COMMANDITE AU MUSÉE DE L’HISTOIRE

Le lobby du pétrole s’achète un accès aux décideurs

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Les professionnels du lobbying à l'oeuvre

L’industrie des sables bitumineux a obtenu bien plus qu’une simple occasion d’afficher son logo en signant un partenariat sans précédent avec le Musée canadien de l’histoire de Gatineau, en novembre dernier. Grâce à cette commandite « historique » de 1 million de dollars, l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) bénéficiera jusqu’en 2018 de nombreux avantages, notamment d’un accès privilégié à divers hauts placés de la capitale fédérale, a appris Le Devoir.

La nouvelle avait soulevé un tollé à l’automne. En échange d’une contribution de 200 000 $ par année échelonnée sur cinq ans, le lobby de l’or noir devenait le principal bailleur de fonds privé du Musée des civilisations, depuis rebaptisé par le gouvernement conservateur. L’ACPP héritait en échange du titre de « partenaire officiel » de l’ensemble des expositions spéciales présentées par l’établissement, dont une exposition de grande envergure sur la naissance de la Confédération canadienne, nommée provisoirement 1867.

Avantages nombreux

Mais la générosité de l’industrie pétrolière envers l’institution culturelle la plus achalandée du pays comporte d’autres avantages, dont « l’accès à des audiences influentes et aux décideurs de la capitale nationale » tels que « les députés, sénateurs, ministres du cabinet ou leur personnel, et ce, de tous les paliers de gouvernement », révèlent des documents obtenus par Le Devoir en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Ces documents offrent un rare aperçu des bénéfices que font miroiter les organismes culturels publics à de potentiels commanditaires depuis que les gouvernements se sont mis à sabrer leurs enveloppes budgétaires. Le « pitch de vente », explique la vice-présidente des affaires publiques du Musée, Chantal Schryer.

« Quand des organisations comme l’ACPP décident de nous donner de l’argent, c’est qu’ils recherchent le profil, la visibilité et les avantages que procure le Musée, comme faire voir leur nom et leur logo », dit-elle. Les producteurs de pétrole jouissent également de visites privées dirigées par les curateurs du Musée, d’entrées gratuites… et d’un accès privilégié à plusieurs des quelque 600 événements et soirées organisés chaque année aux Musées de l’histoire ou de la guerre, situé à Ottawa.

Quand de grands banquets rassemblent diplomates, dignitaires ou politiciens, les partenaires peuvent faire partie des listes d’invités, confirme Mme Schryer. Un « aspect très intéressant » pour eux.

« Une partie des avantages de notre commandite, en plus de la visibilité offerte, c’est que nous sommes invités à leurs prestigieux événements », note Geraldine Anderson, de l’ACPP.

Mais « jamais au grand jamais le Musée n’agit comme entremetteur entre [les producteurs de sables bitumineux] et les décideurs », clarifie la porte-parole du Musée.

Marée noire

Depuis une première incursion dans le financement d’organismes culturels fédéraux dans la région de la capitale fédérale, en 2011, l’industrie pétrolière a commandité près d’une vingtaine d’organismes et événements publics et caritatifs à Ottawa-Gatineau. En incluant la contribution faite au Musée de l’histoire, ce sont tout près de 1,5 million de dollars qu’auront injecté les magnats de l’or noir dans la capitale. Une façon pour les producteurs pétroliers de se « faire voir », mais également de se rapprocher de la population canadienne en démontrant leur apport utile. « L’industrie pétrolière joue un rôle important dans le soutien offert aux institutions culturelles canadiennes. On est fiers de notre contribution », dit Mme Anderson.

L’une des institutions fédérales ayant bénéficié de l’appui de l’Association, le Musée canadien des sciences et de la technologie avait causé la controverse, en 2011, en invitant d’éventuels commanditaires comme la Fondation Imperial Oil et l’ACPP à participer à la préparation de l’exposition « Énergie, le pouvoir de choisir ».

À la demande expresse du président de l’ACPP, David Collyer, certaines images montrant d’énormes camions à l’oeuvre en Alberta avaient été retirées, « les images de camions miniers posant problème », révélait une note interne. L’établissement avait proposé à ses généreux donateurs de présenter leur vision « de manière à apporter des informations et une perspective au public qu’il n’est pas possible de fournir à travers les filtres des médias traditionnels ».

Ni l’ACPP ni aucun autre commanditaire n’a son mot à dire dans le contenu du Musée de l’histoire, martèle Chantal Schryer. Ce type de partenariat est nécessaire afin d’assurer la pérennité des expositions et des programmes du Musée, mais celui-ci n’est pas à vendre au plus offrant. « On a exactement zéro exposition qui va parler des ressources naturelles. Et même si on le faisait, ils ne seraient jamais impliqués dans son développement. Nos expositions sont créées par des professionnels du Musée exclusivement. »

L’établissement muséal a caviardé de nombreuses pages des documents remis au Devoir, dont celles offrant les détails précis des bénéfices offerts à l’ACPP dans le cadre de ce partenariat inédit. « Une entente commerciale, tu gardes ça pour toi. On veut être en bonne position pour négocier une entente avec d’autres commanditaires potentiels », dit Mme Schryer.


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