Lucien Bouchard, le dangereux

Tribune libre


Les récents propos de Lucien Bouchard condamnant le manque d'ardeur des Québécois au travail démontrent éloquemment le manque de vision et de sens des responsabilités de notre lucide national.
Provenant d'un étudiant fréquentant une école de gestion occidentale, nous pourrions attribuer ces propos à l'efficacité de l'endoctrinement néolibéral de telles institutions. Provenant de la bouche d'un ancien Premier ministre du Québec, nous devons sérieusement nous questionner sur le danger que l'idéologie capitaliste contemporaine représente pour l'avenir, non seulement de notre société, mais de toute l'Humanité.
Depuis sa démission en tant que Premier ministre du Québec, Bouchard pratique le droit dans un grand cabinet d'avocats de Montréal où il consacre son temps à la promotion des intérêts des grandes entreprises et des patrons. Alors, nous sommes en droit de questionner les motivations profondes derrière ses récents propos. Bouchard n'est pas désintéressé. Ses interventions publiques ne sont pas non plus apolitiques, non partisanes. Au contraire, elles sont plus que politiques. En effet, elles relèvent de l'idéologie néolibérale pure.
Nul doute qu'en condamnant le fait que les Québécois ne travaillent pas assez, Bouchard sert les intérêts des dirigeants d'entreprises et des grands capitalistes financiers. Par contre, il commet une grave erreur lorsqu'il prétend que le nombre insuffisant d'heures travaillées entraîne un problème de productivité. Qu'un travailleur consacre plus d'heures à son travail n'augmente en rien sa productivité et celle de l'entreprise. Et ce, tout étudiant ayant suivi un cours d'économie 101 le sait.
En effet, la productivité se définit comme étant le nombre d'unités produites par heure de travail. Un gain de productivité se constate lorsque pour la même heure de travail le nombre d'unités produites augmente. En fait, ce sont les décisions des dirigeants de compagnies qui influencent la productivité de leurs organisations. Pourquoi Bouchard ne blâme-t-il pas ces derniers pour leur manque de responsabilité et de vision? Ce sont eux qui n'ont pas procédé à des investissements dans des équipements à la fine pointe de la technologie, qui n'ont pas implanté des procédés et processus d'affaires plus performants, qui n'ont pas participé à la formation continue de leurs travailleurs afin d'augmenter la productivité de leurs entreprises.
Pourquoi ces dirigeants n'ont-ils pas voulu investir pour améliorer la productivité de leurs compagnies? Tout simplement parce que ces investissements ne sont pas intéressants à court terme. Ils ne rapportent pas de gros profits immédiats. Ils n'augmentent pas assez rapidement le rendement attendu par les actionnaires. Ce type d'investissements n'est pas intéressant sur le plan financier.
Afin de rencontrer les exigences à court terme des actionnaires, les dirigeants d'entreprises préfèrent donc délocaliser leurs activités de production dans des pays pauvres et en voie de développement afin de maximiser les profits en coupant drastiquement dans leurs masses salariales. Voilà la solution néolibérale aux attentes gigantesques des capitalistes financiers occidentaux. Allons exploiter les travailleurs des pays pauvres en leur versant des salaires ridicules, continuons de vendre nos produits au même prix dans les pays occidentaux, empochons de gigantesques profits pour satisfaire nos actionnaires, payons-nous de généreux avantages pécuniaires (augmentations spectaculaires de rémunération, ventes de stock-options, primes au rendement, parachutes dorés, etc.), culpabilisons nos travailleurs occidentaux pour leur manque d'ardeur au travail et procédons à des licenciements massifs en arguant le manque de productivité de ces derniers.
