Les lumières de l’auditorium s’éteignent. L’homme s’avance sur la scène au son d’une musique imposante. Les écrans multifonctionnels en arrière scène effacent la stature de l’orateur. Pourtant on sent qu’il tente de se grandir, il veut en imposer. La « rock star » en lui, mine de rien, le pousse à confier à son auditoire «C’est la plus belle journée de ma vie de politicien. C’est pour ça que j’ai voulu faire de la politique». Nous sommes le 9 mai 2011 et Jean John James Charest de Westmount, originaire de Sherbrooke, pour le moment le premier ministre « conservateur » du Québec, présente un plan à une centaine d’invités triés sur le volet. Tous sont suspendus à ses lèvres… après une quinzaine de minutes l’un des invités lance presqu’un peu trop fort une exclamation qui fera tache d’huile dans l’histoire moderne du Québec… «Ben woyons batêche! C’est le même Plan Nord de 1998 ! »
L’orateur poursuit son discours et la salle se demande : «Est-ce que le premier ministre et sa joyeuse bande de drilles ont découvert comme Christophe-Colomb un nouveau territoire à l’intérieur de la géographie existante du Québec?»
Il existe 17 régions administratives au Québec plus le territoire de la Baie-James, alors de quoi parle le Premier ministre ? D’un nouveau découpage des régions? De prélever du territoire aux uns pour en créer un nouveau?
Non, il a inventé un agrandissement par en dedans.
Le Plan Nord, et sa société de gestion « Société du Plan Nord », se superposera aux territoires des régions administratives existantes : Nord-du-Québec, Côte-Nord, Baie-James et une partie du Saguenay/Lac-Saint-Jean. Un nouveau fouillis administratif, une région au statut incertain qui fait deux fois la superficie de la France, soit environ 72% de la superficie du Québec.
On peut facilement imaginer des centaines de fonctionnaires et de gestionnaires privés sillonner le ciel auroreboréalé du nord du Québec. Voilà une bonne affaire pour les petites firmes d’aviation qui transporteront non seulement les fervents du sac à dos et mais aussi ceux de la mallette. Par contre, comme le premier ministre l’a dit, pas de nouvel argent, il faudra respecter le cadre budgétaire existant; donc il s’agit de convaincre ou de faire en sorte qu’il y ait consensus entre les élites ou les compagnies de ces régions afin de se partager collectivement les ressources gouvernementales qui leur sont déjà allouées. Pas besoin d’être devin pour comprendre qu’ils verront d’un mauvais œil le partage de leur courtepointe régionale.
Déjà les représentants des commissions scolaires d’Abitibi exclues du plan se préparent à batailler pour éviter la coupure budgétaire annoncée par Line Beauchamp et son ministère de l’Éducation. Pas facile de voir disparaître 6,9 millions $ de la région pour aller éduquer des jeunes autochtones du Nord parmi les 120 000 habitants couverts par le Plan Nord. Surtout que des mauvaises langues disent cyniquement que ce n’est pas pour sortir les jeunes autochtones du trou, mais plutôt pour les faire entrer dans celui des mines.
Pour bien comprendre la situation créée par ce plan dit révolutionnaire, un effort s’impose pour rassembler toutes les informations éparpillées, diffusées à répétition jusqu'à la nausée par les médias de Messieurs Péladeau et Desmarais.
Rembobinons la cassette. La veille de l’annonce du « Plan Nord », que se passait-il sur ces territoires?
Énergie électrique
Les Cris ont élaboré un gigantesque parc éolien avec une entreprise européenne. Ils attendent un contrat d’achat de leur production d’électricité par Hydro-Québec.
Hydro-Québec a déjà identifié 10 cours d’eau pour de futurs projets incluant un développement faiblard de l’éolien et de la géothermie.
Sur la Côte-Nord, le projet de la Romaine se concrétise.
Dans le territoire des Cris, le complexe de la Baie-James se complète avec le détournement de la Rupert vers les réservoirs de La Grande.
Soutien social
Le projet de construction de 840 maisons pour les Inuits, en partenariat avec le fédéral, a aussi débuté.
Mines
Onze projets miniers sont déjà en voie de réalisation. Ils représentent des investissements de 8,24 milliards $ d'ici cinq ans, 11 000 emplois durant leur déploiement et 4 000 emplois par an par la suite. Il s’agit d’un mini boom minier dont les raisons sont simples : des minerais à profusion, une forte demande mondiale pour les minéraux, et les règles fiscales du Québec parmi les plus avantageuses au monde pour atteindre le minerai, l’extraire, le transporter hors du Québec pour sa transformation et enrichir d’autres personnes que nous.
