Le vote de ma mère / Si la tendance se maintient...

Tribune libre



Ma mère ne comprend pas!


Pourquoi trois partis politiques ne forment pas un seul s'ils partagent la même ferme volonté d'amener le Québec à l'indépendance ? Malgré les 5000 km qui me sépare d'elle, sur le fil, j'essaye de lui expliquer les nuances et la complexité de la situation politique au Québec.


Inutile! Quand il s'agit de l'indépendance d'un pays et d'un peuple, ma mère n'a rien à faire des nuances. Pour ma mère, on l'est ou on l'est pas! D'ailleurs, elle ne comprend pas comment peut-on ne pas être indépendantiste lorsqu'on est dépendant des autres ? Cette femme de 78 ans, a vu de ses yeux, des milliers d'hommes et de femmes prêts à mourir pour que le Maroc accède à son indépendance.


C'est seulement après cette indépendance en 1956 que les marocains ont pu jouir de leur droit de vote. Depuis, ma mère n'a jamais manqué une seule fois le rendez-vous avec les urnes. Le jour du vote, elle est la première à se présenter au bureau du scrutin. Elle ne se présente jamais seule. Elle est accompagnée d'un ancien résistant, mon père.


Que le Maroc soit une monarchie exécutive, que l'essentiel du pouvoir soit encore entre les mains d'un seul homme, que les élections soient souvent truquées ou manipulées, de tout ça, ma mère n'ignore rien. Elle n'est pas dupe. Mais elle vote quand-même. Elle accomplit son devoir avec le sentiment que son vote compte. Elle ne connaît jamais les noms des candidats aux élections, elle ne lit pas les programmes des partis. D'ailleurs, elle ne sait pas ni lire ni écrire. Une seule chose lui suffit. Reconnaître sur le bulletin de vote la balance, le logo du parti qui a donné l'indépendance au Maroc, l'Istiklal (Le parti de l'indépendance). Son X n'a jamais été accordé à un autre parti que le sien.


La dernière fois que ma mère a voté c'était en juillet 2011, pour se prononcer sur la nouvelle constitution proposée par le Roi Mohammed VI (pour limiter l'affluence du printemps arabe au Maroc) . Elle a voté naturellement oui. Ma mère est monarchiste pur et dur. Ne lui demandez pas ce qu'elle pense du Roi Mohammed VI, c'est à son grand père Mohammed V qu'elle a voué fidélité et allégeance. Le Roi rebel qui a choisi d'être du côté du peuple et de la résistance. Celui-là même qui a présenté sa fille Aicha, vêtue à l'occidentale, en 1947 à Tanger, pour prononcer un discours adressé aux marocains. Comme d'autres marocaines de son âge, ma mère a été marqué à jamais par les gestes d'ouverture et d'émancipation du roi Mohammed V.


Oui, mais maman, tu vois bien que la corruption, l'injustice et les inégalités ont beaucoup augmenté au Maroc depuis 1956 et surtout depuis le décès de Mohammed V (1961). Tu sais bien que la monarchie, avec ses méthodes archaïques, ralentit la marche de la démocratie au Maroc. Tu sais bien que le Maroc, même indépendant, il dépend toujours des intérêts extérieurs. Ma mère sourit et dit simplement "Et si la monarchie n'est plus, qu'est-ce qu'il va nous arriver ?". Je n'ai pas dis que la monarchie doit disparaître, elle peut se moderniser. Notre monarchie peut s'avérer pertinente. Comme cela est arrivé dans d'autres pays ou les rois règnent mais ne gouvernent pas. "Tu as peut-être raison mon fils, mais chaque chose en son temps. En attendant, moi je vais aller voter!".


Pour ma mère, le vote est un gage de stabilité. Une assurance que les choses évoluent, tranquillement, mais sûrement. Elle tient à voter, toujours accompagnée de son ancien résistant de mari, mon père. Une résistance qui lui avait coûté ses yeux. La prison et la torture ne l'ont pas épargné. Mais cela ne l'a pas empêché de s'instruire et devenir instituteur. Comme d'autres anciens résistants, mon père a continué, par d'autres manières, la lutte vers l'émancipation. Des médecins, des ingénieurs et des professeurs ont été ses élèves.