Comme nous pouvons le constater, les décisions de délocalisation de la production vers les pays pauvres et en voie de développement ne sont pas motivées par de quelconques gains de productivité, mais reposent bel et bien sur l'avantage pour les compagnies occidentales quant aux très faibles coûts de la main d'œuvre, ainsi qu'à l'absence de normes minimales de protection du travail et de l'environnement que l'on retrouve dans ces pays. Les travailleurs chinois et indiens ne sont pas plus productifs qu'ici, mais leurs salaires misérables permettent aux entreprises de réaliser de faramineux profits. Que les travailleurs québécois décident de travailler plus ne rendra pas nos entreprises plus productives et plus compétitives face aux géants chinois et indien.
Les grands capitalistes néolibéraux se servent de la globalisation économique afin de mettre de plus en plus de pression sur les travailleurs occidentaux et les syndicats. Au nom de la concurrence chinoise et indienne, nous devrions accepter une diminution de nos salaires et de nos conditions de travail. La flexibilité doit s'imposer. Nous devons accepter une précarisation grandissante. La financiarisation de l'économie mondiale où la liberté de circulation des capitaux règne ne peut pourtant qu'entraîner une baisse des salaires en Occident au profit d'une exploitation grandissante des travailleurs des pays pauvres et en voie de développement. Au jeu du capitalisme néolibéral mondialisé, les travailleurs de tous les pays sont perdants. Nous assistons à un nivellement par le bas. Les inégalités socio-économiques s'accroissent de plus en plus rapidement, non seulement entre les pays occidentaux et les autres, mais au sein même de nos pays développés.
Alors M. Bouchard, cessez donc de culpabiliser vos concitoyens travailleurs québécois. Ils ne sont aucunement responsables du manque de productivité de nos entreprises. La crise actuelle de l'industrie forestière le démontre parfaitement. Blâmez plutôt vos amis capitalistes néolibéraux dont le seul objectif consiste à se remplir les poches le plus rapidement et le plus facilement possible.
Aussi M. Bouchard, cessez donc de nous comparer aux pays anglo-saxons qui sont les plus inégalitaires en Occident. Vous devriez plutôt regarder du côté de plusieurs pays européens où les travailleurs consacrent annuellement beaucoup moins d'heures au travail, mais où les entreprises sont plus productives qu'aux États-Unis. D'ailleurs, ces pays européens ne cessent, année après année, d'êtres au sommet du palmarès des Nations-Unies en ce qui concerne la qualité de vie.
À l'heure de défis colossaux auxquels l'Humanité est confrontée, tels la protection de l'environnement et le développement d'énergie propre (Rapport Stern, Kyoto), la faim dans le monde (Rapport de la FAO : 1/6 de la population mondiale en souffre de façon chronique, un enfant en meurt à toutes les 3 secondes), la pauvreté mondiale (50% des êtres humains vivent avec moins de 2$ par jour, dont 1 milliard avec moins de 1$), l'accès à l'eau potable (1 milliard d'êtres humains n'y ont toujours pas accès), la menace nucléaire et la guerre perpétuelle, etc., vos propos irresponsables et non fondés sont dangereux.
Enfin, pourquoi devrions-nous nous sentir coupables de vivre, au Québec, dans une société où il fait relativement bon vivre? Après tout, nous n'avons rien volé.
Éric Tremblay

