Le PQ s’en prend à Duchesneau

L’ex-patron de l’UAC aurait outrepassé ses pouvoirs en enquêtant sur les partis politiques

Commission Charbonneau et financement illégal des partis politiques




Brian Myles - Le Parti québécois (PQ) a semé la consternation hier à la commission Charbonneau en accusant Jacques Duchesneau d’avoir perdu sa crédibilité avec son enquête bénévole sur le financement illégal des partis politiques.
L’ex-patron de l’Unité anticollusion (UAC) s’est fait des ennemis inattendus. C’est l’avocate du PQ, Estelle Tremblay, qui a mené l’attaque frontale contre sa probité. Selon Me Tremblay, Jacques Duchesneau a déshonoré ses fonctions de dirigeant de l’UAC en poursuivant ses enquêtes à titre de simple citoyen après son renvoi de l’Unité, en octobre 2011.
Cette démarche « affecte notablement sa crédibilité comme dirigeant d’un organisme public », a-t-elle dit devant la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (CEIC).
« M. Duchesneau, sans aucune autorisation, […] s’est improvisé enquêteur, a constitué des dossiers sur autrui, et, ce faisant, il a compromis l’impartialité et l’indépendance de sa fonction de représentant de l’État lorsqu’il était dirigeant de l’Unité anticollusion », a renchéri Me Tremblay. Elle est même allée jusqu’à évoquer l’ombre « d’un État policier ».
Le PQ digère très mal le rapport secret de Jacques Duchesneau, dans lequel il affirme que 70 % des dons faits aux partis politiques sont illégaux. « L’argent sale » permet de faire les campagnes électorales, a dit mardi l’ex-policier d’expérience, sans fournir de noms.
Au cours des derniers mois, la chef du PQ, Pauline Marois, n’a cessé de haranguer le premier ministre Jean Charest en lui mettant sous le nez le premier rapport Duchesneau à l’Assemblée nationale. Le ton a changé hier. En entrevue au 98,5, Mme Marois a pris ses distances de Jacques Duchesneau. « Je ne le crois pas [sur le financement]. Je ne vois pas où il a pris ça. Il doit fournir des preuves de ces allégations », a-t-elle commenté en matinée.

Une impasse évitée
L’attitude du PQ a bien failli mener la commission Charbonneau dans une première impasse majeure. Me Tremblay réclamait l’accès au rapport secret de Jacques Duchesneau, afin de peaufiner ses questions en contre-interrogatoire.
Le rapport n’a pas encore été déposé en preuve. Il est entre les mains des enquêteurs de la commission, qui effectuent des vérifications. Les procureurs devront par la suite soupeser la valeur du document avant de décider s’ils le mettent en preuve ou non.
La présidente de la CEIC, France Charbonneau, a coupé court à cette expédition de pêche en refusant l’accès au document. Si les souhaits de Me Tremblay avaient été exaucés, le fonctionnement de la CEIC aurait été perturbé, a plaidé avec succès le procureur en chef adjoint, Claude Chartrand.
« La commission ne peut servir de plateforme aux témoins pour déposer des documents sans que les procureurs de la commission aient été en mesure d’en vérifier la fiabilité », a tranché la juge Charbonneau. Les enquêtes sur le financement des partis seront divulguées au moment opportun, a-t-elle précisé.
Le PQ s’appuyait sur une interprétation étroite de l’article 37 du Code civil pour faire des remontrances à Jacques Duchesneau. « Toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne doit avoir un intérêt sérieux et légitime à le faire », stipule l’article en question. Elle ne peut recueillir de renseignements « sans le consentement de l’intéressé ou l’autorisation de la loi », ni transmettre ces informations à des tiers.
L’avocat de Jacques Duchesneau, Marco Labrie, a tourné en ridicule cet argument. S’il fallait donner raison au PQ, plus personne ne serait en mesure de colliger et de transmettre quelque information que ce soit à la commission d’enquête, la vidant ainsi de sa substance. « Aucun civil ne pourrait rapporter quoi que ce soit devant vous à moins d’être un enquêteur de police », a-t-il dit.

