Le silence de Lucien Bouchard

On peut comprendre, à l’extrême limite et en se forçant beaucoup, le silence de Lucien Bouchard. Mais ce silence n’en est pas moins infiniment regrettable Ce n’est pas loin de l’indignité.

Tribune libre


Un jour, à la fin de son travail à la synagogue, tout juste sortie de celle-ci et attendant l’autobus, une secrétaire (« subventionnée », j’étais fonctionnaire) fut attaquée. Quelques coups reçus. Par chance sans gravité. Des injures. Une grosse engueulade. Cette femme était une québécoise comme vous et moi, une canadienne-française, une Tremblay d’Amérique qui travaillait au secrétariat de la synagogue. En fait, elle était l’unique employée du secrétariat. Son travail était forcément varié. Son horaire de travail était fixe, conditionné en fin de journée par l’horaire de passage de l’autobus. Routine.
C’est en attendant l’autobus devant cette synagogue de la banlieue de Montréal que la femme avait été agressée et injuriée. Comme si elle avait été juive. C’est ce qu’elle affirmait. « Pourtant je suis une chrétienne, regardez la croix que je porte toujours » qu’elle me disait. Elle ne fut pas blessée. Mais cela l’avait beaucoup secouée. L’affaire n’a jamais été rapportée dans les journaux locaux. Trop minuscule incident. Une très simple anecdote dans une routine sans intérêt.
« C’était pas un québécois ! » qu’elle m’avait expliqué pour parler de son agresseur. Elle voulait dire un canadien-français, un Tremblay d’Amérique comme elle. Dans ce quartier de banlieue, en effet, y avait pas beaucoup de Tremblay d’Amérique. Y en n'a pas plus maintenant… Et puis, même si c’est difficile de bien reconnaître l’identité culturelle précise d’un agresseur, il me semble qu’on peut reconnaître assez facilement la sienne, la nôtre, notre identité, notre langue, lorsque qu’une agression se produit, surtout s’il y a engueulade. Les engueulades sont très révélatrices de l’identité. Comme c’était le cas ici, c’était vraisemblablement « pas un québécois », comme elle disait, qui était l’agresseur.
Mon interlocuteur, le patron-employeur, sépharade, était un francophone (marocain d’origine). Un excellent collaborateur. Il était révolté mais pas très surpris par cette attaque. Pour d’autres raisons, une autre culture, il était sans doute plus « révolté » que moi. Pour ma part, j’étais indigné, certes, mais déjà bien soulagé qu’il n’y ait pas eu blessure à la secrétaire.
Des mesures de sécurité furent prises par la direction. L’horaire de travail de la secrétaire fut d’abord modifié : il devint variable. Ensuite, des caméras furent installées à l’extérieur de la synagogue. L’idée, à ce qu’on m’avait expliqué, était de contrôler le plus efficacement possible l’accès à la synagogue (les portes étaient pourtant toujours barrées, mais la secrétaire était souvent seule dans toute la synagogue), d’avoir un œil ouvert sur le stationnement, situé, lui, tout autour de la synagogue mais principalement entre la synagogue elle-même et l’arrêt d’autobus. D’autres « incidents » mineurs s’étant déjà produits, valait mieux prévenir. Sécurité oblige.

