Le prix des «vraies affaires»

Ces jours-ci, le gouvernement québécois revendique peu d’Ottawa. On ne lève pas souvent le ton, les gestes d’éclat sont inexistants et, ô surprise, on obtient rarement quelque chose.

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Quand allons-nous nous mettre à défendre nos intérêts ?

En 2004, Terre-Neuve négociait avec le gouvernement fédéral de Paul Martin en vue de garder le contrôle sur ses revenus pétroliers en croissance tout en continuant de recevoir des paiements de transferts. Ottawa prétendait de son côté que l’île n’était plus une province pauvre et comptait sabrer les subsides de péréquation.
Le premier ministre Danny Williams n’y était alors pas allé de main morte. Il a ordonné qu’on enlève tous les drapeaux canadiens des édifices de la province, rappelant ainsi que Terre-Neuve n’avait pas toujours fait partie du Canada et que son adhésion n’était pas inconditionnelle.
Le geste avait provoqué une vague de réprobations. Mais Danny Williams n’en a jamais démordu. Résultat : il a arraché une entente très avantageuse pour sa province.
Ottawa est d’ailleurs demeuré aux petits soins avec Terre-Neuve par la suite. En 2011, il a garanti un prêt de 4,2 milliards de dollars afin que la province puisse exporter son électricité aux États-Unis grâce à un câble sous-marin, ce qui aide les Terre-Neuviens à concurrencer Hydro-Québec.
Du côté québécois, il y a peu de revendications ; on ne lève pas souvent le ton ; les gestes d’éclat sont inexistants et, ô surprise, on obtient rarement quelque chose. Cette dynamique touche l’ensemble des relations fédérales-provinciales, mais elle est particulièrement frappante sur le front constitutionnel.
Au premier chef, il y a le gouvernement libéral, qui n’a aucune demande à faire valoir. À en croire les rouges, la loi fondamentale du pays ne constitue pas un véritable enjeu politique ; il faut plutôt s’occuper des «vraies affaires» — les finances et l’économie.
En ce qui a trait au PQ, on se réfugie depuis plusieurs années déjà dans une position maximaliste. On espère en vain l’arrivée des conditions gagnantes en vue de faire la souveraineté et, dans l’attente de cet hypothétique grand soir, il n’est surtout pas question de formuler la moindre demande sur la constitution.
Résultat : par son silence constitutionnel et son impuissance sur le front de la souveraineté, le parti qui est en principe le plus opposé au statu quo est en réalité celui qui y contribue le plus.
Cette situation semble très bien comprise à Ottawa. Le Québec est à genoux et ne demande rien de mieux que de le rester. Sauf que gouverner le Québec comporte de nombreuses négociations avec le gouvernement central sur une multitude de sujets à caractère économique, fiscal ou financier.
Ce qui nous amène à la CAQ. Comme les libéraux, les caquistes se font fort de parler des fameuses «vraies affaires» plutôt que des «fausses affaires».
C’est ainsi que François Legault promet de laisser de côté pendant au moins 10 ans les revendications québécoises. Cela permettrait, entre autres, de se concentrer sur le redressement des finances publiques.
Le fait que l’atteinte de cet objectif dépende aussi des transferts fédéraux, ainsi que du partage des pouvoirs en matière de fiscalité, n’effleure aucunement l’esprit des caquistes — pas plus que le fait que pour obtenir quelque chose, il faut le revendiquer et se donner un rapport de force.
Prenons, dans cette perspective, le dernier budget québécois. Une chose attire l’attention : l’écart entre les revenus fédéraux et les besoins provinciaux.
Certes, Ottawa a fait des efforts louables pour se serrer la ceinture et sortira bientôt des déficits. Les provinces doivent travailler dans le même sens. Il est toutefois bien plus facile, politiquement, de couper dans les dépenses militaires ou de réduire les crédits octroyés aux affaires étrangères que de couper les dépenses en éducation et en santé, surtout que dans ce dernier cas, notre population vieillissante demande plus de soins.
Il ne faudrait toutefois pas compter sur le gouvernement québécois pour affronter les fédéraux là-dessus. C’est du bout des lèvres que le ministre des Finances Carlos Leitao les implore. «Il faut aussi reconnaître qu’Ottawa a une marge de manœuvre beaucoup plus importante que toutes les provinces», déclarait-il récemment au Devoir. Tout en s’inquiétant du plafonnement des transferts fédéraux qui entrera en vigueur en 2017, Leitao disait s’attendre à des correctifs.
La réponse n’a pas tardé. «Pour nous, il n’y en a pas, de déséquilibre fiscal», a lancé sèchement Denis Lebel, le lieutenant québécois de Stephen Harper. «C’est au gouvernement du Québec à trouver les économies».
La même attitude prévaut dans le dossier de la Commission québécoise des valeurs mobilières. Celle-ci opère en vertu d’une compétence exclusive des provinces, ce qui n’a pas empêché la Cour suprême d’ouvrir la porte au fédéral pour qu’il puisse envahir cette juridiction.
Ottawa souhaite en effet mettre sur pied une commission nationale des valeurs mobilières, dont le siège serait à Toronto. Montréal perdrait ainsi son expertise en matière de règlementation des produits dérivés, des emplois déménageraient en Ontario, et le Québec serait privé d’un outil important de développement économique. Mais comme nos velléités autonomistes sont au point mort, les fédéraux n’ont aucune gêne malgré le consensus qui existe ici sur cette question.
Les exemples de ce genre sont nombreux. Ottawa a récemment décidé d’imposer des coupures de 130 millions de dollars à Radio-Canada. Le tout entraîne de nombreuses pertes d’emploi et affecte la programmation.
Pourquoi cette décision ? Parce que la CBC est en difficulté depuis qu’elle a perdu les droits de diffusion du hockey. Le réseau francophone, qui se porte relativement bien, paye ainsi le prix des déboires de son jumeau anglophone.
Autre cas intéressant : le Québec a réclamé, pendant des années, une somme de 421 millions de dollars d’Ottawa pour payer les dommages causés par la crise du verglas. Ottawa a toujours refusé de payer. Il ne faudra pas se surprendre si une situation semblable se reproduit quand le moment sera venu de faire les comptes dans le dossier de Lac-Mégantic.
Recul sur nos intérêts économiques et financiers, factures impayées, production culturelle coupée, batailles fiscales perdues : le manque à gagner se chiffre certainement en milliards de dollars. Quand on abandonne toute revendication pour le Québec, on paye le prix des «vraies affaires».

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Frédéric Bastien167 articles

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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.





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