Présentement il y a une mine de nickel au Nunavut, une usine de transformation du cuivre et de recyclage des métaux précieux des ordinateurs à Rouyn-Noranda, les diamants aux Monts Othis, l’or en Abitibi, le fer de la Côte-Nord. Les Mines Opinaca, une filiale de la minière Goldcorp, souhaite exploiter une mine d'or près de la Baie-James. Et les promoteurs des mines d’uranium sont toujours à l’affût des filons laurentiens et de la Côte-Nord.
En décembre 2010, le gouvernement par l’entremise d’Investissement Québec a acheté 37% de la mine Stornoway. Il obtiendra une royauté de 2 % de la valeur de la production minière du projet Renard, un important gisement de diamants non exploité et situé à environ 350 km au nord de Chibougamau, dans la région de la Baie-James. En mai 2010, le potentiel de production du projet était estimé à environ 30 millions de carats de diamants sur une durée d’exploitation minière de 25 ans. La compagnie demande un allègement supplémentaire de la réglementation fiscale minière et que soient construits pour elle un accès routier de 250 km et une ligne de transport électrique. Jean Charest a donné sa bénédiction au projet. Alors, lorsque le Plan Nord annonce qu’à l’avenir le gouvernement pourrait prendre des participations dans des entreprises, c’est déjà fait.
La Canadian Century Iron Ore Corporation et la Canadian Gulf Railway Corporation souhaitent toutes deux construire un long chemin de fer dans le nord du Québec, etc…
Forêt
Suite au film de Richard Desjardins et Robert Monderie, qui a donné naissance à la Commission Coulombe, un nouveau régime forestier se déploie jusqu’en 2013. Après avoir vécu l’exploitation éhontée de la forêt boréale par des coupes à blanc, avec la complicité du gouvernement provincial, une grande partie du bois sera mise aux enchères régionalement. Deux modèles de transformation du bois font actuellement école: le complexe coopératif de Boisaco à Sacré-Cœur, près de Tadoussac, et Chantiers Chibougamau avec son bois d’ingénierie en remplacement des poutres d’acier.
Tourisme
Le tourisme au Nord du Québec est une destination pour riches seulement. Les opérateurs locaux, guides et autres bénéficiant de cette manne, surtout européenne, veulent en garder le caractère artisanal et ça fonctionne déjà très bien. Pas question d’un motel avec vue sur la mine comme à Val d’Or.
Alors le Plan Nord, de qué çé?
C’est une mise en scène par les spécialistes de la propagande du Parti Libéral du Québec pour s’enorgueillir lors des prochaines élections et éviter d’être rejeté par la population. Ce plan n’est pas vide, il contient tout ce qui est énuméré ci-haut; il s’agit simplement d’une récupération de ce qui se fait déjà pour s’en approprier les mérites. Prenons quelques exemples extraits des 172 pages du plan.
Science
De page en page, le plan d'action du Plan Nord insiste sur la nécessité absolue d’accroître nos connaissances sur la faune, la flore, la géologie de cet immense territoire très différent à de multiples égards du sud de la province. Un énorme défi d’acquisition des connaissances… et rien pour le financer! La charrue avant les bœufs, cela suppose que les recherches débuteront une fois les minières et autres installés, alors qu’ils déclareront des profits dont une infime partie ira au Fonds du Plan Nord. Nous savons tous que ce sont les actionnaires qui seront les principaux bénéficiaires des profits.
Tout le problème est justement le financement
Afin d’assurer ce plan d’affaires, le gouvernement compte sur un fonds dédié ou à fin déterminée. Comprendre ici le double jeu : le gouvernement planifie pour 5 ans, mais s’accorde le droit de modifier les sommes tous les ans; le financement est basé sur 25 ans, mais le mandat électoral du gouvernement ne dépasse pas 5 ans!
Avant même de recevoir une cenne des contributeurs au plan, la bande à Charest planifie des interventions totales de 1 625 millions $ sur 5 ans pour construire des routes, aéroports et autres infrastructures. Il devra certainement prendre l’argent du Sud pour le faire.
Qui contribuera au fonds entre 2011 et 2016
Premièrement, le Parti Libéral prévoit que les compagnies en liste devront défrayer une tranche du coût pour la construction d’une route qui ne servira qu’à eux seuls. Le reste de la tarte des coûts nous incombera, à nous citoyens.
Deuxièmement, il mise sur une partie des revenus fiscaux découlant des projets de développement économique, comme les projets miniers et hydroélectriques. Par expérience on sait qu’une compagnie minière, malgré toutes les échappatoires fiscales tant provinciales que fédérales et avec une comptabilité moyennement créative, ne déclare aucun profit avant plusieurs années. Belle contribution à prévoir!
