HISTOIRE

Le Miracle Canadien – Dostaler O’Leary (1938)

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Inspirés par l'abbé Groulx, les mouvements séparatistes des années 1930 étaient corporatistes et ardemment catholiques


Depuis l’avènement de la Révolution tranquille, le projet souverainiste est associé à la gauche, du marxisme à la social-démocratie. Se revendiquer souverainiste est devenu synonyme de se déclarer progressiste, aussi le Parti québécois en est-il venu à se présenter comme étant LE parti souverainiste en se positionnant de facto à gauche, comme si cette posture allait de soi. Pourtant, c’est oublier que le mouvement indépendantiste a pris son essor de l’autre côté du spectre politique, chez les nationalistes catholiques, plus sympathiques à l’époque aux idées professées par le Duce Benito Mussolini que celles de ses opposants. Un des pères du mouvement souverainiste fut ainsi Dostaler O’Leary qui, avec son frère Walter, fonda les Jeunesses Patriotiques dans le tumulte des années 30, s’alliant avec Paul Bouchard, qui dirigeait à Québec La Nation.


Rejetant un nationalisme de la bonne entente comme celui promu par Henri Bourassa, O’Leary s’engagea dans la voie du séparatisme, seule possibilité pour nous de survivre en tant que peuple et nation. Ses griefs, ses raisons, il les mit sur papier dans le livre manifeste Séparatisme, doctrine constructive, qui est en plusieurs points un véritable bréviaire. Le Québec a connu bien des saisons depuis son écriture et pourtant, pourtant, il est aussi actuel en 2020 qu’il ne l’était en 1937.


Ici nous présentons un article de M. Dostaler O’Leary, Le Miracle Canadien, paru dans la revue française Je suis partout, le 21 janvier 1938.


Bonne lecture !

Fédération des Québécois de souche





C’est devenu une banalité, tellement on le répète souvent que la grande majorité des Français ne connaissent rien ou bien peu de choses du Canada français. J’ai pu me rendre compte, lors de mes séjours en France, de la réalité de ce fait, et j’ai plus d’une fois déploré, avec les excellents amis que j’y possède, l’absence quasi-totale de relations suivies entre la jeunesse des deux pays. Le « Français moyen » si cher à M. Herriot, possède évidemment quelques notions générales, erronées la plupart du temps, sur le Canada tout entier. Il arrive parfois qu’il sache que ce pays ait jadis fait partie de l’Empire colonial français, qu’il ait entendu parler des « quelques arpents de neige » de Voltaire, mais jamais (ou si rarement!) on ne saura qu’en Amérique, 5.000.000 de Français, malgré un siècle et demi de servitude étrangère, perpétuent et conservent intacte la civilisation française, apportée ici par ceux qui avaient à cœur la grandeur et la gloire de la France.




Les Canadiens Français


« Ils (les Canadiens français) ont toujours pensé en effet, écrivait ici même M. Robert de Roquebrune, qu’il était tout naturel que des hommes eussent beaucoup d’enfants et qu’un peuple de Français ne devint pas anglais. » C’est dans ce fait, si justement observé, que nous devons aller chercher le secret de ce que Barrès appelait le « miracle canadien ». Les Canadiens Français sont des Français, transplantés au Canada, et dont les conditions géographiques ou climatériques, ainsi que les influences du milieu et le « climat » ont fait une nationalité distincte de la nationalité française, mais qui a conservé en elle le sens profond de son hérédité culturelle.


Français d’une autre espèce peut-être, mais Français tout de même, le Canadien Français peut être considéré comme profondément imprégné des traditions et du sens de la gloire française. Et il ne survivra, au milieu de cette macédoine de peuples matérialistes, dont l’idéal d’individualisme égoïste se confine à tout ce qu’il y a de plus terre à terre, qu’autant qu’il restera français, intensément français, profondément français, intégralement français. « Nous ne pouvons être des Français artificiels, dévitalisés, disait M. l’abbé Lionel Groulx, notre professeur d’énergie nationale au premier congrès des Jeunesses Patriotes du Canada Français. Peuple minuscule en face de cette terrible Amérique, nous n’avons pas le choix d’être Français avec mollesse, avec dilettantisme, avec tous les flirts téméraires pour tous les snobismes : Français, nous le serons de la tête aux pieds, avec intransigeance, à force d’énergie et d’audace, ou nous cesserons de l’être. »


