Le problème de nos sociétés n’est pas le «complotisme» mais le fidéisme envers les médias dominants

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S'agissant des médias, la bonne foi ne se présume pas



Pour les chercheurs qui s’intéresseraient aux phénomènes de société, ce serait amusant de suivre, en live, l’évolution du nouveau débat sur le complotisme pour les 10-20 ans à venir. Comme tous les néologismes créés pour ranger tous ceux que l’on veut ostraciser et combattre, le « complotisme » finira peut-être comme les autres mots en « … isme », en une sorte d’emblème autour duquel se reconnaitront et se réuniront des groupes de militants actifs, qui finiront par être récupérés, organisés et utilisés par certains petits malins à des fins politiques. Peut-être verra-t-on, dans quelques années, un « Parti Complotiste », un « Parti Complotiste de Gauche » (ou de droite), un « Parti Démocrate Complotiste », des « Complotistes Indépendants », des « Chrétiens Démocrates du Complot », etc. En face de ces partis, il y aura forcément les pendants « anti-complots », qui se donneront pour mission de sauver le monde contre la vague complotiste, avec sans doute autant de morts que dans les autres combats contre les « … ismes » qu’ils ont eux-mêmes créés. RI



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Jean Bricmont, essayiste et physicien belge, se penche sur les raisons de la popularité des théories du complot.


Le revue belge progressiste Politique a consacré son dernier numéro aux «théories du complot», ce qui m’a amené aux réflexions suivantes.


Il existe toute une série de légendes urbaines, appelons cela ainsi, qui circulent sur les réseaux sociaux, concernant divers attentats, les chemtrails ou la nocivité des vaccins. En général, je n’en crois aucune, tout en acceptant parfaitement que des gens «se posent des questions» sur ces sujets.


Mais est-ce nouveau et est-ce dangereux ?


Toutes les croyances aux pseudo-sciences ou aux médecines alternatives sont du même type, de même que la crainte des OGM ou la croyance à la psychanalyse, qui sont très répandues au sein de la gauche «respectable», y compris chez celle qui dénonce avec vigueur le «complotisme».


Les gens qui dénoncent le «complotisme» ignorent souvent des crimes évidents


L’essence du «complotisme», c’est la croyance en une force invisible qui manipule les acteurs des tragédies humaines et qui tire les ficelles des grands événements. En réalité, la théorie du complot la plus répandue, et qui est aussi ancienne que l’humanité, c’est l’idée qu’il existe une ou plusieurs divinités invisibles qui s’occupent de nos affaires et répondent à nos prières, autrement dit les croyances religieuses que l’on nous demande par ailleurs régulièrement de «respecter».


Certains voient dans le «complotisme» un danger politique, surtout lié au lien supposé entre «complotisme» et anti-sémitisme. Mais le «complotisme» n’est en général qu’une réaction (maladroite selon moi) de scepticisme par rapport à la propagande de l’Etat et des médias. De même, ce qu’on appelle l’antisémitisme aujourd’hui est en grande partie une réaction aux biais pro-israéliens des médias dominants et à la répression constante de tous les propos qui passent pour antisémites.


Toutes les allégations concernant les mauvaises intentions (cachées) de Poutine ou d’Assad sont aussi du type «théorie du complot»


Pour autant, si l’on y réfléchit, toutes les allégations concernant les mauvaises intentions (cachées) de Poutine ou d’Assad, ainsi que de nos ennemis passés ou futurs, sont aussi du type «théorie du complot». Simplement, quand ces théories visent les adversaires de nos États, aussi farfelues soient-elles, elles deviennent respectables.


D’autre part, je ne suis pas sûr que des «complotistes» avaient imaginé, lors de la guerre en Libye en 2011, le degré de cynisme et de manipulation de l’opinion de la part de Mme Clinton qui est révélé par ses e-mails. La réalité dépasse parfois l’imagination la plus débridée.


Par ailleurs, le reproche que je ferais au «complotisme», c’est qu’en tentant de démontrer des crimes cachés, il semble ignorer ce qui est évident : les crimes avérés et documentés de façon indiscutable de l’impérialisme américain et de sa politique d’ingérence universelle, qui sont tellement monstrueux qu’il est inutile de vouloir en trouver de nouveaux, même cachés. De façon symétrique, les gens qui dénoncent le «complotisme» ignorent souvent ces crimes évidents et font comme si la réfutation des complots permettait d’absoudre la politique des Etats-Unis.


C’est pourquoi je reste perplexe devant le nouveau numéro de Politique. Si certains trouvent qu’il est essentiel de combattre le complotisme, libre à eux de le faire. Mais qu’en est-il de la critique de la propagande de guerre ? Et qu’en est-il de la défense de la liberté d’expression ? Bien que Politique se présente comme une «revue de débat», je ne vois aucun article défendant un quelconque «complotiste» (tout le dossier est à charge). Tout comme je n’y vois pas la moindre défense de la liberté d’expression de certaines des personnes visées, comme Dieudonné et Soral, qui sont constamment poursuivis pour délit d’opinion.


Attaquer des gens qui sont poursuivis pour délit d’opinion, et qui par conséquent ne sont pas libres de dire ce qu’ils pensent, n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus noble comme démarche.


Les esprits critiques se tourneront inévitablement vers ce que la gauche respectable appelle l’extrême-droite


Plus fondamentalement, je doute très sérieusement que ce genre d’attaque unilatérale contre le «complotisme» ait un quelconque effet positif. Si on veut vraiment combattre le «complotisme», il faudrait commencer par reconnaître la légitimité du scepticisme grandissant à l’égard de la propagande médiatico-politique (la même remarque vaut pour l’antisémitisme). C’est la présence flagrante de mensonges et d’absurdités dans le discours dominant qui inspire les soupçons et les efforts, souvent erronés, de trouver des explications en terme d’actions «cachées».


Il faudrait aussi reconnaître qu’il vaut mieux un excès de scepticisme à l’égard du discours dominant qu’un excès de crédulité. Le problème fondamental de nos sociétés n’est pas le «complotisme» mais la fabrication du consentement et le fidéisme à l’égard des médias dominants.


De plus, en adoptant cette approche unilatérale, une certaine gauche ne peut éviter l’accusation de «faire partie» ou de «défendre le système». Et, voyant cela, les esprits critiques se tourneront inévitablement vers ce que la gauche respectable appelle l’extrême-droite, à la recherche de discours qui semblent réellement alternatifs.


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Docteur en sciences et essayiste belge, Jean Bricmont est professeur à l’Université catholique de Louvain. Il est auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages dont La république des censeurs, Impostures intellectuelles (avec Alan Sokal).


 


source: https://francais.rt.com/opinions/14645-probleme-nos-societes-complotisme



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