Les propos du premier ministre britannique David Cameron, samedi 5 février à Munich, sur "l'échec du multiculturalisme" en Grande-Bretagne, provoquent un débat dans son parti et font polémique dans une partie de l'opinion britannique.
Dans un discours remarqué, M. Cameron a estimé que "le multiculturalisme a conduit à ce que des communautés vivent isolées les unes des autres. Ces sociétés parallèles ne se développent pas selon nos valeurs. Nous ne leur avons pas donné une vision de ce qu'est notre société". Il a appelé l'Europe à "se réveiller"et à"regarder ce qui se passe dans ses frontières".
Rejetant toute stigmatisation de l'Islam, "religion pratiquée pacifiquement par plus d'un milliard de personnes", il a jugé que la théorie du "choc des civilisations" était un "non sens". Mais il juge qu'il faut plus de fermeté de la part des pouvoirs publics contre les "prédicateurs de la haine", et mieux contruire "une identité nationale pour tous". Il a promis que le gouvernement allait revoir notamment sa politique de subventions aux associations communautaires, pour n'aider que celles prônant la tolérance, le respect de l'égalité des sexes et l'intégration.
Ce discours fait écho à celui prononcé fin octobre 2010 par la chancelière allemande Angela Merkel. Elle y admettait elle aussi l'échec du multiculturalisme pratiqué dans son pays, appelant les immigrés à s'adapter à la culture et aux valeurs allemandes.
CONTROVERSE
En Grande-Bretagne, plusieurs associations musulmanes ont dénoncé ce discours. Muslims4UK, qui prône la tolérance et lutte contre l'islamisme, a ainsi fustigé une "analyse profondément erronée", jugeant qu'il y avait '"un lien ténu entre les problèmes d'immigration et les problèmes de terrorisme", et mettant en cause l'intervention britannique en Irak et en Afghanistan comme cause plus probable de la radicalisation d'une partie de la jeunesse musulmane. "Montrer du doigt les musulmans (...) ne fait qu'entretenir l'hystérie et la paranoïa à l'égard de l'islam et des musulmans", a également estimé Mohammed Shaqif, patron d'une fondation musulmane spécialisée dans l'éducation.
Au sein de la classe politique anglaise, le discours de M. Cameron lui a valu la colère de la gauche,qui l'accuse de faire monter les peurs et d'aider l'extrême-droite Sadiq Khan, membre du Labour (gauche), accuse ainsi le premier ministre d'avoir "écrit de la propagande pour l'EDL'" (English defence league, un parti d'extrême-droite). Une critique qui lui a valu la réplique immédiate d'une porte-parole Tory (parti de droite républicaine), jugeant ce commentaie "outrageant et irresponsable".
Plus modéré, l'ex-ministre de l'intérieur britannique Jack Straw, membre du Labour lui aussi, a jugé que les musulmans du pays "veulent la même chose pour leurs familles que n'importe qui, et adhèrent au mêmes valeurs, y compris une horreur du terrorisme".
Le premier ministre a choisi de faire son discours la veille de la marche de Luton, rendez-vous de l'extrême-droite britannique, qui donne lieu à des affrontements avec des groupes musulmans. Nick Griffin, leader du BNP (British National Party, extrême-droite), a salué ce discours, estimant qu'"en termes rhétoriques, c'est un signe de la griffinisation de la vie politique britannique. Il a dit des choses que moi et le BNP disons depuis des années".
"ATTAQUE DÉVASTATRICE"
La presse a noté l'audace de ce discours, mais pas toujours pour s'en réjouir. The Independent évoque ainsi "une attaque dévastatrice contre 30 ans de multiculturalisme", "un changement radical de stratégie". Mais l'un de ses éditorialistes, Paul Vallely, dénonce une posture dont il juge qu'elle "revient à caricaturer pour démontrer" et juge que certaines des propositions du premier ministre "envoient un message trop dogmatique", ressemblant à celui porté par d'autres partis de droite en Europe. "Le multiculturalisme vise à créer un facteur commun sociétal plus fort. L'approche de David Cameron nous condamne à checher le plus petit dénominateur commun", conclut-il.
Pour le Guardian (centre-gauche), David Cameron, en employant un terme aussi polysémique et vague que "multiculturalisme", a "garanti que cela provoquerait une controverse, ce qui était probablement en partie son but". Toufois, note le quotidien, le premier ministre a raison lorsqu'il estime que "l'Etat ne devrait jamais être aveugle à la cruauté et aux crimes qu'on peut trouver dans certaines pratiques culturelles dévoyées", comme l'excision.
Le Daily Telegraph parle quant à lui d'un "discours majeur" et estime qu'il signifie que l'Angleterre doit désormais "abonadonner la notion que différentes communautés peuvent vivre selon leur propres valeurs et traditions, à condition qu'elles respectent la loi". L'analyste politique de la BBC, Laura Kuenssberg, estime pour sa part que "David Cameron a marché d'un pas ferme dans un débat où bien des politiciens louvoient".
LeMonde.fr
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