Les Canadiens français

1996

Si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi. Sur le fond, c'est une dénégation de la démocratie québécoise et de sa qualité de nation, de même qu'un appel à la désobéissance civile.
De toute évidence, les dirigeants du camp fédéraliste ont abandonné tout espoir de remporter la lutte en passant par les canaux de la démocratie. En usant de la menace de la partition et en laissant flotter de vagues rumeurs de violence potentielle, on espère influer directement sur la clientèle cible des francophones nationalistes dits «mous». Tout cela est d'une subtilité proprement émouvante.
Les partitionnistes anglophones se sont adjoint des alliés d'une efficacité éprouvée. Depuis la nomination de Stéphane Dion, les politiciens fédéralistes francophones se bousculent pour appuyer cette vieille thèse anglo-montréalaise.
De Jean Chrétien en passant par Jean Charest et Daniel Johnson, on se prosterne devant la fameuse maxime de Pierre Trudeau: si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi.
En apparence, le mot est d'une logique inattaquable. Sur le fond, c'est une dénégation de la démocratie québécoise et de sa qualité de nation, de même qu'un appel à la désobéissance civile.
En tant que stratégie politique, c'est une tentative pathétiquement transparente d'exploiter la colère et le désarroi des Anglo-Québécois face à une possible victoire de l'option souverainiste.
Comme au bon vieux temps des procès contre la loi 101, les fédéralistes francophones fournissent à certains anglophones d'ici les outils et le cautionnement dont ils ont besoin. Dans le débat linguistique, cette caution se nommait Trudeau et l'outil, la Charte canadienne des droits.
Quant à la partition, la caution se nomme Dion, Bertrand, Chrétien, Charest et Johnson. Son instrument est le nouveau leitmotiv voulant qu'après la souveraineté, plus rien ne soit garanti, pas même l'intégrité territoriale du Québec.
Au Canada, on n'y peut rien, l'histoire se répète inlassablement. Mais avouons que la politique apprêtée à la sauce ethno-linguistique atteint de nos jours un niveau de raffinement remarquable. C'est ainsi que l'émérite sociologue Jean Chrétien nous apprend de Vancouver qu'il existerait au Québec plus d'un peuple, soit les Français, les Anglais et les «Indiens». Et mon boucher italien dans tout cela? Si ce n'était si dangereux, c'en serait presque drôle.
Pendant que les souverainistes s'époumonent à clamer le caractère civique de leur nationalisme, les fédéralistes, eux, ne font pas dans le postmodernisme transculturel.
Qu'on se le tienne pour dit, le Canada est une nation éternelle composée de groupes ethniques dont l'importance est déterminée par la date d'arrivée des ancêtres, d'où l'expression «premières» nations. Comme dirait Jean Chrétien, que voulez-vous, ils sont arrivés avant tout le monde!
Le «sang», comme nous l'a rappelé si souvent Ovide Mercredi, serait donc ce qui définit une nation, un peuple. Un peu plus et Lionel Groulx aurait fait un excellent libéral fédéraliste. Exit la nation québécoise. Welcome les enclaves ethniques et raciales.
Manipulation des anglos de Montréal par le fédéral
Cela dit, la stratégie partitionniste concertée du camp fédéraliste pourrait s'avérer onéreuse pour le camp souverainiste s'il ne prend l'offensive rapidement. En se servant des Anglo-Québécois comme à l'époque des luttes linguistiques - rappelez-vous la contestation devant l'ONU! -, ou des Cris et des Mohawks, Ottawa cherche à propulser l'idée de partitionner le Québec sur la scène internationale.
Après tout l'idée jouit de l'appui de la plupart des partis politiques du «plus meilleur» pays du monde (tel que décrété par la même ONU, voire de l'opposition officielle du Québec!)
Et où croyez-vous qu'elle ira, la sympathie de la communauté et des médias internationaux, lorsqu'ils croiront que ce beau et grand Canada fait face à une menace potentielle de désobéissance et de guerre civiles? Se pourrait-il qu'ils soient alors tentés de blâmer, comme à l'habitude, les méchants sécessionnistes porteurs du virus du nationalisme?
De toute évidence, les dirigeants du camp fédéraliste ont abandonné tout espoir de remporter la lutte en passant par les canaux de la démocratie. En usant de la menace de la partition et en laissant flotter de vagues rumeurs de violence potentielle, on espère influer directement sur la clientèle cible des francophones nationalistes dits «mous». Tout cela est d'une subtilité proprement émouvante.
Mais qui leur dit, à ces apprentis sorciers de la manipulation, que les francophones ne vont pas se rebeller face à cette tentative scandaleuse d'intimidation et que de nombreux anglophones, eux, ne vont pas prendre l'option de la partition vraiment au sérieux? Et si tel était le cas, qui saura mettre un frein à cette spirale?
Si ce n'était de la déclaration de M. Dion, le gouvernement du Québec risquait fort de succomber à certaines sirènes anglophones qui lui faisaient croire que tout cela n'était l'oeuvre que d'une poignée d'extrémistes isolés.
Leurs chants réconfortants susurraient à l'oreille de Lucien Bouchard qu'il suffisait de quelques gestes dits de «réconciliation» - comme l'acceptation inconditionnelle de l'affaiblissement de la loi 101 par les tribunaux - pour que les anglophones retrouvent le sourire et que tout rentre dans l'ordre. La belle affaire...
Cette analyse simpliste et trompeuse, tout aussi risible qu'elle puisse être, masque une réalité nettement plus inquiétante. Le soir du 30 octobre, l'espoir de la plupart des anglophones de voir le mouvement souverainiste et le nationalisme québécois vaincus une fois pour toutes s'est brisé sur les rives du phénomène Bouchard.
Chez un nombre croissant d'anglophones qui entendent rester au Québec, le choc a cédé le pas à une volonté renouvelée de faire échec au projet souverainiste par tous les moyens possibles, y compris pour plusieurs, la partition. Ce qui, on en conviendra, est un problème sociopolitique majeur, quoique dans les faits, il était inévitable.
Plutôt que de s'endormir aux chants des sirènes, le gouvernement québécois serait sage d'analyser la situation en toute lucidité et d'agir promptement. Quant à Daniel Johnson, nous ne pourrons plus jamais croire, tel qu'il le prétend, que son parti est résolument et exclusivement québécois...


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