À M. le ministe Bernard Drainville

Lettre d'enseignants de la FAE révoltés par les méthodes de leur syndicat

La Fédération autonome des enseignants et la Charte de la laïcité

Tribune libre

Tania Longpré, Yves Martineau
Les auteurs sont enseignants en francisation à la Commission Scolaire de Montréal

Monsieur Bernard Drainville, ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne

Monsieur,

Nous savons que notre syndicat, la Fédération autonome de l’Enseignement (FAE), présentera un mémoire contre la charte des valeurs dans le cadre de la Commission parlementaire. Nous sommes plusieurs enseignants à désapprouver ce geste de la part de notre fédération. Nous aimerions porter à votre attention des informations importantes qui risquent de relativiser la portée de ce mémoire.

Tout d’abord, il faut savoir que la FAE a procédé à un sondage, une consultation électronique sur la laïcité, au printemps 2012. En tout, 1 955 enseignants ont répondu à 25 questions, dont une portait sur l’affichage des signes religieux :
« Les représentantes et représentants de l’État doivent s’abstenir d’afficher des signes religieux visibles ». 77 % des enseignants se sont prononcés en faveur de cette position.

En juin 2013, la FAE a tenu son Congrès, où elle devait adopter des décisions, notamment sur la laïcité. Elle a décidé de tenir compte de la consultation de 2012 SAUF sur la question du port de signes religieux. Sur cette question, les délégués du Congrès ont reçu la consigne de voter librement (selon leurs propres convictions) par un vote secret. La nouvelle proposition était :
« La Fédération défendra le droit acquis de ses membres, comme des autres travailleuses et travailleurs des secteurs public et parapublic, de porter des vêtements ou des accessoires ayant une connotation religieuse ou culturelle, à moins que ceux-ci ne contreviennent aux règles de base du professionnalisme et de sécurité qui régissent déjà l’exercice des différents métiers et professions concernés. »
POUR : 113 (51,13 %); CONTRE : 108 (48,87 %)

Le pourcentage en faveur de l’interdiction du port de signes religieux est donc passé de 77 % à 49 %. C’est avec ce faible résultat que la FAE se permet de se prononcer contre la charte. Depuis que la Fédération a rendu sa position publique, le 4 septembre 2013, plusieurs enseignants ont réclamé une consultation de tous les membres puisque ceux-ci voulaient se prononcer sur la question :
- Lorraine Camiré et Khedoudja Ait-Tahar (9 septembre 2013)
- Assemblée de personnes déléguées de l’Alliance (10 décembre 2013)
Chaque fois, la FAE répondait qu’il n’était pas possible de renverser une décision du Congrès.

Plusieurs enseignants ont aussi demandé que soient diffusés les résultats de la consultation de 2012 à tous les membres :
- Félix Pinel, à la FAE (18 novembre 2013) et au SEBL (13 décembre 2013)
- Chantal Douesnard, à la FAE et au SEPI (26 novembre 2013)
- Yves Martineau, à l’Alliance (14 janvier 2014)
- Luc Lefebvre, au SEOM (15 janvier 2014)

Chaque fois, notre demande était refusée, soit par notre syndicat national, la FAE, soit par nos syndicats locaux (Alliance, SEBL, SEOM, SEPI). Malgré de nombreuses demandes, la FAE refuse de discuter et d’avoir une réelle consultation sur la question, alors qu’en délégation de juin 2013 la charte n’était pas encore connue. Comment notre syndicat peut-il émettre une opinion, en notre nom, alors qu’il refuse de nous consulter depuis la présentation de la charte ?

Nous trouvons que cette attitude manque de transparence et nous n’acceptons pas que notre syndicat se prononce sans nous avoir consultés. Une telle position devient d’autant plus difficile à justifier depuis que la CSQ, notre ancien syndicat, a accepté de consulter ses membres : 14 000 répondants se sont prononcés à 69 % POUR la charte. Pour la FAE, quel est le pourcentage? Combien sont en faveur? Combien sont contre? Quelles raisons ont été invoquées ? Nous ne le saurons jamais puisque la consultation n’a jamais pris forme : le sondage de 2012 est survenu avant que le débat sur le projet de loi 60 ne soit lancé; et la même critique s’applique au vote du Congrès, tenu fin juin 2013.

