Sophie Wahnich, historienne, directrice de recherche au CNRS-Laios - Alors que des professionnels de la satire sont limogés pour avoir abusé, dit-on, de leur liberté de parole, des paroles enregistrées au for privé par des domestiques mettent à disposition du public les nœuds du pouvoir politique et de l'argent d'une grande fortune française.
Faire taire la vérité des tréteaux de la radio et abuser ainsi d'un retour du pouvoir de censurer la parole publique. Préparer et rendre effective l'effraction de secrets dévoilés et faire savoir en vérité ce qui se trame non plus dans la proximité du corps des nobles, mais bien dans celui des riches. Avoir l'oreille de madame.
Obtenir le pouvoir suppose un art d'intriguer en secret. Mais obtenir le pouvoir, c'est aussi obtenir le droit au secret de ses activités et de faire taire les mauvaises langues, le persiflage sur cette démocratie moribonde où les règles du jeu apparaissent pipées par le financement occulte de campagnes politiques. On disait de même des jeux de la cour sous Louis XV.
Or la satire évacuée, la farce fait retour dans l'espace public réel. "Avec ou sans œil de verre, oui méfie-toi des milliardaires" affirment d'autres chansonniers.
Cette farce a un parfum quasi-désuet, aussi désuet pouvait-on croire encore hier, que celui de la censure d'Etat en France. Ils n'oseront pas…
Une farce à la façon de la Commedia dell'arte ou du Mariage de Figaro, une farce où toutes les tensions qui ont motivé ce long passage à l'acte peuvent être fantasmées, tant le couple maître-serviteur a été le lieu de l'imaginaire de toutes les révoltes de l'abus de pouvoir. Car aux abus des puissants répondent les ruses, les rebellions, révoltes des dominés. Figaro refuse de tout son être, de toute son intelligence que sa future épousée puisse être prise par son maître, la veille de ses noces. Il empêche qu'on restaure le droit archaïque de cuissage. La pièce est censurée trois ans. Lorsqu'elle est enfin jouée le 27 avril 1784, le roi fait emprisonner Beaumarchais, finalement libéré sous la pression de l'opinion publique.
Au même moment, de jeunes domestiques osent se rebeller face aux avances de leurs vieux notaires de maîtres. Elles refusent de se laisser séduire et abuser. La vengeance est exorbitante. Accusées d'un vol de mouchoir, les jeunes femmes ayant défendu leur liberté de corps pouvaient alors subir la peine de mort. Voler un mouchoir dans une maison où l'on était employé était alors assimilé à un viol de domicile, viol de la confiance du maître, atteinte au corps.
Des avocats prennent leur défense. Ils rédigent de petits textes qui dénoncent ces abus. Ils défendent la vertu outragée de ces femmes du petit peuple, si peu respectées. Pour avoir besoin de travailler nul ne devrait subir les abus sexuels du pouvoir des employeurs et leur mépris. Ces placets circulent grâce au desserrement de la censure, acceptée par le ministre du roi. C'était l'espace public critique à l'état naissant, la revendication d'une voix du peuple capable de surgir sous cette forme de la dénonciation directe ou indirecte pour tirer la sonnette d'alarme sur les dysfonctionnements de la justice d'Ancien Régime.
Que la possibilité d'une effraction de la vérité de notre situation politique puisse passer par la volonté d'un domestique rebelle et d'employés maltraités et limogés résonne sans aucun doute avec ces pratiques de la veille de la révolution française.
Deux événements qui permettent de prendre la mesure de la nécessité de maintenir une certaine conception de la liberté de la presse. Celle qui dénonce les abus de pouvoir des grands et des notables. En effet, "dans tout Etat le seul frein efficace des abus de l'autorité c'est l'opinion publique, et par une suite nécessaire la liberté de manifester son opinion individuelle sur la conduite des fonctionnaires publics. (…) Leur permettre de poursuivre comme calomniateurs quiconque oserait accuser leur conduite, c'est abolir tout principe de liberté, abolir le citoyen comme sentinelle vigilante. Qui serait assez courageux pour exercer ce droit s'il s'expose à toutes les poursuites ?" interrogeait Robespierre, le 22 août 1791.
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Sophie Wahnich a notamment publié La longue patience du peuple, 1792, naissance de la République (Payot, 2008).
Sophie Wahnich, historienne, directrice de recherche au CNRS-Laios
Les révoltes de l'abus de pouvoir, secrets privés, affaires d'Etat
Que la possibilité d'une effraction de la vérité de notre situation politique puisse passer par la volonté d'un domestique rebelle et d'employés maltraités et limogés résonne sans aucun doute avec ces pratiques de la veille de la révolution française.
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