Voilà ce que la jeunesse a compris, et voilà ce que, suivant l’expression de Francis de Croisset, « les vieux ne pigent pas », soit qu’ils ne veulent pas « piger », soit qu’ils ne veulent pas admettre leurs torts, soit, enfin, qu’ils tirent profit de l’état actuel de chose actuel, qui est devenu intenable, je n’exagère pas le terme, pour ceux qui savent ce que les mots veulent dire, et qui proclament ardemment leur droit et leur devoir de rester Français, quelles qu’en puissent être les conséquences politiques, économiques ou autres.




Les Canadiens Français d’avant 1867


Nous ne voulons pas devenir anglais! Personne ne songera à nous reprocher cette ligne de conduite, pas plus que l’on ne pourrait reprocher à un Anglais de ce pays de ne pas vouloir cesser d’être un Anglais.


Au lendemain du Traité de Paris, les Canadiens Français, que l’on venait de séparer aussi brutalement de la mère patrie, n’ont pas pensé un seul instant qu’ils puissent devenir autre chose que des Français. Il est vrai que c’étaient des hommes d’une autre trempe que ceux à qui la démocratie a confié les destinées de notre peuple! Si ces hommes-là, en effet, avaient de la taille de ceux-ci, il y a longtemps que le nom Français eût été banni de la terre américaine.


La lutte que menèrent ces Canadiens Français de la génération de 1763 fut tout simplement gigantesque. Groupés autour de leurs prêtres, en qui ils voyaient, avec combien de raison, les gardiens de leur civilisation et de leur culture, ils sont parvenus à rester fidèles à eux-mêmes. En 1774 d’abord, puis en 1791, le gouvernement anglais était obligé de reconnaître leur caractère essentiellement différent de celui des autres habitants de ce pays. Incapable de s’opposer à cette attitude nettement définie, adoptée par nos pères, attitude par laquelle ils marquaient sans ambiguïté leur décision irréductible de vouloir vivre une vie essentiellement, intégralement française, le gouvernement de Londres dut renoncer à ses efforts d’assimilation.


Il n’est pas difficile, pour qui veut se donner la peine de comprendre, de saisir l’idée maîtresse de notre histoire, la génératrice, si je puis dire, de notre survivance française. C’est la fidélité à nos traditions religieuses, spirituelles et culturelles, qui imprégna et transcenda à chaque instant la lutte héroïque de ceux qui ne reculèrent pas devant la mort, pour que vive leur idéal. Cette survivance française en Amérique anglo-saxonne n’est rien de plus qu’une relation de cause à effet : une telle attitude de froide détermination ne pouvait donner d’autres résultats que ceux qu’ils voulaient atteindre et qu’ils ont atteints si magnifiquement. Et si aujourd’hui, malgré les fautes répétées et accumulées, au cours des sept dernières décades, notre peuple vit encore une vie française dans son essence, c’est grâce à l’énergie qu’ils nous ont emmagasinée et que nous dépensons actuellement. Mais nous ne pourrons certainement pas vivre éternellement de l’héritage qui nous fut légué; c’est pourquoi il faut que la réaction nationale se manifeste au plus tôt.


C’est la fidélité aux constantes catholique et française qui nous a sauvé, ai-je dit; c’est elle, en effet, qui décida nos pères à se ranger du côté de l’Angleterre, lors de la lutte qu’elle dut soutenir contre ses colonies américaines (et non un vague loyalisme à un roi contre lequel nous combattions moins de quinze ans plus tôt); c’est toujours cette fidélité à nos constantes de vie nationale qui poussa nos ancêtres dans la rébellion de 1837, rébellion dans laquelle un peuple qui ne voulait pas mourir, se révolta contre l’oligarchie britannique qui revenait à la charge pour nous rayer de la carte américaine, en tant que peuple français.