J'ai parfois le fort sentiment que ma mère tient à voter pour donner sens à la résistance de mon père. Pour elle, il n'aura pas perdu ses yeux pour rien.


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Si le soir du 4 septembre prochain, Pauline Marois n'est pas élue première femme à la tête d'un gouvernement majoritaire au Québec, je vais être très déçu. Si le même soir, Françoise David n'est pas élue à l'Assemblée Nationale pour rejoindre Amir Khadir et donner une plus grande voix aux progressistes du Québec, je vais être tout aussi déçu. Si Jean-Martin Aussant n'est pas réélu pour maintenir le cap sur la souveraineté, l'Assemblée Nationale sera privée d'une voix vitale pour l'avenir du Québec.


Si le soir du 4 septembre, les québécois démontrent qu'ils se sont laissés avoir par le gonflage médiatique de la CAQ, ils auront encore une fois passé à côté de l’Histoire. Les trois partis indépendantistes seront jugés d'avoir grandement contribué à ce gâchis. En ne formant pas une alliance stratégique pour contrer la droite, le PQ, QS et ON seront les premiers responsables d'une telle défaite, quelques soient leurs arguments.


Ceci dit, à l'approche du 4 septembre, les citoyens progressistes s'organisent pour déjouer le vote de la droite et surtout pour essayer de remédier à la division de la gauche. Soyons alors optimistes, et misons sur le meilleur scénario. Pour une fois peut-être, c'est la division du vote de la droite PLQ et CAQ qui favorisera la gauche. Pour que cela arrive, le taux de participation au vote devrait dépasser les 90%. Pour que cela arrive, les jeunes doivent traduire leur magistrale indignation du printemps dernier sur les bulletins de vote.


Je ne suis membre d'aucun parti politique. Le seul parti qui compte à mes yeux est celui du bien commun. Je considère que seule la gauche (représentée, à différents degrés, par QS, le PQ et ON) est capable de protéger notre bien commun. Mais depuis l'avènement de Lucien Bouchard à la tête du PQ, la gauche a éclaté en morceaux et le PQ n'est plus le seul à incarner l'idée de la souveraineté.


À quelques jours du rendez-vous avec avec les urnes, souhaitons que la sagesse du peuple l'emportera sur la division des partis. Que la sagesse populaire l'emporte sur les pouvoirs occultes qui divisent depuis trop longtemps le Québec.


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Si la tendance se maintient, le meilleur scénario que je souhaite pour le Québec se réalisera! Nous serons des millions à partager la joie de vivre un moment historique. Une femme à la tête du Québec. Un petit pas pour Pauline Marois. Un grand pas pour l'égalité-hommes-femmes. Cela n'est pas rien! Mais cela, évidement, n'est pas tout.


Je sais d'avance que mon vote et celui de tous les progressistes ne représentent pas un chèque en blanc. Je n'attendrais pas 4 ans avant d'émettre mes opinions et mes critiques à l'égard du nouveau pouvoir, notamment sur le chaud dossier de la laïcité.


Je suis un adepte de la démocratie participative.
Qu'on se le tienne pour dit.

Mohamed Lotfi

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Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





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1 commentaire

  • Andréa Richard Répondre

    1 septembre 2012

    Andréa Richard
    M.Mohamed,
    Très touchant votre réflexion, je partage votre vision de l'enjeux.
    "Si le soir du 4 septembre, les québécois démontrent qu’ils se sont laissés avoir par le gonflage médiatique de la CAQ, ils auront encore une fois passé à côté de l’Histoire. Les trois partis indépendantistes seront jugés d’avoir grandement contribué à ce gâchis. En ne formant pas une alliance stratégique pour contrer la droite, le PQ, QS et ON seront les premiers responsables d’une telle défaite, quelques soient leurs arguments." Quel dommage irréparable ce serait!