Avocat et fervent indépendantiste

P.S. : En passant, M. Bouchard, considérant que votre taux horaire est de 20 à 40 fois plus élevé que le salaire horaire de près de 85% des travailleurs québécois, permettez-moi de vous dire que vos propos sont carrément méprisants et offensants. À l'avenir, vous devriez sans doute réfléchir un peu plus avant de dire n'importe quoi. Vous connaissez la notion du devoir de réserve?


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2 commentaires

  • Luc Bertrand Répondre

    3 novembre 2006

    Excellente analyse monsieur Tremblay! Vous venez de mettre le doigt sur la VRAIE source du mal qui ronge notre société. En fait, malheureusement, dans le spectre des partis politiques québécois, le seul qui ait véritablement saisi cette problématique est Québec Solidaire de Françoise David et Amir Khadir. Qui sont les gens que nous élisons comme Premiers ministres et qui nous déçoivent le plus? Invariablement des avocats et des économistes. À part des cas exceptionnels, qui sont vite rabroués par leurs pairs, les avocats qui se lancent en politique le font pour faire passer des lois qui protègent une classe de privilégiés alors que les économistes le font pour trouver des tours de passe-passe afin de camoufler des extorsions de fonds publics pour des fins partisanes ou personnelles.
    Aucun doute là-dessus: pas juste notre société, mais toute la société occidentale et même les pays sous-développés devront réfléchir et se parler sur les actions à prendre pour contrer ce fléau qu'il convient d'appeler par son nom: la PAUVRETÉ ou, de façon plus large, le DROIT À UNE BONNE QUALITÉ DE VIE. Si la communauté internationale est vraiment sérieuse lorsqu'elle parle de dignité humaine, de paix et d'égalité des chances, elle se devra de considérer anormal que deux êtres humains qui viennent au monde en même temps à quelconque endroit sur la Terre ne puissent pas être égaux en droit et en espérance de qualité de vie. Comme il est bien sûr utopique et pas nécessairement désirable de croire que la société puisse devenir homogène et équitable, les pays devraient en arriver à une définition plus sévère des critères de qualité de vie pour un être humain. Ceux-ci ne devraient pas être basés sur des considérations comptables ou mercantiles, car, sinon, non seulement la définition reviendrait à un nivellement par le bas mais confirmerait carrément qu'un être humain ne se résumerait qu'à une valeur monétaire ou négociable. Peu importe que notre destinée soit fixée par Dieu, Allah, Shïnto, Bouddha ou un code génétique fixé par des lois de la physique, je ne pense pas que personne au monde accepterait ou souhaiterait que le sens de son existence ne se résume qu'aux considérations économiques! Sinon, comment cataloguerait-on les personnes qui, sans avoir eu leur nom consacré suite à une découverte importante ou à une avancée technologique, ont contribué, par leur expérience et leur vécu, à la réalisation de celles-ci par d'autres?
    Les critiques de la société (et, bien sûr, des patrons et des "luluacides"!) envers les syndicats (telles les tentatives des scribouilleux de Gesca de faire passer le SPQ Libre comme des manipulateurs de foule ou des opportunistes du pouvoir lors du récent conseil national du PQ sur l'environnement) nous interpellent sur la contribution réelle de chaque partie (patronale et syndicale) dans la construction d'un monde meilleur et plus juste. Si nous n'avions pas eu les syndicats, nous serions aujourd'hui dans la même situation que les enfants chinois ou indiens qui sont contraints à travailler comme des esclaves dans des conditions insalubres, périlleuses et inhumaines. Bien sûr, il y a un développement anarchique dans les pays sous-développés à cause de la surnatalité, la mauvaise hygiène et les maladies, mais il y a urgence d'entreprendre un programme de longue haleine d'éducation populaire, particulièrement dans les zones défavorisées, si on veut mettre fin à ce cercle vicieux. C'est tout un contrat, car la vraie réalité est qu'un infime 2% de la population mondiale contrôle ou possède 95% des ressources. Si nous ne faisons pas chaque jour, par notre comportement de consommateur, notre part pour tenter d'enrayer cette machine diabolique, la situation ne pourra qu'empirer. Si nous ne voulons pas que ce 2% de privilégiés réussissent à se construire (à nos frais!) quelque part autour de l'an 2100 un petit coin de paradis sur une autre planète habitable comme la Terre alors que les 98% de "restants" étoufferont, se noieront, s'empoisonneront, s'entredétruiront ou mourront à cause des gaz à effet de serre, du smog, de la pollution, des virus, des armes nucléaires ou biochimiques, nous avons le devoir de s'instruire, d'être cohérent(e)s avec nos idéaux et nous assurer que les générations qui nous suivent le soient toujours plus!

  • Normand Perry Répondre

    2 novembre 2006

    Maître Tremblay permettez que je salue votre papier très judicieux (sans jeux de mots) à l'endroit de l'ancien premier ministre du Québec.
    Il est à se demander, si à la lecture de la tendance actuelle de nos trois partis politiques qui ont des élus à l'Assemblée nationale du Québec (et leur chefs en particulier), n'ont pas en commun le même mentor en la personne de Lucien Bouchard. Les trois chefs de ce nouveau Triumvirat néolibral du Québec tiennent à peu de choses près, les mêmes idées et les mêmes discours économiques.
    Comment peut-on espérer sortir de cette nouvelle grande noirceur dans laquelle nous entrons de plein pieds ? Comment peut-on espérer y voir un lueur d'espoir pour le bien-être de l'humain ?