Je suis encore soufflé par cette intervention du ministre-président de la Wallonie Paul Magnette devant son parlement afin d’expliquer le refus des Wallons de cautionner le traité de libre-échange Europe-Canada. Voilà un politicien qui est capable de hauteur, du sens de l’état dans ce qu’il a de plus noble, de plus précieux.
Un sens de l’état, il va sans dire, que nous n’avons pas vu au Québec depuis longtemps. Très longtemps.
Le joug libéral qui nous confine à l’état d’amibes politiques se construit précisément sur le cynisme et « l’anti-sens de l’état ». Les Québécois souffrent du mépris de Philippe Couillard et de son gouvernement, qui n’a rien à envier à l’incurie libérale de Jean Charest, le gouvernement libéral d’avant. La méthode reste la même, les acteurs sont quasi-identiques.
C’est une véritable leçon du sens de l’état qu’offre Paul Magnette tant à l’Union Européenne qu’au Canada et au Québec. On peut écouter son discours ici…
« Pour une véritable délibération démocratique. Pour la fin de ces traités négociés en secret. »
Le philosophe belge Éric Verhaeghe explique bien la nature générale de l’opposition des Wallons à ce traité économique multilatéral :
« L’analyse, sur le fond, est simple: l’opacité dans lesquelles ce traité est négocié, jointe à des manoeuvres d’intimidation pour obtenir une ratification avec des débats au mieux purement formels, n’est pas compatible avec les valeurs qui inspirent prétendument ce texte. Paul Magnette s’est livré, au passage, à une tirade tout à fait intéressante sur l’échec du multilatéralisme et sur le retour du bilatéralisme qui vaut la peine d’être écoutée.
Les Wallons proposent aujourd’hui une négociation bilatérale sur une déclaration interprétative qui dissiperait leurs doutes. »
Le ministre-président Magnette cite Kant pour introduire ses doléances concernant l’opacité qui a caractérisé plus de 6 ans de négociations du traité CETA : « Toutes les actions relatives au droit d’autrui dont la maxime n’est pas susceptible de publicité sont injustes. »
Et le ministre président de continuer :
« Voilà un principe fondamental du droit international. En d’autres termes, tout ce que l’on n’a pas à cacher, on ne doit pas le cacher! Si on a rien à cacher dans ces accords commerciaux, si vraiment le CETA est bon pour les petites et moyennes entreprises, si vraiment le CETA est bon pour les agriculteurs, si le CETA est bon pour les services publics, si vraiment le CETA est bon pour la croissance, alors pourquoi faut-il le négocier en secret! Pourquoi n’a-t-on pas la confiance de le faire devant les citoyens! Il y a là une contradiction fondamentale dans la méthode, et elle s’est appliquée, cette contradiction, depuis le début des négociations sur le CETA. Les Wallons ne peuvent cautionner ça. Ce serait là un affront à la légitimité populaire de notre parlement. »
En terminant cette parti de son explication, le ministre président Wallon rappelle que les négociations sur le CETA ont coirs depuis 2009, toujours en secret. Que le parlement wallon n’a jamais été tenu au courant de ces négociations sinon que par l’envoi d’un mandat très vague d’une vingtaine de pages qui fixait le mandat et le cadre général du CETA. Entre 2009 et 2015, la commission européenne négocie au nom de l’Europe, mais le rappelle Magnette, sans rendre de compte, sans s’expliquer sur les détails de la négociation. « Et on arrive, fin 2015, en disant voilà les négociations sont finies. Les 20 pages sont devenues 1600 pages et ne dites seulement qu’Amen! »
« Et c’est précisément parce que nous ne pouvons plus accepter cette manière là de faire des négociations commerciales que nous ne pouvons cautionner ce traité. Nous avons signifié dès septembre 2015, dès que les textes nous été connus, nous avons tiré la sonnette d’alarme. Le 18 septembre 2015, c’est à la ministre québécoise des relations internationales que nous l’avons signifié. Il y a plus d’un an! Et tout au long de l’année, nous avons eu d’interminables contacts avec tous les partenaires, mais cela n’a jamais rien donné. Entre octobre 2015 et juillet 2016, il ne s’est pratiquement rien passé. Et tout à coup en juillet 2016, nos partenaires se sont dits, tiens! ces Wallons ils ont l’air déterminés! Ils ont l’air de savoir ce qu’ils veulent! Ils ont l’air de vouloir aller jusqu’au bout. Il va falloir négocier avec eux! »
Paul Magnette explique qu’il s’est entretenu, fin septembre 2016, avec le PM Couillard pour lui expliquer les réserves de son gouvernement. Mais rien n’a bougé suite aux discussions avec le PM du Québec. Ensuite quelques jours plus tard avec Pierre Pettigrew négociateur au nom du fédéral et de Justin Trudeau. Finalement c’est le 4 octobre dernier que finalement on envoie au gouvernement wallon, oralement (!) une table des matières de ce que pourrait être une éventuelle déclaration interprétative. Et en passant, essayez d’être d’accord pour le 11 octobre! C’est qu’on est déjà en retard! (je paraphrase ici Paul Magnette).
