Malgré le succès de leur manifestation, les anti-PMA n’osent plus y croire

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Une manif pour rien ?


 

 



A Paris ce 6 octobre, ils étaient 600 000 manifestants selon les organisateurs, et 42 000 selon la police, à défiler contre la PMA sans père. Causeur s’est faufilé parmi les manifestants pour prendre le pouls de cette France qui dit non au projet de loi bioéthique du gouvernement. Vote à l’Assemblée le 15 octobre.




Il y avait du monde, hier après-midi, sur la place du 18-juin-1940 à Paris. Une foule qui agitait des drapeaux rouges et verts, ornés du slogan : « liberté, égalité, paternité ! », écoutant et applaudissant médecins, juristes, maires, responsables associatifs, venus manifester leur opposition à la « PMA pour toutes ». Une foule à l’atmosphère bon enfant, si compacte que certains, bloqués dans les rues adjacentes, n’ont pu accéder avant la fin à la place où les discours étaient prononcés.


Familles, bébés de quelques mois portés par leurs parents, couples jeunes et âgés, groupes d’amis, quidams, chrétiens souvent, athées parfois : la sociologie de la mobilisation d’hier était à peu près la même que celle de la Manif pour tous de 2013, dont elle est la suite directe. Rassemblés au sein du collectif unitaire Marchons Enfants ! avec d’autres associations comme l’Alliance Vita, les Associations Familiales Catholiques (AFC), les Maires pour l’Enfance…, les organisateurs entendaient faire entendre leur opposition à la « privation de papa remboursée par l’Etat ».


Plus de 100 bus et 2 TGV affrétés pour l’évènement


A mon arrivée vers 13h15 place Edmond-Rostand, lieu du rassemblement initial, je traverse difficilement la marée humaine agitant frénétiquement ses drapeaux (en attrapant un au passage) pour me rapprocher de l’estrade où se tiennent les premiers discours. Par-ci, par-là, on remarque l’habit de quelques sœurs et de quelques prêtres venus avec leurs paroissiens. Mais surtout beaucoup de gens de la France entière, brandissant, ou pas, leurs drapeaux régionaux. Un quinquagénaire, père de famille, m’explique qu’il est venu de Pamiers en bus spécialement affrété : Marchons Enfants ! a en effet annoncé avoir organisé un service de 110 bus et mobilisé 2 TGV pour faire venir les provinciaux.


A la tribune, on chauffe la salle : divers témoignages se succèdent pour soutenir la place du père dans le schéma familial. « Maman, tu es unique, Papa tu es fantastique ! », scande-t-on, avec une candeur rafraîchissante. Arrive Patrice Obert, président des Poissons roses, une association de chrétiens proches du Parti socialiste, qui s’écrie : « Mes amis, la gauche est là ! La vraie gauche ! La gauche fraternelle ! » La gauche du catholicisme social, quoi. C’est peut-être comme ça qu’on l’aime le mieux.


A côté de la tribune, quelques VIP – de droite, en dépit de la bonne volonté des Poissons roses – sont rassemblés avec une partie de la presse. Il y a des élus LR comme RN, malgré la réticence évidente de leurs partis respectifs à aller contre ce qui est désormais perçu comme le sens du vent. Julien Aubert, Guillaume Larrivé, Nicolas Bay, Gilbert Collard, ne volent cependant pas la vedette à Agnès Thill, ex-LREM exclue du parti pour avoir publiquement attaqué le projet de loi sur la PMA.


Société sans pères, société sans repères 


Avec en fond sonore la chanson Parler à mon père de Céline Dion, le milieu du cortège s’ébranle vers le Sénat vers 15h. Avec retard ; l’itinéraire prévu était insuffisant pour désengorger la place Edmond-Rostand (on a donc organisé un itinéraire alternatif de l’autre côté de la place). Sur le chemin, on crie « société sans pères, société sans repères ». En face du Sénat, François-Xavier Bellamy, assailli de journalistes, met en garde contre la remise en question des « limites de la condition humaine ».