Un mur invisible fut donc installé autour de la synagogue.
Je crois maintenant que la réponse « sécuritaire » de cette direction sépharade était la réponse à une inquiétude. Une inquiétude que nous n’aurions pas pour nous dans un tel cas.
Notre « révolte » à Nous, Tremblay d’Amérique, devant une pareille agression, somme toute mineure, mais allez savoir… allez donc savoir… ne nous aurait pas provoqué un tel niveau d’inquiétude. Nous n’y aurions pas vu d’abord une affaire ethnique, religieuse ou politique. Mais Nous, nous ne sommes pas juifs…
Et pourtant, au chapitre de l’inquiétude, les indépendantistes québécois aussi sont « inquiets », mais nous, bien sûr, c’est « au-tre-ment ». Comme chacun sait… Nous… Nous, c’est « dif-fé-rent ». Imaginez, le temps presse pour Nous… Montréal s’anglicise contre Nous…
wake up, wake up… Alouette !
Mais si les chefs indépendantistes sont incapables de répondre d’abord à cette inquiétude des concitoyens juifs de Montréal, des « citoyens » eux aussi, qui paient des taxes et qui sont pris comme nous tous dans le trafic infernal de Montréal, qui fournissent de redoutables lobbyistes, certes, qui sont capables du racisme le plus détestable, oh yeah, oh yeah, si les chefs indépendantistes ne répondent pas d’abord à cette « inquiétude », s’ils sont négligents au point de se laisser photographier avec les drapeaux du Hezbollah derrière eux, ben oui mon Gilles, ben oui, la communauté juive de Montréal verrait là un signal où il n’y en a pas (j’espère!), les indépendantistes du Nous se buteraient encore longtemps et bien inutilement à un mur. Indépendance ou pas.
Nous sommes capables de dire et d’écrire à la communauté juive de Montréal que Mordecai Richler était un grossier personnage. Que l’unanimité politique contre le projet souverainiste s’apparente à du mépris.
Je crois que cette communauté est capable de l’entendre. Sinon, il suffit simplement—ce que fait M. Barberis-Gervais sur Vigile, et ce qu’a déjà fait Yves Michaud— c’est-à-dire simplement hausser le ton, poliment mais fermement, suffisamment pour se faire entendre.
La rectitude politique ne sert ici que les têtes molles. Autrement dit, cela ne sert à rien. Lucien Bouchard n’a servi à rien, malgré qu’il puisse encore espérer Nous « servir ».
Comprend-il maintenant, Lucien Bouchard ? Comprend-il après 10 ans, qu’il ne peut plus « servir » avant de s’excuser lui-même, avant d’excuser lui-même tout son ancien gouvernement, et avant d’excuser aussi, lui-même, tout son ancien parti politique ? C’est après cela—et non pas avant, comme le suggère Yves Michaud—que nous pourrions dire avec ce dernier: « Au diable les libéraux », la démonstration étant alors facile à faire que les libéraux, en ne voulant jamais s’excuser de rien auprès de lui depuis le premier jour, sont ni plus ni moins qu’une gang de têtes très molles. Ce dont nous nous doutions déjà.
On peut comprendre, à l’extrême limite et en se forçant beaucoup, le silence de Lucien Bouchard. Mais ce silence n’en est pas moins infiniment regrettable Ce n’est pas loin de l’indignité. Et cela n’est pas anecdotique, puisqu’il fut premier ministre. Tout comme il n’est pas « anecdotique » non plus, dans cette affaire Michaud, que ce soit Pauline Marois qui serve de paillasson à ce qu’il faut bien appeler les traîne-savates intellectuels du péquisme ou de la péquisterie, comme on voudra..


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2010

    Lucien Bouchard a choisi le parti de l'argent, des riches, des biens nantis et les intérêts du ghetto financier de Montréal.
    Quand il a quitté son poste de premier ministre au début de 2001, il s'est trouvé rapidement une très riche niche dans un des plus gros bureaux juifs anglophones du Canada, l'étude juridique Davis Ward Philips Vineberg, le bureau par lequel a transité le PCAA émis par la compagnie torontoise Coventree et dans lequel Henri-Paul Rousseau, un bon ami de Lucien Bouchard, a englouti 12.3 milliards de dollars, un "mystère" pour lui. Comme associé principal chez DWPV, quand la firme fait de l'argent, Lucien en met dans ses poches. Combien sur les 12.3 milliards$ sont allés dans ses poches?
    Follow the money, comme disent les Anglais.
    Nous les indépendantistes militants, on s'est fait avoir jusqu'au trognon avec ce personnage qui citait René Lévesque ad nauseam, mais qui n'a été qu'un souverainiste de façade.
    Pierre Cloutier

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2010

    Lors des dernières élections,Bouchard n'est jamais sorti de son trou pour prendre la responsabilité des coupures dans le personnel de santé.
    Comme un lâche,il a laissé Madame Marois se débattre seule contre la démagogie de Charest et de ses libéraux serviles.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2010

    Qu'il se cache ainsi comme un voleur démontre tout de même qu'il est encore cappable de sentir la honte.
    Il mérite donc notre pitié.
    Joyeux Noël très chrétien, Lucien Bouchard.

  • L'engagé Répondre

    23 décembre 2010

    J'ai comme l'impression que ce Lucien vous entendra mieux si vous publiez ce texte en anglais dans La Gazette.
    Cette personnification de la réflexion à travers l'expérience de la secrétaire rend votre propos singulièrement profond.