Le sort des espèces aquatiques confié à l’Office de l’énergie ?

Ce n’est plus à Pêches et Océans de déterminer si un projet d’oléoduc affectera les milieux aquatiques

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Dans sa folie pétrolière, Ottawa veut confier aux renards la garde du poulailler

Ottawa pousse un cran plus loin la simplification du processus d’approbation environnementale des pipelines au pays. Cette fois, le gouvernement transfère à l’Office national de l’énergie la responsabilité, incombant auparavant au ministère des Pêches et Océans, de déterminer si un oléoduc affectera les poissons, leur habitat et les espèces en péril.
Ce transfert a pris la forme d’un « protocole d’entente » signé entre l’Office national de l’énergie (ONE) et le ministère (MPO) juste avant Noël, le 16 décembre dernier, et passé sous silence jusqu’ici. Comme l’indique son résumé, « en vertu de ce protocole d’entente, l’Office aura désormais la responsabilité d’évaluer les effets potentiels sur les pêches des projets de pipeline et de ligne de transport d’électricité de son ressort ».

Ainsi, c’est l’ONE qui fera l’analyse préliminaire déterminant si un projet de pipeline est susceptible d’avoir un impact sur les espèces aquatiques en péril et sur les pêches. Dans l’affirmative, il mandatera le ministère Pêches et Océans pour qu’il entame son propre processus d’autorisation afin de délivrer le permis requis. Le ministère des Pêches perd donc le droit de décider lui-même s’il a un mot à dire à propos d’un projet d’infrastructure énergétique affectant un milieu aquatique.

Le protocole d’entente va même plus loin en stipulant qu’un de ses objectifs consiste à « proposer un règlement qui désignera l’ONE comme une personne ou organisme autorisé à délivrer d’autorisations [sic] en vertu de la Loi sur les pêches ». Bref, à terme, l’ONE pourrait se substituer entièrement à Pêches et Océans.
« Une autre étape »

Pour le Parti vert du Canada, c’est une décision dangereuse, mais cohérente avec les changements déjà apportés par le gouvernement conservateur. « C’est seulement une autre étape dans le démantèlement, entrepris par le gouvernement de Stephen Harper, du rôle fédéral de chien de garde environnemental », lance au téléphone Janice Harvey, la critique en matière de pêches du Parti vert. Elle a été candidate au Nouveau-Brunswick lors de la dernière élection. « L’Office national de l’énergie n’a aucun mandat de protection de l’environnement ou des poissons », déplore-t-elle. Cela revient à « confier le poulailler au renard ».

En 2012, le gouvernement conservateur a utilisé son projet de loi budgétaire, le C-38, pour imposer une série de réformes environnementales qui avaient été décriées. C’est ainsi, notamment, qu’on a décidé que la Loi sur les pêches n’aurait plus pour objectif de protéger chaque être vivant dans l’eau, mais seulement les espèces exploitées à des fins industrielles, récréatives ou traditionnelles. L’ONE n’avait plus besoin de considérer les impacts des oléoducs sur toutes les espèces en péril, seulement les espèces aquatiques. Ses études devaient être réalisées en 18 mois. Ces réformes, insérées dans un projet de loi qualifié de mammouth à cause de sa taille, avaient été vertement dénoncées par les écologistes et les partis d’opposition à Ottawa.

Sylvain Archambault, biologiste pour la Société pour la nature et les parcs (SNAP), met lui aussi en doute l’expertise de l’ONE pour s’acquitter de ses nouvelles responsabilités. « Pêches et Océans a un mandat de conservation de l’habitat et de protection des espèces menacées. Ils ont l’expertise et les connaissances scientifiques. L’ONE a-t-elle cette capacité ? Va-t-elle se doter des spécialistes nécessaires ? On a de gros doutes là-dessus, dit-il. Pêches et Océans offrait un regard extérieur. L’ONE est impliquée avec les pétrolières. Il y a à tout le moins une apparence de conflit d’intérêts. »

M. Archambault donne l’exemple du port méthanier à Cacouna, qui comprendra un pipeline pour se rendre jusqu’à la terre ferme. « Ce sera dans l’environnement du béluga, une espèce menacée. C’est donc l’ONE qui décidera s’il y a un impact sur les bélugas alors que c’est Pêches et Océans qui a le mandat d’étudier et gérer cette espèce-là ! »

Créer un guichet unique

À l’Office national de l’énergie, la porte-parole Carole Léger-Kubeczek rétorque qu’expertise il y a bel et bien. « La formation est en cours depuis un an pour augmenter les effectifs. Il n’y a pas de préoccupation de ce côté-là », dit-elle. L’Office, ajoute-t-elle, dispose d’environ 60 personnes ayant de l’expertise en matière environnementale. « Notre personnel a de l’expertise en science aquatique, en protection de l’habitat du poisson, y compris de la formation de troisième cycle, ainsi que de l’expérience en recherche, dans l’industrie et en matière réglementaire tant fédérale que provinciale. »

L’objectif de ce protocole, fait valoir Mme Léger-Kubeczek, est de créer un « guichet unique » de manière à ce que les promoteurs n’aient plus à cogner à différentes portes pour faire approuver leurs projets. Pêches et Océans indique justement que ce protocole, en préparation « depuis quelque temps déjà », « aidera à éliminer les chevauchements et les duplications au cours des évaluations réglementaires ».

Steven Guilbault, d’Équiterre, conteste l’expertise de l’ONE pour bien évaluer l’impact d’un pipeline sur les poissons et les espèces aquatiques en péril. « La réglementation énergétique et l’évaluation environnementale, c’est pas la même chose pantoute ! » lance-t-il. De son côté, Greenpeace ne tire qu’une seule conclusion de ce protocole d’entente : « Le gouvernement Harper cherche à approuver des projets de pipelines dangereux plus vite et avec moins de surveillance », fait-on valoir par courriel.


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