de fossé entre Montréal et les régions du Québec. Mais je peux te dire que les gens des régions connaissent bien mieux Montréal que l'inverse! Beaucoup de gens de Montréal vont à Paris. Mais est-ce qu'ils vont à Drummondville?!»
Encore une clip dévastatrice. Savoureuse, bien sûr. Mais ni vraie, ni fausse. Une pirouette qui arracherait un 10 à une juge de patinage artistique...
On revient sur la question de l'immigration. Car la crisette des accommodements raisonnables, l'hiver dernier, c'était ça: le Québec face à l'Étranger. Le Québec, comme bien d'autres sociétés occidentales, a besoin d'immigrants. La natalité ne suffit pas à faire face à l'avenir. À défaut de pâté chinois, il faudra accueillir du couscous, disons. Je lui demande s'il y a suffisamment d'immigrants, au Québec. Mario Dumont croit que si. Que le Québec a atteint la limite de sa capacité d'accueil d'immigrants, dit-il.
Un Québécois
J'ai dit que rien ne démonte Mario Dumont. C'est pas vrai, je ne l'ai réussi qu'une seule fois. C'était même pas le but, pourtant. Il a bafouillé quand je lui ai demandé:
- C'est quoi, un Québécois?
- Euh, je sais pas trop. C'est quelqu'un qui... qui habite au Québec.
- Mais non, Mario, pas ça. Disons que t'es en voyage. Comment tu décrirais un Québécois à un Philippin, genre...
Il a croisé les bras, embêté mais l'air heureux de se prêter à l'exercice. Mario a repris le ton qu'il avait en m'expliquant 1776. C'est le gars qui parlait, qui réfléchissait à voix haute. Pas le policitien. «Le Québécois est un créatif, a-t-il avancé, un débrouillard. Un minoritaire, qui a des affinités d'autres minoritaires, comme des Écossais, des Belges...»
Puis, changement de ton, imperceptible, le politicien est revenu au galop, avec son chapeau de chef de l'opposition: «C'est pour ça que c'est un drame que notre gouvernement soit si rigide, si réglementaire! C'est le paradoxe québécois: le peuple est créatif, mais son gouvernement ne laisse pas de place pour l'innovation...»
Dans son assiette, le couscous était disparu. L'homme qui «clipe» plus vite que son ombre ne reste jamais dans le pétrin bien longtemps.


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