La Confédération


Prétextant la rébellion nationale de 1837, Londres, qui n’abandonnait pas l’idée de nous assimiler ou de nous faire disparaître, nous imposa, dans un dernier effort pour arriver à ses fins, l’ « Acte d’Union », qu’il préparait depuis de longues années déjà.


Par cette nouvelle Constitution, les Canadiens Français et les Anglo-Canadiens, étaient groupés sous la même administration, dans laquelle un régime parlementaire tronqué ne laissait à nos compatriotes qu’une liberté illusoire et bien relative. Il devint bientôt évident que ce régime ne pouvait pas durer bien longtemps, et que les Français ne l’admettraient pas éternellement, bien que leur langue, bannie d’abord, fût peu après reconnue comme officielle. « L’union des deux Canadas, écrivait récemment M. Maurice d’Auteuil, avait été faite contre le Français du Canada. Elle n’avait pas réussi dans son but principal : l’absorption de notre race dans l’autre, ou du moins, l’acception de la supériorité anglo-canadienne, l’admission ouverte de notre désir de devenir le plus tôt possible des Anglo-Saxons. »

Il fallait trouver une autre formule : ce fut la Confédération, dans laquelle les Canadiens Français de l’époque mirent tous leurs espoirs, et par laquelle ils comptaient empêcher le retour de tout statut analogue à celui qu’ils subissaient à ce moment-là. Une grande partie des Canadiens Français – certains disent la majorité – auraient préféré certes une Constitution totalement distincte de celle de leurs « amis » anglais, et un plébiscite sur la question aurait peut-être abouti à une défaite pour les hommes d’État, promoteurs de l’idée. Mais quoi qu’il en soit, il semble démontré aujourd’hui qu’aucune grande idée politique, aucune idée politique d’envergure n’ait présidé à l’élaboration de ce nouveau modus vivendi. Et même s’il est vrai de dire que ce sont les Canadien Français qui en furent les principaux artisans, il faut admettre en toute franchise que les politiciens censés représenter nos intérêts, ne se sont pas uniquement laissé guider par des raisons d’ordre supérieur.


Toutefois, la Confédération, telle que constituée, laissait au Canadien Français suffisamment d’espace pour se mouvoir et lui permettait d’imprimer à toute la politique du nouvel État sa marque française, laissant à la province du Québec la possibilité d’édifier et de construire chez elle un État qui eût été français, aussi bien dans son essence que dans ses réalisations.


Ce qui devait arriver, arriva… Habitués à se trouver devant des pleutres prêts à céder au premier choc, les Anglais reprirent le dessus.


De coloniaux de l’Angleterre, la Confédération a fait de nous des coloniaux d’Ottawa, et aujourd’hui les Canadiens Français sont, ni plus ni moins, « les sujets des sujets du roi d’Angleterre ». La Constitution de 1867 nous a fait reculer d’un pas sur la route de l’émancipation.




Le problème culturel


Le problème culturel se trouve à la base même du mouvement de renaissance nationale qui a déjà de profondes racines dans la jeunesse canadienne-française. Il est évident, qu’un mouvement dont le but avoué est d’exiger, de la part des hommes au pouvoir, l’inventaire détaillé de leurs réalisations, et le dépôt de leur bilan, déficitaires en regard des valeurs primordiales de l’humanité, ait d’abord fait sourire ces hommes eux-mêmes, et ceux pour qui le spirituel n’est qu’un accessoire ou un infiniment petit dans l’ordre des valeurs, et qui pour cela se croient des esprits forts.


Il est tout aussi évident que le fait de baser le relèvement de la nation sur des valeurs non monnayables, ou sur l’idéal, mot qui, pour eux, est une traduction libre d’utopie, ne leur ait pas immédiatement porté ombrage, et que leur première réaction ait été de considérer ce mouvement comme quelque chose de nébuleux, incapable d’en arriver aux réalisations. Mais aujourd’hui, le sentiment nationaliste commence à les inquiéter. Pour battre un jeune homme de trente ans, qui, sans organisation ni fonds électoraux, se présentait sous l’étiquette nationaliste contre un « vieux de la vieille », le gouvernement libéral (ironie des mots!) a envoyé dans la circonscription de Lotbinière deux ministres, dont le vice-président du Conseil, et six députés. Et la victoire gouvernementale reste malgré tout très problématique!


