Le "mouvement de fond" pour la souveraineté

La population n'en peut plus de ne pas agir en son propre nom

Vigile

Contrairement à la vision de Lisette Lapointe qui fait le sujet d'un article dans Le Devoir en date du 11 août (« Lisette Lapointe voit poindre un "mouvement de fond" pour la souveraineté »), certains doutent de l'ampleur ou de l'existence même d'un « "mouvement de fond" pour la souveraineté ».
Pour ma part, je suis au Québec depuis 2002. J'avais remarqué sur la question de l'indépendance que les fédéralistes n'ont pas la passion de leurs concitoyens souverainistes. Pourquoi? Tout simplement parce qu'ils n'ont pas à dire un seul mot, à lever un seul doigt pour avoir ce qu'ils veulent. Ils ont leur pays. Ils sont desservis par le statu quo. Ça donne l'impression chez certains que les souverainistes « chialent » tous seuls. Or, je perçois depuis la « victoire » du 2 mai que les fédéralistes ne se montrent plus terriblement rassurés. Au contraire, on dirait presque que bon nombre d'entre eux paniqueraient.
Où sont passés les souverainistes? Même pas au ROC ne croient-ils que tous ces Québécois mécontents ne soient réellement exterminés. Si le 2 mai nous a appris quelque chose, c'est que les Québécois veulent du changement. Nous avons adopté une nouvelle stratégie collective. Nous nous sommes pris en main. Nous avons surpris tout le monde, y compris nous-mêmes. Le 2 mai nous avons exprimé haut et fort que le vote pour aucun parti ne sera acquis. Exit le Bloc Québécois. Par contre, désormais dans cet esprit, aucun état ne pourrait plus aussi aisément se vanter de la fidélité acquise des Québécois.
De la sorte ce n'est pas terminé. Les fédéralistes le savent. C'est la chasse aux sorcières à Ottawa. Drôlement, au Québec, on n'a jamais arrêté de parler de souveraineté. Même que pour un mouvement « mort », on en parle beaucoup. Hélas, on se rend tristement compte de l'absence d'un contre-argument légitime à l'indépendance. Tandis que le NPD gère son image publique, le projet collectif proposé aux Québécois lors du 29e Congrès de la Commission-Jeunesse du Parti Libéral du Québec (CJPLQ) tenu les 12, 13 et 14 août dernier, à l’Université Bishop’s de Sherbrooke, était insipide, inapplicable et décevant.
Où en est la légitimité du Canada pour le Québec en 2011?
Le statu quo ne suffit plus pour la justifier. L'évidence de cela est ce qui a le plus changé le 2 mai. La fatigue politique du Québec est bien réelle, ce pourquoi le mouvement souverainiste a stagné depuis 1995. Mais il s'avérerait encore plus épuisant pour les Québécois de vivre ainsi encore longtemps dans l'étau de l'état actuel. Désormais, les fédéralistes qui peuvent se satisfaire du Québec tel quel, au sein de ce pays, devront travailler davantage pour conserver ses pouvoirs.
Ayant grandi en Ontario, je peux garantir que le fédéralisme canadien et le fédéralisme québécois (nationaliste) sont fondamentalement deux positions bien différentes. Pour cette raison, l'appui massif du Québec pour le NDP signale au moins un grand désaccord : pour les Québécois, le dossier constitutionnel est toujours sur la table. Il serait temps que le Canada règle sa paperasse s'il tenait encore sincèrement à son unité. (Par contre, lorsque les fondations ont craqué, il n'est plus l'heure de repeindre les murs!)
Certains croient éternellement paralyser les indépendantistes par la peur (un argument fondamentalement économique). Alors que ce n'était même pas particulièrement original en 1970, c'est une défense complètement absurde en 2011. On n'est plus une colonie. Craindre et renoncer ad nauseam ne tient plus la cote. Cet épouvantail n'est même pas à la hauteur d'une dignité provinciale.
Entre le référendum de 1980 et le rapatriement de la Constitution canadienne de 1982, je suis née. Entre l’échec du lac Meech et aujourd’hui, je suis devenue une femme. Il y a certains Québécois qui sont prêts à attendre tout une vie pour agir. J’ai 29 ans et je ne compte pas parmi ceux-là. Il y a bel et bien un mouvement de fond, car on n'en peut plus de toujours subir un avenir par défaut. Le 2 mai nous avons démontré que les Québécois n'aiment pas trop que l'on sous-estime de leurs capacités. Tout comme en 1980 et en 1995, en 2011 on choisirait le Canada... En revanche et en toute justesse, ce ne sont pas les souverainistes qui se contredisent si le Québec accepte aujourd'hui moins que ce qu'il a déjà exigé comme compromis minimal.
Entre-temps, on acquiert la confiance et la dignité qui mèneront à la liberté. On ne les mesure plus par les gestes d'autrui, mais par son propre rendement. Certains conçoivent la liberté comme un acte vindicatif, une action propulsée par l'exaspération, par l'outrance, par l'amertume. Elle se justifierait par la faute de l'autre plutôt que par l'amour et le respect de soi. Je la conçois autrement : les Québécois ont vécu et vaincu tous ces états. L'indépendance du Québec pourrait tout autant se réaliser dans un état de pacifisme relatif - prenons l'exemple de la Slovaquie. Il est presque plus facile de concevoir l'émancipation québécoise comme étant le résultat d'une force interne, s’apparentant à la résistance de Gandhi. L'image n'est pas très «macho», me diraient certains (hommes). Pourtant, cette formule a conduit à la libération d'un peuple, qui s'est ensuite doté d'un état.
Quoiqu'il en soit, la question de l'indépendance est retombée entre les mains du peuple. La population n'en peut plus de ne pas agir en son propre nom. Ainsi, la souveraineté se métamorphose et se multiplie en de nombreuses voix et voies : des partis, des organismes, des mouvements... On se réanime. Ce qu'observe Lisette Lapointe ce sont des citoyens ouverts sur le monde et prêts à y participer pleinement en leur propre nom. La mondialisation impose au Québec de se responsabiliser. Le Canada est un beau pays mais le Québec, comme toutes les nations, a les yeux plutôt fixés sur le monde comme terrain de jeu. Comme cadre existentiel, en vérité, encore aujourd'hui, même plus que jamais, pour la moitié de la population, il est d'un simple constat que le Québec serait le meilleur pays, puisque fait sur mesure, pour tous ces habitants planétaires appelés Québécois.
« Cela ne pourra pas toujours ne pas arriver ». – Gaston Miron


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    16 août 2011

    Mme Richter,
    Vous avez raison de souligner l'impact du résultat de l'élection du 2 mai sur le Canada anglais. Les élites du ROC paniquent et n'ont pas encore arrêté leur stratégie pour répondre à cette fronde du Québec. Je suis d'accord avec vous que les québécois savent que la seule chose que produira la députation néo-démocrate du Québec c'est la preuve que le Canada est irréformable. Pas besoin de passer par la gouvernance souverainiste pour en faire la démonstration. Les québécois cherchent maintenant au Québec une porte de sortie à cette impasse et nous la leurs donnerons bientôt.