Les médias et la dernière campagne électorale

17. Actualité archives 2007

Le chroniqueur Paul Cauchon du Devoir fait figure d'analyste des médias pour le quotidien de la rue Bleury. Toutefois, rarement l'a-t-on vu faire une analyse politique des médias, alors qu'il s'agirait là du travail à faire pour comprendre l'évolution de l'opinion publique en ce pays. Cauchon préfère plutôt traiter de sujets inoffensifs voire insignifiants pour tenter tant bien que mal de se présenter comme analyste des médias. Une semaine après l'autre, il nous donne ses humeurs sur la télé numérique, Internet, la popularité de Céline Dion et René Angélil, le commerce en ligne, les magazines insipides style Paris Match ou le succès de Gregory Charles. Bref, rien pour ébranler les pouvoirs en place ni rien pour déplaire au conseil d'administration du Devoir ou de tout autre média.
Or, le 26 mars dernier, jour d'élection au Québec, l'inoffensif chroniqueur s'est risqué à une analyse politique des médias (« Le choix électoral des médias »). Ou plutôt à ce qu'il croit en être une. Son but : prouver à ses lecteurs que les médias québécois sont parfaitement neutres et objectifs et que chaque parti et chaque option bénéficient avec équité de la même couverture médiatique. Sous-entendu : le Parti Québécois, André Boisclair et l'option indépendantiste ne seraient pas du tout défavorisés par les médias d'ici, bien que ces médias soient en tout ou en partie contrôlés par des fédéralistes. Ses références incontournables pour appuyer sa thèse : André Pratte et l'Observatoire des médias et des politiques publiques de l'Université McGill. Y'a pas à dire, le journaliste ultra-fédéraliste de La Presse et la très anglo-saxonne McGill University, voilà des références neutres et objectives pour parler de la neutralité politique des médias!
Cauchon cite Pratte : « Nos prises de position électorales n'engagent en rien le service d'information. Celui-ci continue à faire son travail en toute indépendance et objectivité.» C'est sans doute vrai que les prises de positions éditoriales n'engagent en rien les journalistes à l'information, mais ceux-ci savent très bien cependant par qui ils sont. engagés. Cauchon a certes raison quand il dit qu'il n'y a pas de « grands complots », même s'il le dit pour couper court à toute critique des médias établis (ce qui n'est pas une attitude très saine pour le débat démocratique). Nul besoin de complot organisé en effet, ni de liste noire ni de rappel à l'ordre formel pour que les journalistes sachent de quel côté leur pain est beurré, quand on sait que le pupitre est contrôlé par la direction et non par les journalistes. Quand on travaille à La Presse, on sait très bien qui est le patron. On a une famille à faire vivre et le chèque de mon'oncle Paul, on ne veut pas le perdre. C'est humain. Simplement humain. Quand on est à Radio-Canada, aucune confusion possible et pas besoin de mémo. Radio-Canada est une télévision d'État au service du gouvernement fédéral et il suffit aux journalistes de lire le mandat de la SRC pour constater qu'ils doivent favoriser l'unité canadienne ou à tout le moins ne pas la remettre en cause. Certains journalistes décideront de déroger au credo fédéraliste de la boîte? Ce n'est pas à conseiller. Ils subiront rapidement le même sort que les Devirieux, Lester et Parenteau. Ça suffira pour que tout le monde rentre dans le rang. Et au Devoir? Quand on sait que ce quotidien dit indépendant est administré (selon la déclaration annuelle 2005 déposée par Le Devoir au Registre des entreprises du Québec) notamment par Bernard Lamarre, PDG de SNC-Lavalin, Farès Khoury, de ECC Canada, Pierre Mantha, adepte de la privatisation des services et président du Conseil d'Investissements Trévi inc. et que Raymond Bachand, député libéral, a siégé sur le C.A. du Devoir avant de se lancer en politique active pour Jean Charest, on peut se poser des questions, surtout que, depuis, Bachand a été remplacé par nul autre que John Parisella, l'homme de BCP, libéral notoire et intime des pouvoirs politiques fédéralistes, président de la section Québec du défunt et douteux Conseil pour l'unité canadienne. Aucune chance donc que l'équilibre de la couverture politique ne soit rompu dans ce journal pour favoriser le Parti Québécois ou l'option indépendantiste.