La civilisation française, nous voulons en voir notre continent imprégné; nous voulons que notre peuple en possède le sens de la grandeur; nous voulons que l’industriel, grand ou petit, que le commerçant, l’artisan, l’employé, l’ouvrier d’usine pense en Français et se sente fier d’être un Français. Nous voulons que les nôtres se rendent compte qu’ils sont les héritiers légitimes et directs de la culture française, et les amener à se persuader que le rayonnement de la première civilisation humaine sera d’autant plus grand que celle-ci sera plus intense en chacun de nous. Et nous sommes, de plus, convaincus que la solution du problème spirituel et culturel rendra facile la solution des autres problèmes, et que la réhabilitation des valeurs spirituelles doit être le premier pas de tout mouvement national bien compris.




Le problème économique


Notre situation économique est épouvantable. Toutes les grandes entreprises, toutes les grandes compagnies dites d’utilité publique, et l’exploitation de la plus grande partie de nos ressources naturelles se trouvent aux mains d’étrangers, et cette dictature économique, que font peser sur nous les magnats de la haute finance, a eu sa répercussion inévitable sur le terrain social.


Il ne s’agit pas ici de rechercher les responsables de cet état de chose. Il y eut des causes externes, dont notre peuple n’est nullement responsable, mais il n’en demeure pas moins que certains Canadiens Français – parmi les politiciens surtout – pour n’avoir pas compris le sens profond de notre histoire, portent une large part de cette responsabilité. Parmi ces causes, la lutte continuelle que durent soutenir nos ancêtres pour la reconnaissance de leurs droits religieux et linguistiques, n’est pas une des moindres. Cet état de lutte permanent, les a, en effet, empêchés de s’occuper de la question économique. Ajoutez-y leur extrême pauvreté, et mettez-la en regard de l’énorme afflux de capitaux, dont Londres s’est montré prodigue envers ceux qui venaient peupler leur nouvelle colonie; ajoutez-y encore le régime de faveur dont bénéficia l’élément anglais, pendant plus de soixante-quinze ans, et l’extrême difficulté qu’avaient les nôtres pour se procurer des domaines ou des terres exploitables, et vous y verrez quelques-unes des causes historiques de cet état de choses.


En outre, depuis la Confédération, la législation économique, inspirée des principes du libéralisme, favorisa la grande industrie, qui répondait à la mentalité de l’Anglo-Saxon, aux dépens toujours de la grande industrie, plus conforme à notre mentalité de peuple français.


Il faudrait tout un volume pour rechercher les causes de notre servitude économique, et pour déterminer les responsabilités de tous et de chacun.




La question sociale


Les leviers de commande se trouvant aux mains des étrangers, il est l’élément canadien français trouvera de l’emploi quand l’employeur étranger aura placé toutes ses créatures. L’injustice permanente du gouvernement fédéral à notre égard pour tout ce qui regarde l’emploi des nôtres comme fonctionnaires, aggrave ce malaise et augmente d’autant le nombre de nos chômeurs – 14% seulement des fonctionnaires fédéraux sont des Canadiens Français – et le montant de salaire qui reviendrait de droit à nos compatriotes, mais dont ils sont frustrés, est de $6000.000, 180 millions de francs.


