Le regain de la pression religieuse

La codification surnaturelle (1) Le sens politique (2) La vérité (3)

Laïcité — débat québécois

Le dimanche 28 octobre 2007
La codification surnaturelle (1)
Nous publions aujourd'hui le premier de trois éditoriaux sur le regain de la pression religieuse.

Dieu est grand, c'est certain. Seule une puissance surnaturelle pouvait en effet créer un psychodrame collectif à partir de rien. Quelques objets plutôt banals, le voile islamique ou le couteau sikh, devenus la cape et l'épée de ce grand roman d'aventure. Quelques élans d'hyper-piété et de pudibonderie, concernant le jambon ou le vin, les pièces de tissu ou les bouts de corde, l'espace dévolu au tapis de prière ou les formes féminines visibles dans un gymnase...
Traduite en chiffres, la chose est tout aussi insignifiante.
Entre 2000 et 2005, à peine 2% des 5500 plaintes reçues par la Commission des droits de la personne concernaient la religion et ses accessoires. Et on a du mal à croire à la menace que ferait peser, au Québec, 2,8% de juifs, musulmans et sikhs sur 87,9% de chrétiens!
Néanmoins, l'affaire a fait interdire la lapidation à Hérouxville (!), fouetté les chrétiens assoupis, ramené les escarmouches de crucifix, ressuscité les Bérets blancs, fondé la commission Bouchard-Taylor, mobilisé les féministes, titillé la fibre identitaire, ranimé le débat linguistique et menace d'ébranler la Magna Carta québécoise!
Une constatation s'impose: il importe peu que les demandes d'accommodements en matière de symboles et rites religieux proviennent d'une minorité de croyants. La pression exercée n'est pas une question de quantité, mais de nature. «Un symbole religieux est en quelque sorte le condensé d'une vérité putative (qui instaure) un nouveau système de communication», estime Antonio Gualtieri, professeur de sciences de la religion dans Modernité séculière et identité religieuse.
Or, ces symboles et rites communiquent bel et bien des informations qui, de toute évidence, dérangent.
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Essentiellement, la foi consiste à admettre l'existence d'un être surnaturel qui a créé l'univers, s'intéresse à ses créatures et réclame une vénération exclusive. Dans les cas usuels, la contemplation intérieure, la soumission à un code moral et les réunions pieuses traduisent cette foi.
Par contre, les marges pures et dures de toutes les mouvances religieuses entretiennent une prédilection pour des dieux tyranniques qui imposent une façon de coiffer ses cheveux ou de les couvrir, de s'habiller, de se raser, de se laver, de s'armer, de manger, de boire, de travailler, de se divertir, de regarder l'autre sexe. Et, dans les cas vraiment extrêmes: une façon d'exercer le pouvoir temporel ainsi que de tuer, de se tuer et d'être tué.
Devant cela, il est impératif de ne pas «accréditer une vision des choses qui est indémontrable d'un point de vue philosophique ou scientifique (et découle de) commandements divins intangibles et inadaptables», juge le Mouvement laïque québécois dans deux mémoires distincts, dont l'un a été soumis à la commission Bouchard-Taylor.
Car il s'agit bien de la première information communiquée par les rites et symboles: l'adhésion affichée à une codification surnaturelle, inusitée et cruelle de l'existence humaine. Ce qui fait naître cette sorte de malaise que chacun ressent devant la déraison et est susceptible de provoquer à son tour des réactions déraisonnables.
Brandir le crucifix pour exorciser le voile, par exemple.
>>> Lire le mémoire du Mouvement laïque québécois
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Le lundi 29 octobre 2007
Le sens politique (2)

La religion a toujours été liée à la politique. L'Ancien Testament narre les aventures géopolitiques d'un peuple et ses conflits avec d'autres nations; l'être divin prend alors parti pour les uns et contre les autres. L'exemple venant de si haut, les institutions religieuses ont longtemps joué un rôle majeur dans l'exercice du pouvoir politique.


