(Ottawa) Les élections fédérales que le premier ministre Justin Trudeau compte déclencher dimanche coûteront la somme record de 612 millions de dollars, selon les estimations d’Élections Canada, soit 100 millions de dollars de plus qu’au dernier scrutin il y a deux ans, a appris La Presse.
La moitié de la hausse des coûts liés à l’organisation de ce scrutin national est directement imputable aux mesures sanitaires qui doivent être mises en œuvre aux quatre coins du pays en raison de la pandémie de COVID-19, a-t-on indiqué à Élections Canada.
M. Trudeau entend donner le coup d’envoi à une campagne électorale de 36 jours ce dimanche lorsqu’il se rendra à Rideau Hall pour demander à la gouverneure générale Mary Simon de dissoudre le Parlement. Les Canadiens seront ainsi convoqués aux urnes le 20 septembre, selon nos informations.
À la tête d’un gouvernement minoritaire depuis octobre 2019, M. Trudeau provoquera des élections même s’il reste encore deux ans à son mandat.
« Cela n’a aucun bon sens. Justin Trudeau ne frôle pas l’indécence. Il l’embrasse et l’enlace », a tonné le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, invité à commenter les coûts des élections à venir.
Le NPD plaide bruyamment depuis des semaines contre la tenue d’élections générales, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh étant allé jusqu’à écrire une lettre à la nouvelle gouverneure générale la priant instamment de ne pas donner suite à la requête du premier ministre de dissoudre le Parlement. Selon les experts constitutionnels, ce scénario est hautement improbable.
Cela n’a pas empêché M. Singh d’envoyer une autre missive cette semaine, cette fois au premier ministre, dans laquelle il l’a exhorté à rappeler le Parlement au lieu de déclencher des élections.
« Six cent douze millions de dollars, c’est pratiquement le coût permettant d’offrir des soins dentaires à tous les Canadiens pendant un an. Au lieu d’être capables d’offrir de tels soins à l’ensemble des citoyens canadiens, les libéraux préfèrent gaspiller cette somme pour essayer de s’acheter une majorité à la Chambre des communes », a illustré Alexandre Boulerice au bout du fil.
Il a fait valoir que plusieurs secteurs de l’économie comme la culture, les arts, le tourisme et la restauration « souffrent encore beaucoup de la pandémie ».
Nous ne sommes pas sortis de la crise. Il y a une quatrième vague qui est en cours. Il y a des inquiétudes sur le retour au travail, sur la rentrée des classes. Il n’y a aucune raison de précipiter le pays en élections, alors que le Parlement fonctionne.
Alexandre Boulerice, chef adjoint du NPD
Le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, s’est montré tout aussi cinglant. Dans un courriel à La Presse, il a soutenu que le premier ministre se comportait de manière « irresponsable ». « Les Canadiens ne veulent pas d’une élection risquée en pleine quatrième vague de la pandémie de COVID-19. C’est totalement irresponsable que M. Trudeau utilise autant d’argent public pour essayer de conserver le pouvoir pour lui-même et ses amis libéraux », a-t-il affirmé.
« Nous devons nous concentrer immédiatement sur la relance économique et la quatrième vague de la pandémie. Si M. Trudeau décide quand même d’y aller, nous serons prêts et notre plan de rétablissement du Canada permettra d’agir pour l’avenir des Canadiens », a-t-il poursuivi.
Un Parlement « dysfonctionnel », selon les libéraux
Le Bloc québécois juge également que des élections fédérales ne sont pas dans l’intérêt de la population en ce moment.
« C’est une décision irresponsable de Justin Trudeau qui vise la mauvaise cible. Ce n’est pas le temps de mettre ni notre argent ni notre énergie sur des élections », a affirmé Yves Perron, député de Berthier-Maskinongé, qui est le président de la campagne du Bloc québécois.
En ce moment, l’adversaire, ce n’est pas l’opposition, c’est la COVID-19. C’est là que doivent être concentrées nos ressources financières et nos énergies.
Yves Perron, député de Berthier-Maskinongé et président de la campagne du Bloc québécois
À Montréal, le leader du gouvernement en Chambre, le ministre Pablo Rodriguez, a repris un argument formulé par le premier ministre lui-même avant la fin de la session parlementaire, en juin, à savoir que le Parlement est devenu « dysfonctionnel ».
« À ce que je sache, il n’y a pas d’élections déclenchées, mais il y en aura, c’est sûr. […] Moi, ma job, c’était de négocier avec les partis de l’opposition, mais à la fin, c’était devenu plus partisan au Parlement », a-t-il plaidé.
Pluie d’annonces
Au cours des dernières semaines, Justin Trudeau et ses ministres ont multiplié les annonces aux côtés de membres du gouvernement de François Legault au Québec ou de premiers ministres d’autres provinces, préparant ainsi soigneusement le terrain au déclenchement d’élections à coups d’investissements de plusieurs milliards de dollars. Tous les sondages nationaux montrent que le vent est favorable aux troupes libérales.
De leur côté, les partis de l’opposition ont décrié à tour de rôle la volonté du premier ministre de plonger le pays en campagne électorale au moment où beaucoup redoutent les effets d’une quatrième vague.
Jeudi, l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, a affirmé que le pays était maintenant entré dans la quatrième vague.
La Dre Tam a refusé de se prononcer sur l’opportunité de tenir un scrutin national au milieu d’une nouvelle vague de COVID-19. Elle s’attend toutefois à ce que les candidats et les bénévoles respectent les règles sanitaires en vigueur dans leur coin de pays. Elle a rappelé par ailleurs que la grande majorité des nouveaux cas de COVID-19 au Canada se retrouvaient chez les gens qui n’ont pas été adéquatement vaccinés.
Départ de la campagne
Depuis des semaines, les apparatchiks de toutes les formations politiques ont accéléré les préparatifs en prévision du déclenchement des hostilités. La nomination des candidats s’est faite au pas de course. Les autocars ont été réservés, tout comme les avions de campagne. Les évènements des premières semaines ont été mis sur papier.
Justin Trudeau mènera ainsi les troupes libérales durant une troisième campagne électorale. Son principal adversaire, le chef du Parti conservateur Erin O’Toole, en sera à sa première campagne, tandis que le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet et le chef du NPD Jagmeet Singh en seront à leur deuxième. Il s’agira de la première campagne dans le cas de la leader du Parti vert, Annamie Paul, mais son parti est en proie à des divisions internes depuis deux mois.
À l’heure actuelle, le Parti libéral détient 155 des 338 sièges à la Chambre des communes, le Parti conservateur, 119 sièges, le Bloc québécois, 32 sièges et le NPD, 24 sièges. On compte également deux députés du Parti vert et cinq députés indépendants. Un parti doit remporter au moins 170 sièges pour former un gouvernement majoritaire.