La question sociale présente donc un aspect d’une exceptionnelle gravité. Dans nos grandes villes (à Montréal surtout où 32% des Canadiens Français vivent des secours versés aux chômeurs par la municipalité, nous détenons le triste record des ouvriers sans travail), le problème social demande une solution immédiate si nous ne voulons pas voir nos ouvriers, en désespoir de cause, se jeter dans les bras du communisme. « On peut faire l’éducation d’un peuple à la pauvreté, disait M. l’abbé Groulx aux membres de la chambre de commerce cadette de Montréal; on ne fait pas l’éducation d’un peuple à la misère, surtout quand il a conscience que sa misère est imméritée, qu’elle lui est, en plus, infligée par une ploutocratie. En pareil cas, ne demandez point à la religion de prêcher une résignation indéfinie. Et ne nous demander point, en particulier, de dire à la jeunesse : le régime qui te condamne à mourir de faim et à ne jamais fonder de foyer est juste; supporte-le sans te plaindre. »


L’incurie des ploutocraties politiques, qu’a corrompues jusqu’à la moelle la néfaste démocratie, s’étale ici dans toute sa laideur, et l’on ne se rend évidemment pas compte, en « haut lieu » de la réalité du danger; il est évident que nous ne pouvons pas compter sur nos gouvernements démocratiques quels qu’ils soient pour résoudre ces problèmes, dont ils ne comprennent même pas la donnée.




Causes profondes du mouvement séparatistes


Il n’est donc pas exagéré de dire que le mouvement séparatiste est une réaction de l’élément le plus sain de notre jeunesse, contre cet état de chose insupportable, pour un peuple dont l’histoire a été autre chose qu’une suite de trahisons. Ce qui eut été étonnant, c’est que, devant une telle situation, le mouvement séparatiste ne fût pas né; on aurait alors raison de désespérer de la possibilité de réaction du Français d’Amérique, et l’existence de ce mouvement, son développement normal et naturel ne peut surprendre que ceux qui ont perdu tout sens français.


Il y a longtemps que cette conception de la liberté nationale travaille les couches les profondes de notre peuple. Bien avant le mot, le mouvement existait déjà à l’état de subconscient; peu à peu un groupe de jeunes cristallisèrent l’idée et lancèrent le mot lui-même, qui aujourd’hui fait grincer des dents les ennemis de la cause française.


Bref, cette formule nationale, dont le but est la formation d’un État libre Canadien Français dans l’Empire britannique si possible, passionne déjà le grand public.




La démocratie


Au Canada français, le mot est devenu synonyme de politicaillerie et, depuis soixante-dix ans, à part quelques rares exceptions, le sens noble, le sens supérieur, je dirai plus le sens réel et absolu du mot, a cessé d’entrer dans sa définition, et il est actuellement impossible, ou à peu près, de toucher au politique, sans tomber dans la politique, dans le sens le plus abject du mot, et sans risquer de se faire confondre avec la valetaille de la haute finance étrangère.


C’est la démocratie, qui comme tout ce qu’elle touche, a corrompu nos mœurs politiques. L’achat des consciences est à la base de ce régime taré; et pendant les campagnes électorales, des agents des deux partis « traditionnels » parcourent la province où ils répandent à torrent le « whisky » (sans soda), inspirateur du vote « intelligent ».


Mais ses ravages ne se sont pas limités là; un peuple fort peut se permettre le luxe d’expérimenter cette forme de gouvernement, pourvu qu’il puisse trouver en soi les énergies nécessaires, qui lui permettront de réagir à temps. Pour un peuple inexpérimenté comme le nôtre, ce régime devient non seulement mauvais, mais éminemment dangereux. Cette division d’une nation, qui n’a pas encore eu le temps de prendre conscience d’elle-même, cette division en partis, dont l’essence identique se cache sous des étiquettes différentes, à crée chez notre peuple une confusion bien propre à nous affaiblir.


Le régime démocratique est partout celui, qui sous le couvert de servir le peuple, sert le mieux les intérêts de la haute finance; dans notre pays, comme celle-ci se confond avec l’étranger installé chez nous, la démocratie sert à merveille les intérêts politiques de ceux qui favorisent le maintien du peuple canadien français dans sa servitude actuelle.




Communisme et fascisme


Le communisme n’a pas encore causé ici les ravages qu’il fait actuellement en France. Mais il ne faudrait pas en conclure que tout danger de contamination soit d’ores et déjà écarté. Le catholicisme est la meilleure sauvegarde que nous puissions avoir contre la propagande marxiste, mais ce facteur spirituel ne nous servira de sauvegarde effective, que dans la mesure où le catholicisme demeurera intense dans l’âme de notre peuple, et ne deviendra pas un assemblage de formules de vie sans aucun sens profond, ou une série d’habitudes héréditaires. Notre catholicisme n’en est pas encore là, mais, comme notre nationalisme, il n’a plus malheureusement cette vitalité et ce sens de grandeur intrinsèque qui fait le sublime de cette religion elle-même.