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Plus loin, sur un côté du boulevard Raspail, après un ralentissement dû au comptage des participants, ambiance JMJ avec un groupe de rock chrétien. Enfin, on aperçoit de loin l’arrivée : la place du 18-juin-1940, où de grands écrans ont été disposés pour qu’on puisse apercevoir la deuxième estrade de la journée. Anne-Marie le Pourhiet (juriste constitionnaliste connue de nos colonnes), Anne-Laure Boch (neurochirurgien), Ludovine de la Rochère (présidente de la Manif pour tous), Franck Meyer (président des Maires pour l’enfance) et beaucoup d’autres s’y succèdent, sous les applaudissements de la foule.


 

« Le législateur français ne pourra plus nier, après le texte actuel, avoir consacré, organisé et même financé un droit à l’enfant, incluant un droit au sperme sans contact, que le service public aura l’obligation de récolter, en quantité et en qualité suffisante pour satisfaire la demande » (Anne-Marie le Pourhiet). « Notre société adolescente est incapable de poser des limites aux volontés individuelles » (Bertrand Lionel-Marie). « Comment nier le vide de l’absence de père ? » (Emmanuel Lepargneux). « Nous, homosexuels, nous ne voulons pas porter la responsabilité d’une amputation généalogique pour certains enfants » (Jean-Pier Delaume-Myard).


Un nombre de manifestants inespéré


Sur l’écran, le décompte organisé par les organisateurs s’affiche : 600 000 manifestants ! Chiffre inespéré. Pour l’expliquer, on invoque les derniers débats « choquants » à l’Assemblée, la gravité des évêques, l’accélération récente autour de la question de la GPA. Ludovine de la Rochère, arrivée sur l’air de « Papaoutai », lance avec ferveur : « en venant manifester, vous sonnez le tocsin ». L’ambiance est à l’euphorie : on ose croire à l’impact possible de la journée sur la politique du gouvernement. Et d’annoncer que « ce n’est que le début d’un très long chemin ».



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Une heure plus tard, les chiffres « officiels » sortent, et sont particulièrement en contradiction avec ceux des organisateurs : la police compte 42 000 manifestants, un cabinet d’études indépendant du nom d’Occurrence, mandaté par plusieurs médias, en compte 74 500 – chiffre retenu dans les titres de presse. Alors que les journaux commençaient à s’émouvoir d’un rassemblement qu’ils constataient bien plus important que ce qu’ils avaient imaginé, la pression est retombée : ouf, circulez, il n’y a rien à voir. Le Huffington Post se permet même de titrer sur le « flop » de la manifestation. Pas d’inquiétude, les trouble-fêtes n’étaient pas si nombreux.


C’est la dénaturation de la filiation qui se joue-là


Pourquoi manifester contre l’extension de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes seules, se demande-t-on ? Pourquoi dire son opposition à la dénaturation de la filiation, désormais instituée comme découlant du désir d’enfant, à la marche vers la technicisation de la procréation, à l’effacement des hommes dans l’engendrement ? Pourquoi, puisque comme Raphaël Enthoven, parfait dans le rôle de l’idiot utile, l’a énoncé à la Convention de la droite la semaine dernière : la « nature humaine » veut qu’on ne revienne jamais sur un « droit » acquis, et fera que « si demain […] après avoir autorisé la PMA pour toutes, la France autorise l’euthanasie, alors on ne reviendra jamais dessus, comme on ne reviendra jamais sur le mariage pour tous, ni sur l’IVG » ?


Si certains peuvent croire que le mouvement est capable de faire fléchir le gouvernement, la grande majorité, avertie par la défaite contre le mariage pour tous en 2013, est bien consciente de la vanité de ces espoirs. François-Xavier Bellamy, de ceux-là, me déclare qu’il ne s’agit pas d’« efficacité politique ». C’est peut-être plutôt, comme l’exprime une femme interrogée dans Famille chrétienne, « un acte de foi ». Acte de foi d’une partie de la France déjà rangée dans le passé par le petit milieu politique et journalistique parisien ; acte de « résilience », selon le mot de Fabiola, étudiante rencontrée dans le cortège. « Peut-être que la loi va passer. Mais au bout d’un moment, on se rendra compte qu’on aura fait une connerie. Et à ce moment-là, nous, on sera là. »