De gros joueurs
Les manoeuvres du PQ ont relégué au second plan la production des organigrammes de sept compagnies de construction qui contrôlent au total 140 sociétés. L’organigramme de Tony Accurso, qui trône au sommet d’une soixantaine de compagnies apparentées, est si vaste qu’à vue de nez on croit voir le plan des pistes de ski du mont Tremblant.
M. Duchesneau a aussi évoqué le cas de sept grandes firmes de génie qui ont obtenu des contrats de 106,9 millions pour les dix premiers mois de 2010, comparativement à 24,9 millions en 2006. C’est une augmentation de 329 %. Il n’avait cependant pas la liberté de les nommer.
L’ex-directeur de l’UAC et son équipe ont aussi déposé un tableau des entreprises les plus actives dans la réclamation d’extras au ministère des Transports. EBC arrive en tête de liste avec des réclamations de 37,7 millions de dollars pour la période 2005-2011. Viennent ensuite les entreprises de Fernand Gilbert (19,9 millions), le Groupe Acon (14,9 millions) et Simard-Beaudry (12,2 millions). Dans l’ensemble, les 17 entreprises les plus actives dans la réclamation d’extras ont exigé 142,5 millions.

Encore de l’intimidation
Plus tôt dans la journée, M. Duchesneau a affirmé que la culture d’intimidation et du secret perdure au ministère des Transports. Des personnes en situation d’autorité ont menacé ses sources, au point où celles-ci ont cessé tout contact avec lui.
Durant ses 18 mois à la tête de l’UAC, il a souvent senti que les sous-ministres et les fonctionnaires du MTQ détournaient le regard devant cette situation préoccupante. « La culture du silence faisait partie du problème », estime-t-il.
Jacques Duchesneau et son équipe ont essuyé le tir croisé des avocats des constructeurs de route et du Procureur général du Québec, qui résument le premier rapport de l’Unité anticollusion à un ramassis de présomptions et d’informations non vérifiées.
L’avocat de l’Association des constructeurs de route et grands travaux du Québec (ACRGTQ), Denis Houle, s’est montré particulièrement insistant dans ses questions, au point où Jacques Duchesneau s’est impatienté. « On m’a demandé de prendre une photo [de mon rapport], et là, on est en train d’en faire un rayon-X », a-t-il dit.
La suite s’annonce encore plus corsée puisque c’est maintenant au tour de l’avocat du Procureur général du Québec, Benoit Boucher, d’interroger M. Duchesneau.
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La virulence de l’avocate du PQ surprend
La virulence avec laquelle l’avocate du Parti québécois, Estelle Tremblay, a attaqué jusqu’à la « crédibilité » de Jacques Duchesneau en a surpris plus d’un hier. Même au sein du PQ. « Elle a plaidé un peu fort, en effet », ont confié au Devoir des sources péquistes au sujet des questions acérées de Mme Tremblay à la commission Charbonneau. L’incrédulité se lisait sur bien des visages dans les bureaux du PQ, a raconté une autre source. Signe éloquent : tout le monde au PQ refusait de commenter ouvertement l’affaire.

Sur Twitter, les messages dénonçant l’attitude du PQ ont fusé : « En avez-vous assez pour comprendre que le #PQ et #Marois ne sont pas blancs comme neige ? » En entrevue à une radio de Québec, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a dit maintenant comprendre « pourquoi Pauline Marois tenait tant à avoir une avocate à la commission ».

Le PQ souhaitait mettre la main sur le rapport sur lequel M. Duchesneau s’appuie pour affirmer que 70 % des dons faits aux partis politiques québécois sont illégaux et font l’objet d’une comptabilité parallèle. « Ça n’existe pas chez nous en tout cas ! On voulait savoir comment il arrive à dire ça de nous », a-t-on expliqué.

Antoine Robitaille


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