Le pays chez nous

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L'enracinement d'une certaine gauche québécoise

« Le pays est d’abord la terre natale,

 le territoire d’appartenance, le village;

et un paysan n’est pas d’abord un agriculteur,

mais un villageois, un campagnard. »


Touché. Vraiment. Il n’aura fallu que quelques pages de Gens de mon payspour remuer, même à 55 ans, le petit gars de la campagne que je suis. Écrit dans une langue toute simple, chargée à la fois de tendresse, de franchise et de lucidité, ce nouvel opus de Roméo Bouchard présente des événements et des personnages qui m’ont semblé familiers, sortis tout droit de mon coin de pays, Portneuf. Pourtant, Bouchard nous transporte plutôt sur la rive sud du Saint-Laurent, plongeant avec passion au cœur de l’histoire du village de Saint-Germain-de-Kamouraska, où il débarquait en pleine période contre-culturelle et « un peu par accident », il y a maintenant plus de 40 ans.


C’est à travers le portrait intimiste de femmes et d’hommes de son « pays d’adoption » que l’auteur nous convie à Saint-Germain, ce village qu’il a vu « se transformer, passer de l’état de village agricole à celui de village moderne […], vu ses dirigeants changer, sa population se diversifier, ses activités se transformer, son agriculture se muter, sa mentalité évoluer, sa vocation et son identité se redéfinir ». Bien sûr, nous retrouvons, insérés dans ces courts portraits, les griefs et les inquiétudes de l’auteur, militant de longue date pour l’agriculture paysanne et la défense des régions. Son engagement ferme pour une agriculture de proximité et respectueuse de la terre, sa défense de la ruralité et de l’occupation dynamique du territoire parsèment la trame de ses récits tout en magnifiant encore davantage l’importance, la grandeur et l’humanisme des personnages qu’il nous présente.


Des femmes et des hommes parfois plus grands que nature, mais tout aussi simples et attachants. Monsieur Isidore, patriarche et passeur de la terre des ancêtres aux abords du majestueux fleuve. Homme libre, courageux, qui avait acquis tout son savoir de ses observations patientes de la nature et de ses contemporains. Les Moreau, fondateurs de la paroisse au grand dam du clergé, pêcheurs, trappeurs, attachés à la tradition paysanne, qui peu à peu ont vu leur mode de vie disparaître. Benoît, « premier indigène » à fraterniser avec ces étranges barbus venus de la ville, pour s’installer à la campagne. Et ces femmes incroyables! Yolande, collaboratrice de tant de luttes, qui « joua un rôle particulièrement important dans la mise en place et le fonctionnement de la Maison du rendez-vous ». Madame Adrienne, l’étrangère devenue veuve très jeune avec sept enfants sur les bras, « qui faisait de la couture ou de la coiffure pour les autres ». Ou encore Lise, cette hippie arrivée de Laval dans les années 1970, qui « a pris part aux efforts des Saint-Germains pour relancer leur village ». Femmes dignes, aimantes, douées de débrouillardise et véritables pionnières, solides comme ces petites montagnes surgies de nulle part, ces Cabourons qui parsèment le paysage du Kamouraska.


Histoires de résistances, de défis, d’implications citoyennes, de joies, mais aussi de drames et de souffrance, cette très touchante lecture n’est pas sans rappeler l’indispensable travail de mémoire réalisé par Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque avec leurs Remarquables oubliés[1]. Découvrir, défricher et occuper le territoire contre vents et marées, fonder pays et unir les paysans. Raconter Saint-Germain-de-Kamouraka, c’est parler de ces mêmes règnes, ces mêmes gens, ces mêmes horizons qui ont tissé notre imaginaire collectif.


De cette lecture vouée à l’amour des hommes et du territoire, nous sortons grandis et fiers, mais également sensibles aux enjeux actuels de la ruralité. Gens de mon pays de Roméo Bouchard contribue à faire découvrir le pays des Saint-Germains. Ce pays façonné par la force et la volonté de femmes et d’hommes déterminés à vivre dignes et libres, tout comme ces milliers de paysans qui triment dur depuis plus de 400 ans pour occuper tous ces petits pays québécois qui ont fini par en dessiner un très grand. Le pays chez nous.


Gens de mon pays

Roméo Bouchard

Les Éditions Écosociété, 2018