Or, en plus des paroles d'évangile d'André Pratte, Cauchon appuie sa thèse de la neutralité des médias sur les travaux de recherche qu'auraient effectué l'Observatoire des médias et des politiques publiques de McGill. Que des chercheurs neutres et objectifs sur la question nationale, sans doute. Incidemment, ce sera bien difficile de juger de leur travail à travers le papier de Cauchon, puisque celui-ci ne mentionne absolument aucun chiffre! Il faudra donc croire sur parole Cauchon à propos des Anglos de McGill qui auraient semble-t-il prouvé que « la grande majorité des articles consacrés à tous les partis dans les quatre journaux étaient ''neutres'' », le PQ n'ayant donc pas été défavorisé durant la campagne 2007. Quel journaliste!
Cependant, des chiffres, il en existe quelques-uns, forts révélateurs. Dans un article paru le 25 mars 2007 intitulé « Charest remporte la bataille médiatique », La Presse nous apprenait que la firme Influence Communication en arrive à la conclusion qu'André Boisclair n'a bénéficié que de 29,6% de l'attention médiatique dans les médias écrits durant la campagne 2007, contre 30,8% pour Mario Dumont et un impressionnant 36,6% pour Jean Charest. Par ailleurs, à l'émission « Les coulisses du pouvoir », on a démontré que le PQ aurait bénéficié que d'un très maigre 24% de toute l'attention médiatique (incluant ici les médias électroniques et les médias écrits), contre 29% pour les Libéraux et rien de moins que 37% pour l'ADQ! Cela expliquerait bien des choses! En ce qui concerne la firme Influence Communication, on apprenait récemment, dans la Presse du 30 mars dernier (« Les médias plus exacts que les sondages? »), que, selon les données recueillies pendant toute la campagne par cette firme, les résultats électoraux obtenus par les partis politiques québécois correspondraient à peu de choses près à l'attention médiatique qu'ils ont respectivement reçue dans les médias écrits et électroniques. En fait, la « marge d'erreur » entre le pourcentage obtenu par les partis à l'élection et le pourcentage de l'attention médiatique qu'ils ont reçu dans la campagne est d'à peine 1,6%... Beaucoup moins que pour les sondages! Serait-ce que les partis reçoivent un appui populaire proportionnel à l'attention médiatique qu'ils reçoivent? Cela expliquerait-il en partie les problèmes du PQ et du mouvement indépendantiste?
Qui plus est, il faut ici noter qu'il ne s'agit que d'analyses quantitatives. Ainsi, posons-nous la question à savoir ce que donnerait une analyse qualitative de la couverture médiatique des élections 2007. Si on enlève toute l'attention qu'a eue le PQ pour la controverse entourant l'orientation sexuelle d'André Boisclair, pour l'affaire Robin Philpot, accusé faussement de négationnisme, et pour les contradictions Parizeau-Landy-Boisclair sur la possibilité de tenir un référendum sous un gouvernement minoritaire, quand a-t-on présenté le PQ autrement que négativement dans les médias? Très rarement, c'est l'évidence même!
Or, une analyse qualitive devrait aussi aller beaucoup plus loin. À quel moment des bulletins de nouvelles parlait-on du PQ? Le montage des reportages était-il défavorable au camp indépendantiste? Dans quelles pages des quotidiens traitait-on d'André Boisclair et de son parti? Quels titres ornaient lesdits articles? Quelles photos? Faire abstraction de ces questions, c'est se condamner à avaler tout rond, sans sens critique aucun, les inepties d'André Pratte et les analyses des unitaristes de McGill. Paul Cauchon du Devoir en est un triste exemple. Les analyses du type de celle de Cauchon, ce sont des analyses de collégiens qui passent à côté de tout.
Il faut étudier sérieusement l'impact politique des médias et prendre en compte l'ensemble du phénomène, de manière quantitative ET qualitative. Pour le mouvement indépendantiste québécois, l'étude de l'impact politique des médias est une nécessité vitale. À quand un observatoire indépendantiste des médias?
Pierre-Luc Bégin, dir.

Éditions du Québécois
Patrick Bourgeois, dir.

Journal Le Québécois


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