Bref, le Canada, le Québec, l’Union Européenne ont tenté de forcer dans la gorge des Wallons un traité négocié dans la plus grande opacité. Ils ont frappé un mur. Depuis, les Néerlandais, les Autrichiens et un peu partout en Europe, des voix se lèvent, des parlementaires de tous les pays européens aussi, pour appuyer les Wallons et pour condamner ces traités « multilatéraux » négociés dans le secret, traité dont les contenus qui auront impact sur le peuple, sont cachés au peuple.
Et Paul Magnette insiste pour rappeler que les Wallons ne sont pas contre ce type de traités, ni contre les ententes multilatérales, ils en ont assez de cette opacité, de cette manière de faire. Voilà sur quoi repose son sens de l’état. Et vu d’ici, vu du Québec où notre gouvernement provincial gouverne à coup de mépris et de cynisme, ce sens de l’état fait rêver. Et rager aussi.
« La ministre canadienne au bord des larmes de n’avoir pu livrer CETA »
La ministre Canadienne du commerce international Christian Freeland était, quant à elle, au bord des larmes de n’avoir pu convaincre (imposer?) les Wallons de ratifier le CETA. Dans sa déclaration, elle est allée jusqu’à dire qu’elle ne comprenait pas que la Belgique ne puisse ratifier un tel traité avec un pays aussi gentil et patient que le Canada. On peut dès lors juger du sens de l’état des uns, des autres. Au final, on comprend que les plus « impatients » ici sont ceux qui poussent, qui travaillent si fort, dans l’ombre toujours, pour que ces traités se fassent, et se signent, dans la plus grande opacité.
Une leçon pour Philippe Couillard
Il y avait aussi dans le discours de refus du CETA par Paul Magnette une leçon pour le PM du Québec Philippe Couillard. Une pointe, une flèche envoyée à ceux qui « sans cessent usent de menaces pour en arriver à leurs fins politiques ». Une méthode qui colle à la peau du chef du PLQ Philippe Couillard dont on sait déjà que l’argumentaire électoral contre l’adversaire péquiste en 2018, comme en 2014, sera axé sur la peur, sur la menace.
Extrait du discours de Paul Magnette (à 7:15) :
« Moi je n’aime pas quand la discussion, tout d’un coup, commence à glisser vers la menace comme on a pu l’entendre ces derniers jours. Attention il y aura des conséquences! Attention il y aura des rétorsions, etc. Je trouve que ce n’est pas digne d’un débat démocratique. Je n’aime pas du tout quand la discussion commence à glisser vers des choses qui s’apparentent à l’injure. J’espère que justement car nous sommes des amis [les Wallons, le Canada et le Québec] nous pouvons éviter entre nous les menaces et les propos plus ou moins injurieux. »
Car le ministre-président Wallon, quand il a goûté à la médecine des Couillard-Trudeau de l’invective sur le repli et les appels « à l’ouverture » des gouvernements canadien et québécois, et bien il avait de quoi répondre. Paul Magnette n’allait pas se laisser enfermer dans la logique de l’injure et de la calomnie. Il en a plutôt appelé au sens de l’état de ses homologues québécois et canadien en les enjoignant de se mettre à l’écoute des doléances du peuple wallon et de cesser la logique de l’intimidation pour faire ratifier de tels traités.
Voilà pourquoi j’appuie le ministre-président Wallon Paul Magnette, et le félicité de son sens de l’état. Sa droiture et son insistance à défendre la légitimité démocratique de son parlement nous fait envier ces politiciens qui montrent un tel sens de l’état.
Cela nous rappelle aussi la petitesse de ceux qui nous gouvernent ici au Québec et au Canada.
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