De son côté le fascisme a de nombreux sympathisants chez nous. Je dis bien sympathisants, et non pas adhérents; car s’il existe un parti fasciste canadien, ses membres en sont très peu nombreux. Mais l’œuvre magnifique de Mussolini, le génie constructeur de cet homme a pris un sens d’autant plus profond chez nous qu’il fait partie de la grande famille latine. Lors de la conquête de l’Éthiopie, le Canadien Français était en général profondément italophile. Ce qui indisposa surtout les Canadiens Français envers l’Angleterre, ce fut l’hypocrisie de ce peuple, qui, pour justifier sa politique, s’abritait derrière des principes de morale internationale, elle qui, il y a à peine quarante ans, s’emparait du pays boer.




Le pays réel et le pays légal


Comme en France, il y a un divorce profond entre le pays réel et le pays légal. Les Français ont pu se rendre compte, en visitant le pavillon canadien à l’Exposition de Paris, la place que nos officiels accordent à la langue française. On dirait que l’on veut cacher au peuple français l’attachement profond du peuple canadien français pour la France réelle, non pas celle d’un Blum ou d’un Lévy quelconque, mais cette France de toujours, cette France traditionnelle et humaine, dont un saint Louis, une sainte Jeanne d’Arc, un Richelieu, un Louis XIV et tant d’autres, ont fait rayonner le prestige sur le monde entier.


Cette France-là le peuple canadien français en est privé. Chaque coup porté à la grandeur française par un Léon Blum ou par quelque individu de cet acabit, assis dans le fauteuil de Richelieu, les atteint profondément et ils sentent que le prestige et le rayonnement de leur ancienne mère-patrie est nécessaire à leur vie elle-même.




Regards sur l’avenir


« Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, proclamait M. l’abbé Groulx à la jeunesse canadienne-française en juin dernier, notre État français nous l’aurons; nous l’aurons jeune, fort, rayonnant et beau, foyer spirituel, dynamique pour toute l’Amérique française. Nous avons aussi un pays français, un pays qui portera son âme dans son visage. »


La jeunesse canadienne-française, les couches saines de la jeunesse en sont de plus en plus persuadées. Notre État français, nous l’aurons! Répétons-le avec notre seul historien national.


Toutes nos énergies sont orientées vers cet idéal magnifique; vers cet idéal de vie et de grandeur!

La formule coopérative me semble la plus salutaire, la plus apte à opérer la régénération sociale de notre peuple. Le problème économique, de son côté, sera résolu, croyons-nous, par la constitution d’un système de coopératives, dont les premières réalisations ont été un véritable succès.


Si nous voulons rester Français, si nous voulons revivre dans cette ambiance française et en faire notre idéal de vie, nous ne pouvons pas prendre d’autre route que celle sur laquelle nous sommes engagés. Nous laisserons aux rêveurs, la pensée qu’ils pourraient reconquérir le Canada tout entier, pour en faire un pays français. Celui qui est réellement au courant de la situation actuelle, de l’aspect ethnique de l’Ontario et des autres provinces de l’Ouest canadien, doit avouer que nous ne pouvons sérieusement prétendre à cette folie. En essayant de sauver ce qui ne peut plus l’être, en essayant de reconquérir ce qui fut jadis français et que d’autres nous ont perdus, nous risquons à coup sûr de périr tous ensemble.

Et à ceux qui nous reprocheraient de rapetisser notre rêve, en le limitant à notre seule patrie, l’actuel Canada français, nous répondons avec Léopold II : « Quand les hommes sont grands, si étroites que soient les frontières où ils vivent, ils trouvent le moyen de faire de grandes choses ».


Dostaler O’Leary


Je suis partout, 21 janvier 1938 p. 5