Au cours des derniers jours, il est devenu évident que l’État fédéral a manqué à son devoir d’assurer la sécurité de la population canadienne dans un domaine qui relève entièrement de sa compétence, soit celui du transport ferroviaire.
En effet, selon un bulletin de nouvelles de Radio-Canada du 16 juillet, Transports Canada savait depuis 1995 que les wagons-citernes du type utilisé par la MM&A représentaient « un danger pour la vie lorsqu’ils déraillent ». Et, depuis lors, plusieurs autres rapports remis à Transports Canada ont souligné de graves lacunes dans la sécurité du transport ferroviaire.
Selon les indications disponibles, non seulement aucun de ces rapports n’aurait-il fait l’objet du suivi nécessaire, mais le gouvernement fédéral a en fait poursuivi sur sa lancée de se délester de ses obligations de surveillance du transport ferroviaire en remettant aux exploitants la responsabilité de s’autoréguler.
Si l’on remonte à 1995, l’année du référendum au Québec, le gouvernement en place au niveau fédéral était celui de Jean Chrétien, le chef du Parti Libéral du Canada (PLC). Le titulaire du ministère des transports était alors Doug Young. Il sera suivi par David Anderson en 1996 et 1997, et David Collenette de 1997 à 2003.
Lorsque Paul Martin succède à Jean Chrétien à la tête du gouvernement et du PLC en décembre 2003, il confie le portefeuille des Transports à Tony Valeri pour un bref intermède de six mois en 2003 et 2004, puis à Jean Lapierre, un de ses amis à qui il avait promis le poste et qui rentrait au bercail libéral après son épisode bloquiste.
Lapierre, aujourd’hui commentateur à la radio (98,5FM) et à la télévision (TVA) sera titulaire des Transports du 20 juillet 2004 au 5 février 2006. Lui d’habitude si prolixe n’a pipé mot depuis les événements. On a pourtant hâte de l’entendre s’exprimer sur l’ineptie et l’inertie fédérales dans la gestion du transport ferroviaire. Et de même comprend-on beaucoup mieux le silence assourdissant des Libéraux depuis la catastrophe, un silence qui vaut aveu de culpabilité.
Les Libéraux sont défaits aux élections générales du 23 janvier 2006, et les Conservateurs de Stephen Harper forment un gouvernement minoritaire. Depuis cette date le portefeuille des Transports a été tour à tour occupé par le Québécois Lawrence Cannon (2006 à 2008), John Baird (2008 à 2010), Chuck Strahl (en 2010 et 2011), et Denis Lebel (2011 à 2013).
Tous ces ministres, tant Libéraux que Conservateurs, ont à un moment ou un autre de leur mandat, été informés du caractère non sécuritaire du transport ferroviaire, et ils ont laissé la situation perdurer, jusqu’à ce que survienne, un soir de juillet 2013, la catastrophe de Lac-Mégantic.
On pointe d’abord du doigt le conducteur de train qui aurait fait preuve de négligence, puis l’entreprise exploitante, la Montreal Maine & Atlantic Railway, et, s’il faut en juger par ce que diffusent nos médias, on observe depuis quelques jours une certaine réticence à faire remonter au niveau du gouvernement fédéral sa juste part de responsabilité dans cette tragédie qui a fait cinquante morts en plus d’hypothéquer la vie des survivants de cette tranquille communauté du Québec pour des années à venir, et de compromettre la rentabilité et la survie des entreprises locales qui dépendent du transport ferroviaire.
En effet, le rétablissement des activités ferroviaires sur cette ligne n’est pas pour demain. Non seulement la voie est-elle inutilisable, mais elle devra être déplacée pour contourner Lac-Mégantic, et sécurisée sur toute sa longueur. En effet, l’importante dénivellation entre Lac-Mégantic et Nantes et la courbe à l’entrée de Lac-Mégantic poseront toujours un risque de sécurité pour les habitants de Lac-Mégantic tant que la voie ferrée se trouvera dans son voisinage et que l’on l'utilisera pour transporter des matières dangereuses ou du pétrole.
L’entreprise exploitante du chemin de fer survivra-t-elle financièrement à cette catastrophe ? La ligne demeurera-t-elle rentable s’il faut investir lourdement pour la sécuriser ? Autant de questions qui jettent un lourd manteau d’incertitude sur l’avenir du transport ferroviaire dans cette région.
La responsabilité de l’État fédéral n’en est donc que plus lourde, dans la mesure où il est toujours plus facile de prévenir que guérir, et que la responsabilité de la prévention était justement la sienne.
C’est certainement le sens qu’il faut donner à l’intervention sans précédent de l’Alliance de la fonction publique du Canada, le syndicat des fonctionnaires fédéraux, qui s’est sentie suffisamment interpellée par la catastrophe pour dénoncer la complicité du gouvernement fédéral dans une affaire qualifiée de criminelle dès le départ par les autorités policières.
Songez-y... Les propres fonctionnaires de l’État fédéral l’accusent de comportement criminel ! Dans leur bouche l’accusation n’en prend que plus de relief car ils sont aux premières loges pour observer de quelle façon il s’acquitte de ses responsabilités. Et l’accusation ne vient pas d’un lanceur d’alerte isolé. Elle est endossée par les 180 000 fonctionnaires qui en sont membres . Rarement un État a-t-il été désavoué de la sorte par ses propres agents, et au Canada, c’est du jamais vu.
Et puisqu’il faut parler de responsabilité, il faudra aussi s’interroger sur les neuf campagnes intensives de lobbying qu’a mené la MM&AR auprès du gouvernement fédéral de 2002 à 2008 et sur l’influence qu’elles ont pu avoir sur des décisions qui pourraient avoir eu un lien avec la catastrophe.
Tout comme il faudra aussi s’interroger sur l’existence de liens entre élus libéraux fédéraux et provinciaux qui pourraient avoir eu une influence sur la décision de la Caisse de dépôt de prendre en 2003 une participation dans le capital de la MM&AR (7 millions $), et de lui consentir un prêt (7,7 millions $).
Il faut en effet comprendre que n’entre pas à la Caisse qui veut. Il faut des introductions. Justement une spécialité du PLC et du PLQ.
Tragédie de Lac-Mégantic
Libéraux et Conservateurs également coupables
C’est l’État fédéral qui a failli à la tâche
Chronique de Richard Le Hir
Richard Le Hir673 articles
Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)
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11 commentaires
Archives de Vigile Répondre
22 juillet 2013Le problème du siècle est celui-ci. La démocratie peut-elle vraiment exister quand les 300 individus les plus riches de la planète valent autant que les 3 milliards les plus pauvres?
Je crois que la réponse à tout ce qui se passe présentement est là.
C'est la raison pourquoi l'idée du regretté syndicaliste Michel Chartrand d'un revenu de citoyenneté universel avait du bon sens. En plus de permettre à tous sans exception d'avoir un revenu suffisant pour une vie décente et heureuse, comme le réclame d'ailleurs la déclaration universelle des droits de l'Homme, cela aurait contribuer à assainir nos moeurs démocratiques.
Archives de Vigile Répondre
20 juillet 2013Voilà, tout se confirme ici quant à la gestion irresponsable du fédéral dans le domaine ferroviaire depuis plus de 15 ans : http://www.ledevoir.com/politique/canada/383388/ottawa-connaissait-les-limites-des-freins
Face à ce constat, libéraux et conservateurs à Ottawa sont coupables d’une grave négligence ayant mis en danger la sécurité des populations.
Le début d’automne sera très très chaud à Ottawa, car on exigera de rendre des comptes. Ouf!
Alain Maronani Répondre
20 juillet 2013@Pommerleau
"Ce discrédit du fédéral va marquer les esprits pour longtemps (la douleur en appel(le) à la mémoire)."
Vous devriez relire Guy Debord, "La société du spectacle" ou Andy Warhol...ou bien Naomie Klein
http://www.naomiklein.org/shock-doctrine
Tout ceci sera rapidement lessivé par la prochaine catastrophe, les gens en dehors de Megantic, vont tranquillement retourner a leur routine...dans l'indifférence.
Dans une année la presse publiera quelques articles style...
Mégantic un an après...
Les survivants parlent...
La reconstruction de la ville...
La meme chose a la télévision...
etc...
Qui s'inquiète de Fukushima dont les réacteurs continuent a déverser un flot continuel de césium et de plutonium qui est en train d'empoisonner l'Ocean Pacifique ?
Cynisme...ou réalisme de la sociéte industrielle dans laquelle nous sommes.
Alain Maronani Répondre
19 juillet 2013"Il faut en effet comprendre que n’entre pas à la Caisse qui veut. Il faut des introductions. Justement une spécialité du PLC et du PLQ....."
La déréglementation de l'ensemble des activités permettant a l'économie de fonctionner, transports, livraisons, systèmes d'énergie, contrats de travail, a été poursuivie sans relâche par l'ensemble des pays industrialisés, tout gouvernement confondu, ici et ailleurs...,
N'entre pas a la Caisse qui veut...effectivement et la liste est longue des entreprises et organisations qui ont bénéficiés des largesses de la Caisse, quelque soit le gouvernement, sans parler de la nomination des gestionnaires, nominations qui suivent une ligne strictement partisane....
Si la Caisse n'existait pas il est probable que la MMA n'aurait jamais pu exister, qui voudrait investir dans une entreprise ferroviaire, dont la visibilité est nulle ?
Dire que les introductions sont une spécialité du PLQ et du PC c'est oublier un peu vite que Québec Inc (patronats, investisseurs, syndicats, consultants en investissement) pataugent tous dans le meme baquet...sur notre dos.
Dans ce cas je crains que le fédéral ne fasse rien. C'est le gouvernement le plus obtus que j'ai pu voir en action, les 30 dernières années...et remettre en cause l'utilisation du train, le transport de matières dangereuses, a travers des villes, héritage de l'histoire économique, est pratiquement impossible...
Les municipalités ne font rien, n'ont rien fait dans le passé, pour empecher la construction et la spéculation immobilière le long des voies de chemin de fer, Montréal étant l'exemple vivant de ce qu'il ne faut pas faire...
Un laissez-faire général dans lequel le gouvernement fédéral a la plus large part, personne n'est innocent, ainsi va la système, de désastre en désastre...
Archives de Vigile Répondre
19 juillet 2013La Caisse est devenue actionnaire minoritaire au moment de la fondation de MM&A par Edward Burkhardt en 2003.
Investissement initial de 14,7 M$
7 M$ en capital-actions
7,7 M$ sous forme de prêt
Entièrement remboursé en 2011 à la suite de la vente d'une partie des actifs.
Depuis 2008, la valeur de l'investissement de la Caisse est quasi nulle.
En 2011, MM&A a été mise en vente. Un prêt non-transférable octroyé par une agence du gouvernement américain a fait en sorte que la transaction avec une tierce partie n'a pas pu être réalisée.
Source
Grosse question : Comment un investissement de 7M$ peut fondre à quasi-nul?
En consultant la page anglaise wikipedia sur MMA, j'apprends qu'elle exploite un droit de passage dans le Maine, qui est un héritage d'un conflit frontalier larvé de 1838, soit la guerre d'Aroostook. Le comté d'Aroostook a la particularité de compter 22.37% de ménages francophones (37% d'origines acadienne, québécoise ou française.)
L'investissement de la Caisse devait être vu comme stratégique, mais fondé sur un sentiment de proximité identitaire.
Archives de Vigile Répondre
19 juillet 2013http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/tragedie-a-lac-megantic/201307/19/01-4672460-les-employes-de-la-mma-sommes-de-se-taire.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4672466_article_POS2
Archives de Vigile Répondre
19 juillet 2013Je suis surpris de constater que les accidents qui touchent le monde du travail ne font pas lever davantage le projet du regretté Michel Chartrand d'un revenu de citoyenneté universel.
N'est-ce pas décevant à quelque part?
La base de notre vie sur terre n'est-elle pas la recherche du bonheur?
Et pour cela, l'être humain a besoin d'un revenu suffisant pour une vie décente, qu'il soit ou non en emploi.
Lise Pelletier Répondre
19 juillet 2013Merci Monsieur Le Hir pour ce texte pointant vers le PLC car tout autant que le PCC, leur culpabilité dans cette déréglementation sera démontrée.
Jusqu'à maintenant nous n'avons pas entendu Jean Chrétien, cet ex-dirigeant du pluss meilleur pays du monde exprimé ses sympathies aux familles et amis des méganticois.
A l'instar des décès réels, il préfère faire le mort pour ne pas réveiller une colère contre son parti depuis les commandites. Ayant enfin trouvé une marionnette, soit le fils de l'autre, les faisant remonter dans les sondages, le silence est d'or.
Souhaitons que lors de la prochaine élection fédérale, les québécois redonne au Bloc Québécois sa place dans l'opposition. Souhaitons-nous surtout de ne plus voter au fédéral.
Pour ce qui est de la Caisse de dépôt, Charest est rentré au pouvoir en 2003 et on sait le changement de mandat qu'il a donné à celle-ci avec le résultat d'une perte de 40 milliards en 2008, dont les 7 millions à MMA font partie.
Une question me revient continuellement :
Comment se fait-il que seulement au Québec le fédéral ait donné son accord pour un seul conducteur ?
Était-ce vraiment une demande de la MMA ou une suggestion proposée ? Plus rien ne me surprendrait d'Ottawa.
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
19 juillet 2013Pendant que les bons journalistes s'apprêtent à afficher à la face du monde la nudité intégrale des Conservateurs et Libéraux à Ottawa, les Québécois distraits pourront confondre leur intérêt et le NPD de Mulcair.
N'oublions pas que celui-ci a été roulé dans la farine par Jean Charest, son patron d'alors, qui lui refusa l'autorisation de révéler, comme ministre de l'environnement, le scandale des terres humides de Laval, que le maire Gilles Vaillancourt réussit à faire construire mur à mur... NON! On a trop besoin de lui pour les élections! LE GANGSTER! Et Charest! Tous deux toujours sans menottes! Et Mulcair qui se voit déjà PM du Canada.
Les bons journalistes ont encore beaucoup de travail pour ouvrir les yeux des Québécois distraits... pour faire tomber de leurs yeux les écailles qui cachent la voie de la libération. Advenant une élection précipitée de Harper, il y a encore une case Québec sur le bulletin de vote!
Archives de Vigile Répondre
19 juillet 2013Aussi, on découvre ici que les conducteurs seuls sur les trains de la MMA travaillent des 12 heures d’affilée :
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/383305/les-geants-prennent-les-devants
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En passant, si le fédéral sous Harper cessait ses dépenses militaires qu’on peut calculer à plus de 100 milliards ($) pour les années à venir, on pourrait utiliser ces montants à la restauration des wagons et des chemins de fer.
Il me semble assez bien connu qu’Harper est une émule des Bush, et dans ce sens on a vu ce que ça a donné aux États-Unis : une économie en déroute où plus de 50 % du budget des États-Unis va à la sécurité (militaire). Nous sommes spoliés par nos propres gouvernements, pratiquant une idéologie ultra conservatrice, le laisser-faire, où lesdits marchés s’autorégulent; le règne de la privatisation, de la réduction des dépenses publiques et de la dérégulation…
Les conservateurs se targuent d’être le véhicule de l’efficacité de l’économie. On l’aura compris, il s’agit du rendement des grandes entreprises privées. Pendant ce temps, peut-on parler d’une économie efficace si on ne s’occupe principalement que des secteurs reliés au militaro-industriel, sans véritablement s’occuper de cette économie de manière beaucoup plus large ?
En fin, l’expérience nous démontre qu’on ne peut pas avoir véritablement confiance dans les conservateurs, car beaucoup trop opaque dans trop de dossiers. Hélas, je crois que les conservateurs ne reconnaîtront jamais leurs tares reliées à la sécurité du domaine ferroviaire, et que, même dans l’éventualité d’un recours collectif contre ce gouvernement Harper, celui-ci trouvera une manière d’amener cette cause jusqu’à la Cour suprême.
Bien sincèrement, je souhaite avoir tors ici, car les gens de Lac-Mégantic méritent mieux qu’un gouvernement de façade, présent par ses représentants sur les lieux, mais jusqu’ici muet sur ses responsabilités; on comprend qu’il s’agit d’une patate chaude qui pourrait leur coûter le pouvoir aux prochaines élections, déjà que leur coquille se fissure sérieusement depuis quelque temps.
Jean-Claude Pomerleau Répondre
19 juillet 2013Pourquoi l'opposition libérale est elle muette sur " l'incompétence du fédéral" (le titre de l'édito de Pratte) ?
Non seulement parce que les libéraux, alors au gouvernement assument une part de blâme. Mais aussi parce que Justin Trudeau tout aussi vendu aux intérêts pétroliers que Harper.
Dès son inscription à la course à la chefferie, il s'est rendu en Alberta pour faire un acte de reddition complet devant les cowboys du pétrole; allant même jusqu'à renier l'héritage de son père (Le Programme énergétique national) :
...
(Cyberpresse, 3 septembre, 2012)
« Le Programme énergétique national était une mauvaise politique pour l’unité nationale, a reconnu Justin Trudeau à Calgary ... C’était la mauvaise manière de gouverner dans le passé. C’est mauvais aujourd’hui. Et ce sera mauvais dans l’avenir »
http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201210/03/01-4580019-le-programme-energetique-national-etait-une-mauvaise-politique-reconnait-trudeau.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_BO2_quebec_canada_178_accueil_POS1
...
Autre raison du silence de l'opposition libérale. La crainte qu'une critique du gouvernement Harper jette le discrédit sur l'État fédéral, lui-même mis en cause dans l'opinion publique au Québec.
JCPomerleau
Cette tragédie nationale marque dans les mentalités, une rupture claire entre deux États : Ottawa (le problème) et Québec (la solution).
Ce discrédit du fédéral va marquer les esprits pour longtemps (la douleur en appel à la mémoire). Et créer une dynamique politique qui risque de changer la donne pour la suite... une mutation en profondeur du débat politique, recentré sur l'essentiel : le contrôle du territoire.