Cependant, dans leurs versions chrétienne et juive, ces institutions n'agissent plus aujourd'hui dans le champ politique que par le lobbying - parfois lourd, il est vrai - auprès des élus.
L'islam, la plus jeune des religions «du livre» (et peut-être pour cette raison), n'a cependant pas partout et totalement accédé aux bienfaits de la séparation de l'Église et de l'État. Il existe dans le monde musulman des théocraties. Et une frange militante, parfois extrêmement violente, lutte pour imposer la gouvernance par le Coran dans des États faibles ou en faillite.
En Occident, la pression qui s'exerce pour obtenir l'éclairage du monde temporel par la lumière surnaturelle n'est pas inexistante non plus. C'est pourquoi les symboles et rites religieux (qui, nous l'avons vu hier, communiquent d'abord l'adhésion personnelle à une codification surnaturelle de la vie privée) sont souvent perçus comme affichant également une intention politique.
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Il existe deux façons pour un croyant fondamentaliste de se donner un environnement à sa convenance.
La première est l'auto-ghettoïsation, comme chez les juifs hassidiques. «Cette communauté a choisi de vivre à l'écart de la population, malgré tous les accommodements qui lui ont permis justement de continuer à vivre en vase clos», décrit Yolande Geadah dans Accommodements raisonnables. L'autre voie consiste à tenter de remodeler la société pour la rendre à son image. Réclamer une justice régie par la charia ou une prestation sexiste des services par la fonction publique relèvent de cette méthode.
Ni l'une ni l'autre méthode n'est exempte de danger pour les sociétés théoriquement débarrassées de la tutelle divine.
Au surplus, la religion se révèle incompétente en politique lorsqu'elle s'y aventure.
Si le pape Benoît XVI est capable d'abolir les limbes (qui ont longtemps terrorisé les parents de nourrissons!), il ne profère que des clichés lorsqu'il s'aventure sur le terrain de la politique. Il y a 10 jours, une lettre ouverte de 138 théologiens et intellectuels musulmans plaidant pour la réconciliation entre les religions «du livre», un événement historique, est pourtant passée inaperçue: cette lettre n'était en fait qu'une étude comparée de la Bible et du Coran, savante et austère, sans le moindre rapport avec la réalité.
Dieu est grand, nous l'avons déjà noté, mais il n'a jamais accompli de miracles en politique - il a par contre déclenché bien des conflits meurtriers.
Il est donc préférable de le tenir résolument à l'écart.
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Le mardi 30 octobre 2007
La vérité (3)

Les dieux, les institutions religieuses ainsi que les croyants eux-mêmes continuent de détenir un pouvoir énorme au sein de toutes les sociétés. Dans les États laïques, ce pouvoir ne passe pas par l’appareil politique, mais par la force d’inertie de la tradition. Et, surtout, par l’inextinguible sacerdoce des croyants, chacun tirant sa force de l’assurance de fréquenter le vrai dieu, les plus zélés affichant cette révélation de manière ostentatoire.

Après la soumission personnelle à une codification surnaturelle ainsi que l’intention politique, il s’agit de la troisième information communiquée par les symboles et rites religieux : l’absolue certitude de détenir la vérité. Et cette supériorité affichée est décodée comme telle par nombre de ceux que heurtent les accommodements consentis récemment.

On a déjà vu, dans cette colonne, comment les êtres humains sont programmés pour croire.
Aussi, la baisse apparente de la pression religieuse que l’on a observée depuis les années 60, au Québec, n’était en partie qu’une illusion. «La désaffection de la pratique ne témoigne pas du recul de la croyance. (…) On peut même penser que la fin du monopole des professionnels de la religion sur le religieux a libéré l’irrationnel et généré une plus grande profusion de sacré, de religiosité, de soumission à la déraison» constate Michel Onfray dans son Traité d’athéologie.
Par conséquent, la longue marche vers une place publique débarrassée des dieux
et de leurs accessoires n’arrivera jamais vraiment à destination. Mais il ne faut pas l’abandonner. Or, seul le savoir, et en particulier celui offert par la science, peut tenir la route : Adam et Ève n’ont-ils pas été damnés pour avoir goûté aux fruits de l’arbre de la connaissance ?…
D’une part, donc, l’éducation.
Or, on voit ceci : un nouveau programme d’« éthique et de culture religieuse » sera implanté l’an prochain dans les écoles du Québec. Il s’abreuvera aux paroles et aux gestes d’un aréopage de dieux et prophètes divers. On ne peut s’empêcher de penser, comme Jacques Godbout (dans L’actualité), que «une fois de plus, la catéchèse se substitue à l’histoire».
D’autre part, le savoir scientifique.
Et on voit ceci : une véritable campagne, venant de multiples horizons, est aujourd’hui menée contre la science. La méthode scientifique étant la seule expressément construite pour chercher et trouver la vérité, écrivent Alvin et Heidi Toffler dans La richesse révolutionnaire, elle fait l’objet d’une «guérilla (qui) ne vise pas seulement à remettre en question des faits scientifiques, elle cherche surtout à dévaluer la science en tant que telle». Dans les deux cas, on ne marche pas dans la bonne direction.
Pendant ce temps, le Québec doit investir des énergies considérables dans la gestion de pièces de tissu, de bouts de corde et de colifichets, étonnante régression dont on mesurera peut-être un jour toute l’absurdité.
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