Finalement, alors que la FAE refuse d’écouter ses membres, elle se paye les services d’avocats, aux frais des mêmes membres, pour émettre un avis juridique selon lequel le projet de loi 60 serait inconstitutionnel. Combien cette démarche nous a-t-elle coûté? Pourquoi avoir choisi la firme dont l’avocat Giuseppe Sciortino s’était prononcé contre la charte (14 septembre 2013)? Les juristes sont loin d’être unanimes sur le sujet. Nous considérons que la FAE outrepasse largement les mandats que ses membres lui ont confiés. Pendant ce temps, nos classes manquent encore de ressources les plus élémentaires, les élèves manquent de services, les écoles sont vétustes : où sont les avis juridiques sur ces questions?

Lorsque la FAE présentera son mémoire à la Commission, vous saurez que :
- Elle exprime une position qui ne découle pas d’une consultation transparente de tous les membres qu’elle est censée représenter;
- Elle refuse les demandes de consultation survenues après la présentation de la charte;
- Elle refuse de diffuser les résultats de la consultation de 2012 à tous ses membres (77 % en faveur de l’interdiction des signes religieux).

Bien que nous soyons conscients que la solidarité est au cœur de toutes nos actions syndicales, à titre de délégués d’établissements, et d’enseignants, nous ne pouvons que déplorer la manière de procéder de notre fédération et nous espérons qu’une vraie consultation des membres prendra forme bientôt. Nous ne pouvons garder le silence alors que notre syndicat prend une position qui n’est peut-être pas celle qui reflète la base. Nous déplorons cette manière de procéder, qui n’a rien à voir avec la vraie démocratie syndicale que nous souhaitons vivre.

Nous espérons que ces informations vous seront utiles dans le cadre de votre travail à la Commission.
Signé par des enseignants de la FAE qui veulent une vraie consultation au sujet de la charte :

Yves Martineau
Martin Perron
Lynda Massé
Paul Pérez
Isabelle Beaudoin
Yves Meunier
Nadine Deslauriers
Monique Hauy
Louise Valiquette
Richard Saint-Laurent
Tania Longpré
Françoise Boulay
Ginette Colbert
Nathal Ménard
Marie-Josée Hudon
Lyne Labelle
Sylvie Gervais
Manon Leduc
Denise Houle
Ginette McMullen
Sylvie Giroux
Riad Djanji
Francis Jacquard
Clemente Rosique
Éric Rivest
Félix Pinel
Sylvie Richer
Claude Vielleux
Daniel Gélinas
Nicolas Parent
Ginette Piché
Richard Beauchamp
Jean Chaumont
Roxanne Rivest
Paul Desaulniers
Luc Lefebvre
Sylvain Tremblay
Jean-Paul Viau
Nawal Meshaka
Lorraine Camiré
Khedoudja Ait-Tahar
Jean-François Paquet
Grégoire Bergeron
Sylvie Rochon
Marie-Josée Lemieux
Zeghourti Abderazaïk
Lucie Desruisseaux
Marie-Ëve Tibi
Silvia Consa
Christiane Auger
Sylvain Langlois
Véronique Ledoux
Laurent Dubuc
Tamara Durand
Jordan Bouganim
Woko Olenga
Chantal Saint-Arnaud
Bernard Cloutier
Anne Letourneau
Jean-François Carrier
Franck Bélanger
Suzanne Lacroix
Leïla Bensalem
Martine Paquin
Nancy Lauzon
Julie Piette
Mohammed Sebti
Luc Daigneault
Many Hamphiboune
Michel Dufour
Rabah Kadache
Serge Lévesque
Jean-François Mathieu
Stéphane Bouchard
Richard Charron
Louise Aubut
Véronique Patry
Gilles Lannd
Reno Camiré
Lyne Farmer
Christian Landry
Chantal Douesnard
Bruno Tremblay
Alfiya Mazapova


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1 commentaire

  • François A. Lachapelle Répondre

    14 février 2014

    Félicitations aux enseignants, signataires et tous les autres, qui appuient cette lettre adressée au Ministre Bernard Drainville.
    Dans la vie syndicale, la solidarité doit se mériter. Selon cette lettre, le refus de la Fédération FAE semble biaisé d'autant plus que le Congrès de référence s'est tenu avant le dépôt de la proposition du Gouvernement Marois tenu le 10 septembre 2013.
    Au sujet du projet de loi 60 portant sur le projet de Charte de la laïcité du Québec, l'horizon à considérer dépasse de beaucoup la défense des droits acquis des membres de la FAE concernant les signes ostentatoires à caractère religieux et politique, de là la réduction bête qu'en ferait cette Fédération en s'opposant à l'ensemble de la Charte.
    La solidarité syndicale ne devrait pas barrer la voie à la solidarité nationale.