Quant à l’hydroélectricité : seront mis à contribution les profits générés d’Hydro-Québec et des barrages privés que le gouvernement permettra encore de privatiser au détriment de la société d’État. Comme le plan ne mentionne pas les projets éoliens, il semble qu’ils soient exemptés parce que non hydrauliques.
Troisièmement, les retombées fiscales directes et indirectes liées aux projets d’infrastructures publiques seront aussi appelées à financer le Plan Nord. Qu’est-ce à dire? …tu construis une route de 10 millions, tu transferts dans le Fonds l’impôt provenant du salaire des employés, l’impôt sur les profits des compagnies, les impôts chez les vendeurs de goudron et tu couvres le 10 millions$. Ben woyons, qui paie le reste de la facture?
Quatrièmement, Hydro-Québec cotisera annuellement au Fonds du Plan Nord. Tiens voyez-vous ça? Lors de la dernière audition devant la régie de l’Énergie, HQ s’est vu refuser une hausse de tarifs et s’est même fait ordonner de baisser les tarifs existants. Voilà maintenant une occasion en or de les augmenter avec une nouvelle dépense de 10 millions $ par année qu’elle devra obligatoirement investir dans des projets sociaux. Après les arts, les fêtes de quartier et l’environnement, voilà qu’HQ fera dans le social! Ceux qui croient que ce sont les autochtones qui en bénéficieront le plus se trompent, car cet argent servira à construire des baraquements pour loger les travailleurs venant du Sud. Il faudra bien aussi augmenter le nombre de policiers, former des pompiers et surtout donner des primes à tous ces gens de la Santé qui n’iront pas s’isoler au frette pour les beaux yeux de Charest. Vous avez compris que ce montant de nouvelles dépenses sociales se reflétera sur votre facture d’électricité. Une tarification qui encore une fois pénalisera la classe moyenne basse.
Du côté protection de l’environnement
Prenons le cas de la protection de l’eau : la Politique nationale de l’eau vivote et ne sert qu’à financer les comités de bassin versant déclarés prioritaires dans le Sud du Québec. La loi de l’eau adoptée en juin 2009 n’est pas encore complètement décrétée et des industries en sont toujours exclues. Au moment où vous lisez ces lignes, le gouvernement discute du projet de loi 89 qui assouplirait les montants et la façon d’appliquer les amendes décernées aux pollueurs. Côté développement durable, la loi adoptée le 19 avril 2006 ne s’applique qu’aux ministères et organismes gouvernementaux; elle piétine depuis son adoption. Encore une fois le premier ministre insiste pour que ce soit le développement qui soit durable et non l’environnement des humains, la flore et la faune. En exemple analysez bien ces deux titres qui apparaissent dans le plan. En bon français, c’est clair comme l’eau de roche:
CAP SUR UN DÉVELOPPEMENT NORDIQUE DURABLE
_ ORIENTATIONS LIÉES AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU PLAN NORD
Ce plan est tellement vicieux que le seul groupe environnemental prêt à se montrer publiquement avec Jean Charest est une filiale du Pew Environment Group, un organisme environnemental étatsunien financé par des pétrolières et des multinationales.
L’homme de scène qu’est Jean Charest s’est entouré de bénis-oui-oui pour gérer ce Plan Nord inutile. On ne décèle aucune envergure chez les Pierre Arcand, Serge Simard et Pierre Corbeil, peinant à exprimer des idées claires, difficultés à identifier un conflit d’intérêts et qui ont comme tous les ministres, du Parti Libéral du Québec, eut leur poste de ministre grâce aux 100 000 $ qu’ils doivent collecter annuellement pour financer le Parti.
Ce manque de jugement et de diplomatie politique nous l’avons constaté chez Nathalie Normandeau avec sa gestion pitoyable du dossier des gaz de schiste. Nous les avons vus cautionner la mine Osisko qui a déménagé une partie de la ville de Malartic avant même que ne soit remis le rapport du Bureau des audiences publiques sur l’environnement. Ils et elle souffrent d’un manque d’intégrité et n’ont aucune sensibilité à l’environnement, pas de respect pour les citoyens et citoyennes qui ne sont pas de leur classe sociale de parvenus. Imaginez l’avenir avec eux à la barre du navire, c’est un naufrage que je ne souhaite pas voir et auquel je désire encore moins participer.
Vite des élections
Pour les références de ce texte : http://meteopolitique.com
Malgré les sparages de Jean Charest
«Ben woyons batêche! C’est le même Plan Nord de 1998 ! »
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé