Les mythes autour de la motion sur les Québécois formant une nation

Par Benoît Rheault

Tribune libre


Revoyons quelques mythes à propos de la motion sur " les Québécoises et les Québécois formant une nation au sein d'un Canada uni".

"C'est un moment historique et..." "c'est une avancée monumentale pour le Québec" ou "c'est un désastre pour ledit Canadian country of Canadian Canada".
Soyons raisonnables et reconnaissons à tout le moins un changement. En même temps, restons calmes, d'un côté comme de l'autre. Quel type de changement? Lord Durham a reconnu que les Québécois étaient une nationalité en 1839 (ça ne lui a pas donné d'admirables intentions pour autant, il faut dire). La fédération était sensée reconnaître les Québécois comme nation fondatrice en 1867. Lester B. Pearson a reconnu dans les années 60 que le Québec était "une nation dans une nation". Après deux siècles, un siècle et demi, après quarante ans, puis une période d'errements, on revient à la case départ. Comme le disait Gilles Duceppe en d'autres circonstances, "On n'a pas reculé, quelle avancée!".
Une motion passée après 1995, [comme le rappelle Patrick Bourgeois->3008], parlait de "société distincte", mais allait autrement plus loin, invitant les pouvoirs législatifs et administratifs à "prendre note" de cette reconnaissance et à "se comporter en conséquence". Et il y a eu la Déclaration de Calgary, saluée par le chef libéral d'alors, Daniel Johnson fils, comme l'est aujourd'hui la motion Harper par M. Jean Charest. Et ce furent des voeux pieux. Sans conséquence.

"On va reconnaître que le Québec est une nation": ...Faux! "que les Québécoises et les Québécois"! ..."forment une nation au sein d'un Canada uni." :
Ah, vous pensiez que la chicane sémantique était prise, mais vous n'aviez rien vu. Comme d'autres l'ont souligné plusieurs fois sur le blogue de Garth Turner , fort opposant à la motion et ancien conservateur maintenant indépendant (dégoûté, il est sorti de la Chambre; sérieusement), la différence est là.
L'État québécois est évacué de la notion de nation et on en revient à une conception ethnique et/ou individualiste. Après le sur-place, le retour en arrière. Cela est contre la volonté de la majorité des Québécois, pour qui, depuis quarante ans, l'édification d'identité territoriale a permis d'inclure tous leurs concitoyens dans leur nationalité. C'est important!

"Nation" est un mot d'une incroyable complexité nébuleuse et mystique, qui est totalement différent dans la langue anglaise où il est en pratique l'équivalent d'un pays souverain. Ce serait bien douteux, puisque le berceau de la langue anglaise, la Grande Bretagne, reconnaît quatre "home nations": l'Angleterre, l'Écosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord sans qu'aucune d'entre elles ne soient souveraines.

"La présentation de la motion de Stephen Harper respecte les Québécois":
Dire que les Québécois forment une nation, c'est respectueux. Voyons pour le reste. Le Bloc Québécois s'est penché sur la sémantique et la soumission dans le Canada uni. Je soulignerai pour ma part quelques autres éléments. M. Harper prétend que les "separatists" voulaient tendre un piège. Comment alors qualifier sa manoeuvre? Il y avait une motion qui mentionnait la nation québécoise. Au delà des motivations possibles conscientes ou subconscientes, la motion n'avait pas d'ajout partisan dans le texte. Harper ajouta le dada fédéraliste, changea "Québec" pour "Québécoises et Québécois" et la présenta lui-même.
Les bloquistes doivent ou bien faire une apparente profession de foi fédéraliste en votant pour ou voter en apparence contre la nation québécoise en votant contre. On peut débattre de la légitimité et la motivation d'un tel acte, comme on peut le faire pour la motion du Bloc, mais il demeure qu'on appelle ça un p-i-è-g-e. Sous un Jack Layton qui a reconnu la nation québécoise bien avant les conversions des Harper et Ignatieff sans trop qu'on s'en émeuve, les néo-démocrates avaient eu le courage de s'engager à voter pour la motion du Bloc. Mais les libéraux ont soudain trouvé le goût de voter lorsque c'étaient des fédéralistes qui présentaient. Comment qualifier ce constant dédain de représentants démocratiquement élus, que Bill Graham accusaient d'appartenir à un parti désirant "détruire", justifiant le refus libéral initial?

Dans son discours présentant la motion, M. Harper dit: "En débarquant à Québec, Champlain n'a pas dit que cela ne fonctionnerait pas ...] C'est exactement ce qui s'est passé il y a près de 400 ans: la fondation de l'État canadien." Champlain a fondé la Confédération du Canada telle qu'on la connaît aujourd'hui... en tant qu'État... et ça justifie que le Québec ne soit pas souverain... Les Québécois n'aiment pas se faire usurper leurs symboles, ou leur histoire. Et la cerise sur le gâteau: "Les Québécois et les Québécoises forment-ils une nation indépendante du Canada? La réponse est non, et elle sera toujours non!", dit Harper. Alors, auparavant, Stephen Harper ne se prononçait pas sur la question car c'était du ressort de l'Assemblée nationale et du Québec, mais maintenant, il leur dira que l'indépendance ne se produira jamais, qu'ils le choisissent ou non, démocratiquement? Voilà l'événement historique. C'est une attitude chauvine que certains diraient impérialiste. ([voir le texte complet des débats)

Au sujet de cette citation de M. Harper, "La réponse est non, et sera toujours non parce que des Québécois de toutes les allégeances politiques, de Cartier et Laurier à Mulroney et Trudeau, ont été à la tête du pays [...]": Comme le furent les Écossais John A. MacDonald et Alexander Mackenzie et l'Anglais Mackenzie Bowell après la Confédération, l'Anglais William Draper, l'Irlandais Francis Hincks et l'Écossais George Brown avant la Confédération; et ailleurs comme le furent des monarques britanniques tel que l'écossais Jacques Ier d'Angleterre, les Premier ministres britanniques tels que les Écossais Tony Blair (par la naissance) et son probable successeur Gordon Brown, le Géorgien Joseph Stalin pour l'Union soviétique, le Corse Napoléon Bonaparte pour l'Empire français, etc., etc. Pourtant, ça ne me semble pas un argument éclatant pour qu'on fasse de l'Irlande, l'Écosse, l'Angleterre ou la Grande Bretagne une province du Canada (!), ou qu'on retourne le Canada à un état de colonie britannique, et je doute que cela constitue de solides arguments pour les autres pays.

"C'est la première fois que Stephen Harper admet une telle chose": Tel De Gaulle, "je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas". Harper a admis que les Québécois formaient une nation... en 2004! Ce fut rapporté par Cyberpresse (à l'adresse http://www.cyberpresse.ca/elections_federales/article/1,7198,0,062004,721861.shtml maintenant inactive) et, si je ne m'abuse, à Canoë également. Mais cela s'est produit quelques jours avant les élections (si on parle d'opportunisme maintenant, que dire d'alors). Donc, on comprendra que les Québécois n'étaient pas une nation, ou même une société distincte, alors que M. Harper était du groupe du Parti réformiste qui torpillait Meech, qu'ils le sont devenus pendant une courte période avant un vote où les voix québécoises comptent, ont perdu ce statut entre 2004 et 2006 pour le recouvrir aujourd'hui alors que des élections approchent. Pour combien de temps? Tout ça suggère une autre question: ou bien les journalistes ont mal fait leur travail en rapportant ses propos à l'époque, ou ils font mal leur travail aujourd'hui en oubliant systématiquement cet événement de leur récapitulations.

Alors, soyons justes, mais ne soyons pas naïfs!
Benoît Rheault


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