Journée Mondiale de la Philosophie

Les raisons de la laïcité ouverte

Laïcité — débat québécois


Le concept de laïcité ouverte, défendu tant par le Rapport Proulx sur la place de la religion à l'école que par le Rapport Bouchard-Taylor est controversé. Si la laïcité ouverte s'est imposée, en pratique, au Québec, ses pourfendeurs sont nombreux. Qu'est-ce, donc, que la laïcité ouverte?
La laïcité est souvent définie comme étant la séparation de l'Église et de l'État. Cette définition a le défaut de ne rien dire des finalités que cherchent à réaliser la laïcité. Or, si l'État doit être laïque, pour développer des arguments défendus par John Locke dans sa Lettre sur la tolérance de 1689, c'est qu'il doit à la fois reconnaître l'égalité morale des citoyens et protéger leur liberté de conscience et de religion.
Pour ce faire, les pouvoirs religieux et les pouvoirs politiques doivent être séparés. [...] L'État, pour être l'État de tous, doit éviter d'appuyer une conception du monde et du bien particulière, qu'elle soit religieuse ou séculière. Il doit chercher, autant que faire se peut, à être neutre quant aux convictions de conscience qui structurent l'identité morale des citoyens. La séparation et la neutralité sont des moyens, des arrangements institutionnels qui permettent à l'État de se rapprocher des finalités qu'il poursuit.
Le fétichisme des moyens
Il est de la plus grande urgence, dans notre débat sur la laïcité, de mieux distinguer les fins et les moyens de la laïcité. Certains, en effet, sont parfois prêts à sacrifier l'une ou l'autre des fins de la laïcité au nom de la défense de la séparation des pouvoirs religieux et politique. La séparation, ici, est vue comme un bien à défendre.
Ce fétichisme des moyens [...] tend à nous éloigner des biens que doit servir la laïcité. Combien de fois avons-nous entendu qu'il était légitime de restreindre la liberté de religion de certains croyants en leur interdisant le port de signes religieux dans l'espace public au nom de la séparation du religieux et du politique? [...]
Les exigences de la laïcité
La laïcité exige que les normes et les institutions publiques ne prennent pas leur source dans une religion particulière, et non que les individus se défassent de leurs croyances religieuses ou qu'ils les privatisent complètement. L'exigence de laïcité s'adresse aux institutions publiques et non aux individus.
Qu'une jeune étudiante musulmane porte le foulard en classe ou qu'un médecin juif porte la kippa lorsqu'il est en fonction n'entame pas la laïcité de l'école et de l'hôpital. Il en va tout autrement de l'enseignement catholique et protestant confessionnel qui était jusqu'à encore tout récemment dispensé à l'école. L'école, dans ce cas, favorisait les catholiques et les protestants. La laïcité ouverte nous permet de faire ces distinctions et de prendre des décisions éthiquement plus acceptables quant aux enjeux reliés à la place de la religion dans l'espace public.
Le choix de la laïcité ouverte
Un régime de laïcité «ouverte» cherche à éviter que la laïcité soit en fait une morale antireligieuse. Un tel régime de laïcité est ouvert à la présence de la religion ou de toutes autres doctrines et mouvements de pensée dans l'espace public, dans les limites du respect des droits et libertés des autres citoyens. Dans ce contexte, les accommodements religieux sont raisonnables dans la mesure où ils n'exigent pas de l'État qu'il appuie ou favorise une religion particulière et que les droits d'autrui sont respectés.
Le programme d'éthique et de culture religieuse enseigné à l'école primaire et secondaire québécoise depuis septembre dernier est un autre exemple d'une laïcité ouverte en action. L'école, ici, est laïque: elle ne se veut pas la courroie de transmission de la religion et, surtout, elle met fin au statut privilégié réservé au catholicisme et au protestantisme. Il s'agit toutefois d'une laïcité ouverte, car la religion n'est pas simplement chassée de l'enceinte scolaire: les élèves acquerront des connaissances de base au sujet du phénomène religieux et des diverses traditions religieuses et spirituelles, à commencer par celles présentes au Québec depuis longtemps. La question de la transmission de la foi est laissée à la discrétion et à la responsabilité des parents.
La juste mesure
Trois positions s'affrontent au Québec dans le débat sur l'aménagement de la diversité morale et religieuse. La position conservatrice réclame un statut particulier pour les communautés chrétiennes ou le rétablissement de liens plus organiques entre le politique et le religieux. La position libérale-pluraliste ménage un espace pour la foi dans l'espace public (accommodements, patrimoine historique, etc.), un espace qui est toutefois balisé par le respect de l'égalité et la liberté de conscience. La position républicaine vise à contenir la religion dans la sphère privée et tend à exclure la liberté de pratique de la liberté de religion.
La laïcité ouverte est critiquée tant par les positions conservatrices que républicaines. Cela peut nous faire perdre de vue qu'elle est la voie de la juste mesure, celle qui se glisse entre les deux autres positions plus radicales et inconciliables sur le plan des principes. C'est elle qui est la plus susceptible de favoriser un aménagement équitable de la diversité des points de vue moraux et religieux dans le Québec d'aujourd'hui. Les croyants peuvent compter sur l'engagement que leur liberté de religion sera respectée et que l'État n'adoptera pas une morale antireligieuse. Ceux qui s'en remettent à des croyances et valeurs séculières dans la conduite de leur vie peuvent avoir l'assurance que l'État ne prendra pas ses ordres d'une religion donnée et qu'il ne favorisera pas les conceptions du monde religieuses par rapport aux conceptions séculières. Ce modèle doit aujourd'hui être précisé et consolidé, mais le Québec a fait le bon choix en l'adoptant.
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Jocelyn Maclure, L'auteur est professeur à la Faculté de philosophie de l'Université Laval. Il a été analyste-expert pour la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables

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