Les indignés israéliens face au geste désespéré de Moshé Silman

«Les indignés» dans le monde


Le 14 juillet, quelques milliers d'indignés israéliens manifestaient à Tel-Aviv pour commémorer le premier anniversaire du mouvement social le plus important de l'histoire du pays, la "Révolte des tentes", lancé à la mi-juillet 2011. Dans le cortège, Moshé Silman, un Israélien cinquantenaire criblé de dettes, s'est immolé par le feu. Transféré à l'hôpital, il est mort des suites de ses blessures, le vendredi 20 juillet.
Avant de se brûler vif, Moshé Silman a lu à voix haute une lettre mettant directement en cause le gouvernement israélien. "L'Etat d'Israël m'a volé et m'a laissé sans rien (...) J'accuse Israël, Benyamin Nétanyahou et [le ministre des finances] Youval Steinitz d'être responsables de l'humiliation constante que les citoyens d'Israël doivent endurer quotidiennement. Ils prennent aux pauvres pour donner aux riches." La sœur de la victime, dans une interview au journal israélien Yediot Aharonot, a précisé : "Quand ils lui ont tout pris – son entreprise, ses camions et sa maison –, il a perdu tout espoir. Ensuite, sa situation n'a cessé de se détériorer. Il n'a pas réussi à le supporter. Il a fait appel à tous les organismes mais n'a jamais eu de réponse."
TRAGÉDIE "PERSONNELLE" OU "COLLECTIVE" ?
A la suite de l'immolation de Moshé Silman, Benyamin Nétanyahou a déclaré sur sa page du réseau social Facebook : "C'est une grande tragédie personnelle." Pour les indignés israéliens, Moshé Silman est plutôt le symbole d'une tragédie collective, celle d'une société israélienne en proie à des difficultés croissantes pour se loger, se nourrir et faire face à un accroissement des inégalités.
Au lendemain de l'immolation de Moshé Silman, une manifestation d'hommage a été organisée à Tel-Aviv. Les indignés ont remplacé leur photo de profil sur le réseau social Facebook par une inscription "I, too, am Moshe Silman" ("Moi aussi, je suis Moshé Silman"). Cette phrase pour témoigner de leur soutien, mais aussi pour signifier leur sentiment d'être dans la même misère sociale que la victime.
Le samedi 21 juillet, après l'annonce de la mort de Moshé Silman, plus de 2 000 personnes sont descendues dans la rue à Tel-Aviv. Dans le cortège, les manifestants scandaient "Nous sommes tous des Moshé Silman ce soir", et brandissaient des pancartes, sur lesquelles on pouvait lire : "Bibi [le surnom donné au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou] tu m'as brûlé aussi."
NOUVEAU DÉPART POUR LE MOUVEMENT DES INDIGNÉS ?
Le geste désespéré de Moshé Silman va-t-il relancer le mouvement de juillet 2011 ? Anticipant la réponse, certains ont rapidement dressé un parallèle entre sa mort et celle de Mohammed Bouazizi, qui s'était immolé le 17 décembre 2010, lançant le mouvement de protestation en Tunisie contre le régime de Ben Ali, et par extension, ce que l'on appellera plus tard, le "Printemps arabe".
Le mouvement social, débuté à la mi-juillet 2011, dénonçait la hausse du coût de la vie, notamment du logement, et un accroissement des inégalités sociales. Il a débuté lorsque Daphni Leef, initiatrice du mouvement, a planté sa tente, le 14 juillet 2011, sur le très huppé boulevard Rothschild, suivie ensuite par des dizaines de milliers d'Israéliens.
Lire le portrait de Daphni Leef : 'Daphni la Rouge', icône de la révolte sociale israélienne
Le mouvement "J14" (pour "July 14"), aussi appelé la "Révolte des tentes", a culminé le 3 septembre dernier, lorsque 450 000 personnes, une première dans le pays, se sont rassemblées à Tel-Aviv pour manifester pour "la justice sociale". Mais, en octobre 2011, passée environ huit semaines de mobilisation, le mouvement s'est essoufflé.
A lire : Le message politique des 'indignés' israéliens
Depuis quelques semaines, des tentatives de relance du J14 ont échoué. Le 22 juin dernier, Daphni Leef a été arrêtée par la police alors qu'elle tentait d'installer à nouveau sa tente sur le boulevard Rothschild. Pour protester contre cette arrestation, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Tel-Aviv le 23 juin. Ce jour-là, 85 manifestants ont été arrêtés par la police, après que des affrontements ont opposé la police aux indignés.
Le geste désespéré de Moshé Silman a été suivi par cinq autres immolations, depuis le 14 juillet. La dernière d'entre elles, et la plus grave, a eu lieu le 22 juillet, quelques heures avant les funérailles de Moshé Silman. Dans les environs de Tel-Aviv, un homme handicapé d'une quarantaine d'années "a mis le feu à ses vêtements à un arrêt de bus près de Yehud", a expliqué le porte-parole de la police israélienne à l'AFP. Hospitalisé à Tel Hashomer, l'homme est brûlé sur 80 % de son corps.
Le positionnement des leaders du mouvement par rapport à ces actes de contestation d'un nouveau genre en Israël, où les cas d'immolations sont très rares, est compliqué. "Nous ne pouvons pas encourager une telle chose", a déclaré Stav Shaffir, une des leaders du mouvement, au New York Times. "Mais, d'un autre côté, nous ne pouvons pas ignorer cet acte. Moshé Silman a hurlé la douleur de beaucoup de personnes", conclue-t-elle.
Laure Beaulieu


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