Les populistes en ordre de marche

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L'alliance Salvini-Le Pen peut viser 80 eurodéputés pour dimanche prochain


À cinq jours des élections européennes, les forces souverainistes et eurosceptiques tentent de resserrer leurs rangs autour du ministre de l’Intérieur italien et président de la Ligue, Matteo Salvini. C’était tout le but de l’importante assemblée populaire, tenue samedi à Milan et qui a mobilisé plusieurs dizaines de milliers de personnes autour d’une dizaine de leaders souverainistes européens, dont la présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen.


« Marine ! Marine ! », scandait d’ailleurs la foule en liesse venue des quartiers populaires environnant Milan pour écouter « il Capitano » sur la place du Duomo. Devant les flèches de la cathédrale de sa ville natale et à quelques stations de métro de la piazzale Siena où il habite, celui que plusieurs considèrent déjà comme le prochain président du Conseil italien était visiblement en campagne, non seulement européenne, mais nationale. On prête à Salvini l’intention de profiter d’une victoire aux élections européennes pour provoquer des élections et gouverner l’Italie, non plus en alliance avec le Mouvement 5 étoiles, aujourd’hui en perte de vitesse, mais avec la droite de Berlusconi.


Accueilli comme une rockstar, le tribun a lancé : « On n’est pas racistes ! On n’est pas fascistes ! » Salvini dit prêcher pour « une Europe du bon sens » contre, dit-il, les extrémistes et les bureaucrates de Bruxelles. « Lui, il sait parler au peuple. Seul Salvini peut nous sortir de là », disait Ivano, un policier à la retraite qui votait communiste depuis qu’il était au biberon, dit-il. « Il faut revenir à une Europe qui tient compte des particularités de chacun, dit-il. On n’est pas contre l’Europe, on veut simplement une Europe qui ne soit pas contre les nations. »


Sur l’estrade, une dizaine de leaders souverainistes et d’extrême droite ont répété le même message et réaffirmé leur opposition à l’immigration de masse dont ils accusent l’Union européenne. Certains comme le néerlandais Geert Wilders allant même jusqu’à lancer « Basta islam ! » Nettement moins radicale, Marine Le Pen a préféré vanter l’Europe « d’Athènes et de Rome, de la chrétienté et des Lumières » tout en réécrivant les premiers vers de La Marseillaise : « Allons enfants des patries, Le jour de gloire est arrivé ».


« Le bon sens en Europe ! »


Un message radicalement différent de celui que tenaient Matteo Salvini et Marine Le Pen à l’élection européenne de 2014, alors qu’ils défendaient la sortie de leur pays de l’euro. Il y a cinq ans, même sur ce programme radical, Marine Le Pen était arrivée en tête en France. Un exploit qu’elle pourrait rééditer, puisque les plus récents sondages la mettent à 24 %, deux points devant la liste de groupe Renaissance d’Emmanuel Macron. « L’Italie d’abord ! Le bon sens en Europe ! », scandait Alexandre, secrétaire de l’organisation de jeunesse de la Ligue dans la petite ville de Pandino, près de Crémone. « Nous sommes la plus grande organisation de jeunesse d’Italie », dit-il. L’étendard de l’organisation qu’il brandit représente Alberto da Giussano, un chevalier mythique du XIIe siècle qui aurait vaincu les armées impériales germaniques de Barberousse.


Les 100 000 personnes annoncées par le « Capitano » n’étaient pas toutes au rendez-vous, mais la ferveur y était, malgré le crachin qui tombait sur la ville. Contrairement à la grande assemblée de Strasbourg qui rassemblait la semaine dernière les alliés européens d’Emmanuel Macron, à Milan les interventions en anglais (mais aussi en allemand et en français) ont toutes été traduites.


« Milan est un endroit crucial pour comprendre qui est Matteo Salvini, explique Alessandro Franzi, coauteur du livre Matteo Salvini #ilMilitante (disponible en anglais sous le titre Matteo Salvini. Italy, Europe and the New Right). C’est ici qu’il a grandi comme homme politique, dans cette ville qui prétend être la capitale économique et morale de l’Italie et un laboratoire politique qui annonce les changements sociaux et politiques à venir. Tout ce qu’il fait au gouvernement, il l’a expérimenté ici pendant 25 ans. »


Un camp divisé


Pourtant, tout n’est pas rose dans le camp du nouvel homme fort du populisme. La veille, l’un des piliers de ce rassemblement, Heinz-Christian Strache, vice-premier ministre autrichien et chef du parti d’extrême droite FPÖ partenaire de la coalition gouvernementale, avait dû démissionner. L’homme a été filmé en train de discuter avec une femme qui disait être la nièce d’un oligarque russe de l’octroi de contrats publics en échange de financements illégaux. Cette démission a entraîné dans son sillage le départ, lundi, de tous les ministres FPÖ, faisant ainsi éclater la coalition.


Malgré les images d’unité diffusées depuis quelques jours, la mouvance souverainiste demeure divisée. Dans l’état actuel, elle ne pourrait espérer plus de 80 députés sur 751. Mais c’est sans compter les élus de Fidesz, dirigé par le premier ministre hongrois Viktor Orban, ceux du parti Droit et justice (Pis) au pouvoir en Pologne et les Britanniques du Brexit Party dirigé par Nigel Farage (qui ne siégeront que si le Royaume uni n’a pas quitté l’Union européenne d’ici là). Seul un regroupement de ces forces aujourd’hui divisées leur donnerait la possibilité de peser sur le prochain Parlement. Mais les divergences sont nombreuses, notamment entre un Jaroslaw Kaczynski (Pis) qui redoute la Russie de Vladimir Poutine et Marine Le Pen, qui cultive au contraire ses liens avec ce dernier. À Milan, même la vieille amitié qu’entretiennent Marine Le Pen et Matteo Salvini n’a pas empêché la présidente du RN de devoir s’effacer un peu face au nouveau leader des populistes européens qui, contrairement à elle en France, semble en mesure de nouer des alliances pour prendre le pouvoir.


Alain Péchereau, conseiller municipal RN à Lyon, brandissait le tricolore français sur la place du Duomo. Il avait fait le voyage dans la matinée en autocar nolisé. « Je ne voulais pas rater ça, dit-il. Salvini nous donne des idées. Il nous montre l’exemple. » Signe que Matteo Salvini ne pensait pas qu’à l’Europe, il a terminé son discours par un couplet contre la mafia et en faveur d’une « flat tax » à 15 %. Une vieille revendication du parti de Silvio Berlusconi aujourd’hui minoritaire à droite, mais avec lequel il souhaiterait bientôt gouverner l’Italie.



Matteo Salvini l’Européen


Le nouvel homme fort des eurosceptiques n’a pas toujours été sur les tribunes européennes. Pendant longtemps, ce fils de la bourgeoisie milanaise a fait ses classes au sein du parti autonomiste la Ligue du Nord en animant des émissions sur Radio Padania. Pendant des années, il a sillonné le nord de l’Italie ne refusant jamais une tribune, dans les petits villages comme dans les régions rurales. À partir de 2014, troquant l’autonomie de la Padanie pour celle de l’Italie au sein de l’Europe, le tribun a transformé sa formation en parti véritablement national. Sa ligne dure sur l’immigration est aujourd’hui soutenue par une majorité d’Italiens.



Surnommé « le caméléon », Matteo Salvini est un pragmatique, explique Alessandro Franzi coauteur du livre Matteo Salvini, Italy, Europe and the New Right. « Salvini a toujours été plus pragmatique qu’idéologue. Il n’a pas hésité à s’allier à Berlusconi pour se faire élire. Puis à gouverner avec le Mouvement 5 étoiles. Je suis convaincu qu’il utilise la scène européenne pour renforcer son leadership national et devenir le prochain premier ministre italien. Si c’est un succès, cela lui donnera en retour l’influence nécessaire pour infléchir les politiques européennes. » Selon plusieurs observateurs, s’il veut peser en Europe, Salvini devra franchir la barre des 30%.



L’amitié entre le régionaliste Salvini et la jacobine Marine Le Pen a beau dater de son élection au Parlement européen (2009), cette alliance n’est pas pour autant éternelle, croit Franzi. L’absence de cette dernière en avril à Milan lors d’une réunion des eurosceptiques a beaucoup fait jaser. « Si l’élection européenne donne une victoire aux eurosceptiques, cette alliance pourrait même devenir un problème, croit Franzi. Surtout si Salvini se trouve dans la position de pouvoir s’allier avec la principale formation de droite, le Parti populaire européen », dont Viktor Orban est toujours membre malgré une suspension. À cause notamment de leur attitude à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine, il serait impossible d’asseoir Viktor Orban et Marine Le Pen à la même table.



Selon Franzi, la force de Salvini, c’est qu’en tant qu’homme fort de l’un des grands pays fondateurs de l’Union européenne, il est devenu un modèle en Europe. «C’est pourquoi tous les yeux sont tournés vers lui. Il montre pour l’instant une capacité à communiquer qui semble sans limites. C’est ce qui lui permet d’unir les nationalistes. Reste à savoir s’il pourra se donner une stratégie à long terme. Ce dont il n’a pas encore fait la preuve.»



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